dimanche 9 février 2025

CRITIQUE, concert. MONACO, Cour d’Honneur du Palais Princier, le 16 juillet 2023. RACHMANINOV / BRAHMS. Daniil Trifonov, piano – OPMC / Kazuki Yamada (direction).

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

 

Depuis 1959, les Concerts au Palais Princier rythment l’été monégasque : ce ne sont pas moins de 6 concerts symphoniques qui se tiendront – du 16 juillet au 3 août 2023 – dans la magnifique Cour d’Honneur du Palais – où l’étiquette est stricte (pour les hommes du moins) : cravate et veste de rigueur ! La musique est chose sérieuse à Monaco, et le millier de personnes réunies ce soir partagent ce plaisir élitiste d’être convié dans l’intimité princière, car toute la famille régnante y assiste également, et l’on est invité à se lever quand elle fait son apparition, comme lors de la fête nationale monégasque (l’hymne nationale à entonner en moins). Paré de fresques comme une tapisserie, fenêtres aux proportions classiques, tourelles toscanes et cheminée vénitienne, le décor qui s’offre au regard du public est inspirant et somptueux.
Devant la galerie d’Hercule (rappelons que, selon la légende, après avoir tué sa femme et ses enfants, le héros de l’Antiquité se fit ermite ici-même !), les célèbres escaliers aux deux majestueuses montées symétriques offrent une scène à gradins, idéale pour y placer l’orchestre, tandis que l’audience leur fait face, répartie en cinq blocs distincts autour de lui.

 

 

Superbe soirée symphonique au Palais princier
Rachmaninov paganinien de Trifonov
Maestria confondante du chef Kazuki Yamada

 

 

C’est donc par une chaleur étouffante et corseté que nous avons assisté au premier concert de la série, qui mettait à l’affiche, en plus des forces vives et locales que sont l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo et Maestro Kazuki Yamada, le pianiste virtuose russe Daniil Trifonov, pour une interprétation du Concerto pour piano n°4 (1926) de Sergueï Rachmaninov, probablement le moins connu de ses concertos. S’il faut quelques minutes au piano et à l’orchestre pour s’incorporer vraiment l’un à l’autre, on assiste à partir du milieu du mouvement I (Allegro vivace) à une magnifique symbiose entre le soliste et la formation monégasque. Leur interprétation empreinte d’héroïsme confère à cette œuvre, souvent dénigrée pour son manque d’unité, une réelle cohérence. On se délecte, en outre, dans les passages plus rêveurs comme le mouvement II (Largo), le dialogue réussi entre un Daniil Trifonov à son meilleur niveau et, alternativement, les cordes, les flûtes, la clarinette, le hautbois ou le basson, dans un orchestre où les solistes instrumentaux sont (re)connus pour leur excellence. Et dans le troisième et dernier mouvement (Allegro Vivace), le pianiste russe fait entendre un Rachmaninov “paganinien” : exercices frénétiques, lignes régulières, harmoniquement irréprochables, autant qu’il le faut pour que leur accentuation ait la succulence requise… à même d’emporter le public, qui lui fait un triomphe mérité !

 

Une excellence qui ne se démentira pas en 2ème partie de soirée où rayonne elle aussi la Première Symphonie de Brahms, dont le chef japonais donne une vision vivifiante, humaine, profondément tragique. L’orchestre cette fois au grand complet y fait montre de couleurs tout aussi sombres et fauves que dans la première partie, avec ce grain sonore unique des cordes graves, dont un impressionnant pupitre de contrebasses d’une présence presque parfois menaçante. Le chef construit savamment et patiemment son interprétