Compte rendu DON CARLO Ă STRASBOURG… Fin de saison flamboyante Ă Strasbourg. La saison lyrique s’achève Ă Strasbourg avec une nouvelle production de Don Carlo de Verdi, signĂ©e Robert Carsen. L’OpĂ©ra National du Rhin engage pour l’occasion la fabuleuse soprano et Ă©toile montante, Elza van den Heever dans le rĂ´le d’Elisabeth de Valois. L’excellente distribution d’une qualitĂ© rare ainsi que l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg sont dirigĂ©s magistralement par le chef italien invitĂ© Daniele Callegari. Une fin de saison bien plus qu’heureuse … Ă©tonnante mĂŞme, pour plusieurs raisons !
La nouvelle production de Don Carlo Ă Strasbourg remporte tous les suffrages : c’est un succès manifeste
Don Carlo chic et choc

Don Carlos, créé Ă Paris en 1867, (chantĂ© en français) est l’un des opĂ©ras de Verdi qui totalise le plus de versions existantes, sans omettre faits divers et controverses. Au fait des dernières recherches sur la genèse de l’Ĺ“uvre, le Directeur de l’OpĂ©ra National du Rhin, Marc ClĂ©meur, prĂ©cise selon les dernières recherches, que le livret de MĂ©ry et Du Locle d’après le poème tragique Ă©ponyme de Schiller (1787), n’est pas la seule source de Verdi ; la partition emprunte aussi au drame de circonstance d’Eugène Cormon intitulĂ© Philippe II Roi d’Espagne datant de 1846. Ensuite, le fait qu’il s’agĂ®t bien d’un Grand OpĂ©ra français de la plume d’un grand compositeur italien attise souvent les passions des mĂ©lomanes, dĂ©criant souvent une quelconque influence d’un Wagner et d’un Meyerbeer. Bien qu’il soit bel et bien un Grand OpĂ©ra, c’est aussi du Verdi, indĂ©niablement du Verdi. Et si la version prĂ©sentĂ©e ce soir Ă Strasbourg est la version italienne dite « Milanaise » de 1884, en 4 actes, sans ballet, plus concise et courte que la version française d’origine, elle demeure un Grand OpĂ©ra italianisĂ©, avec une progression ascendante de numĂ©ros privilĂ©giant les ensembles, un coloris orchestral riche en effets spectaculaires, des scènes fastueuses ne servant pas toujours Ă la dramaturgie, mais ajoutant Ă l’aura et au decorum… L’aspect le moins controversĂ© serait donc la question de l’historicité : Verdi dit dans une lettre Ă son Ă©diteur italien Giulio Ricordi « Dans ce drame, aussi brillante en soit la forme et aussi noble en soient les idĂ©es, tout est faux (…) il n’y a dans ce drame rien de vĂ©ritablement historique ». Plus soucieux de vĂ©racitĂ© poĂ©tique qu’historique, Verdi se sert quand mĂŞme de ce drame si faux pour montrer explicitement ses inclinaisons bien rĂ©elles. On pourrait dire qu’il s’agĂ®t ici du seul opĂ©ra de Verdi oĂą la vie politique est ouvertement abordĂ©e et discutĂ©e de façon sĂ©rieuse et adulte.
Le sĂ©rieux qui imprègne l’opus se voit tout Ă fait honorĂ© ce soir grâce Ă l’incroyable direction musicale du chef italien Daniele Callegari dirigeant l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg avec maestria et une sophistication et un raffinement des plus rares ! S’agissant d’un des opĂ©ras de Verdi oĂą l’Ă©criture orchestrale est bien plus qu’un simple accompagnant des voix, saisissent directement ici la complicitĂ© Ă©tonnante entre fosse et scène, l’excellente interprĂ©tation des instrumentistes, le sens de l’Ă©quilibre jamais compromis, la tension permanente et palpitante de la performance et surtout les prestations des chanteurs-acteurs de la distribution.
La soprano Elza van den Heever reprend le rĂ´le d’Elisabeth de Valois après l’avoir interprĂ©tĂ© Ă Bordeaux la saison prĂ©cĂ©dente. Si Ă Bordeaux nous avions remarquĂ© ses qualitĂ©s, c’est Ă Strasbourg que nous la voyons dĂ©ployer davantage ses dons musicaux et théâtraux ! Sa voix large et somptueuse a gagnĂ© en flexibilitĂ©, tout en restant dĂ©licieusement dramatique. Elle campe une performance encore plus profonde avec une superbe maĂ®trise des registres et une intelligence musicale lui permettant d’adapter brillamment l’intensitĂ© de son chant, de nuancer la force de son expression.
Le Don Carlo du jeune tĂ©nor italien Andrea Carè est prometteur. Bien que moins fort dans l’expression lyrique, il a une voix chaleureuse qui sied bien au personnage et une technique assez solide. Certains lui rapprocheront ne pas ĂŞtre un Domingo ou un Alagna (selon les goĂ»ts), pourtant il s’est donnĂ© Ă fond dans un rĂ´le oĂą la difficultĂ© ne rĂ©side pas, malgrĂ© le type de voix plutĂ´t lĂ©ger, dans la virtuositĂ© vocale mais dans le style et l’expression globale. Dans ce sens nous ne pouvons que louer l’effort, et remarquer particulièrement le timbre qui se distingue toujours dans les ensembles.
Tassis Christoyannis en Posa montre aussi une Ă©volution par rapport Ă Bordeaux l’annĂ©e passĂ©e. Toujours dĂ©tenteur des qualitĂ©s qui lui sont propres, comme la prestance et un je ne sais quoi d’extrĂŞmement touchant, Ă Strasbourg, il est davantage malin et Ă la chaleur du timbre, le baryton ajoute du brio presque autoritaire. Le tout prĂ©sentĂ© d’une façon Ă©lĂ©gante et dynamique Ă souhait. Remarquons le duo de la libertĂ© avec Don Carlo, au 1er acte tout hĂ©roĂŻco-romantique sans ĂŞtre frivolement pyrotechnique. Quant Ă la virtuositĂ© vocale et aux feux d’artifices vocalisants, parlons maintenant de la mezzo russe Elena Zhidkova dans le rĂ´le de la Princesse Eboli. Tout en ayant un timbre veloutĂ© et une belle prĂ©sence scĂ©nique, elle a dĂ» mal avec son air du 1er acte « Nel giardin del bello saracin Ostello », – pourtant LE morceaux le plus mĂ©lodique et virtuose de la partition ! Il est en l’occurrence plutĂ´t … mou. Ce petit bĂ©mol reste vĂ©tille puisque la distribution est globalement très remarquable. Continuons avec le Roi Philippe II de la basse danoise Stephen Milling, Ă la voix large et profonde, campant au 3ème acte une scène qui doit faire partie des meilleures et des plus mĂ©morables pages jamais Ă©crites par Verdi : « Ella giammai m’mamo » , grand aria avec violoncelle obbligato, oĂą la douleur contenue du souverain est exprimĂ©e magistralement. Ou encore son duo avec le Grand Inquisiteur de la basse croate Ante Jerkunica, dont nous avons Ă©galement fortement apprĂ©ciĂ© la prestation et vocale et théâtrale. Remarquons finalement l’instrument et la prĂ©sence de la jeune soprano espagnole Rocio Perez, chantant Thibault le page de la Reine, avec des aigus cĂ©lestes, … divins. Divine aussi la performance surprenante des choeurs de l’OpĂ©ra, sous la direction de Sandrine Abello.

L’ART DE ROBERT CARSEN. Que dire enfin de la crĂ©ation de celui qui doit ĂŞtre le metteur en scène d’opĂ©ras actuellement le plus cĂ©lèbre et le plus sollicité ? Robert Carsen et son Ă©quipe artistique prĂ©sentent un spectacle sobre et sombre, dans un lieu unique dĂ©pouillĂ©, Ă la palette chromatique consistant en noir sur gris sur noir, et quelques Ă©clats des accessoires mĂ©talliques ou diamantĂ©s… Si l’intention de faire une mise en scène hors du temps est bien Ă©vidente, il y a quand mĂŞme une grande quantitĂ© d’Ă©lĂ©ments classiques qui font rĂ©fĂ©rence au sujet… Des religieux catholiques bien catholiquement habillĂ©s, des croix par ci et par lĂ , mais jamais rien de gratuit (sauf peut-ĂŞtre un ordinateur portable Ă peine remarquable mais qui frappe l’oeil puisque quelque peu dĂ©placĂ©). Comme d’habitude chez Carsen le beau, le respect de l’oeuvre et l’intelligence priment. Cette dernière Ă un tel point que le Canadien rĂ©ussi Ă prendre une libertĂ© audacieuse avec l’histoire originale qui dĂ©voile davantage les profondeurs de l’œuvre. DĂ©jĂ riche en intrigues, le Don Carlo de Verdi selon Carsen explore une lecture supplĂ©mentaire dont nous prĂ©fĂ©rons ne pas donner les dĂ©tails, tellement la surprise est forte et la vision, juste !
Rien ne rĂ©siste Ă l’appel de ce Don Carlo de toute beautĂ©, aucun obstacle pour nos lecteurs de faire le dĂ©placement Ă l’OpĂ©ra National du Rhin, Ă Strasbourg et Ă Mulhouse, pour cette formidable nouvelle production qui clĂ´t l’avant-dernière saison de la maison sous la direction visionnaire de Marc ClĂ©meur. A l’affiche Ă Strasbourg du 17 au 28 juin et puis Ă Mulhouse du 8 au 10 juillet 2016.
Compte rendu, opĂ©ra. OpĂ©ra National du Rhin, Strasbourg, le 17 juin 2016. Verdi : Don Carlo (version Milanaise 1884). Stephen Milling, Andrea CarĂ©, Elza van den Heever, Tassis Christoyannis… Choeurs de l’OpĂ©ra du Rhin. Sandrine Abello, direction. Orchestre Philharmonique de Strasbourg, orchestre. Daniele Callegari, direction. Robert Carsen, mise en scène. LIRE notre prĂ©sentation annonce de la nouvelle production de Don Carlo Ă l’OpĂ©ra national du Rhin : “Elza van den Heever chante ELisabetta…”Â
Illustrations : K. Beck / Opéra national du Rhin © 2016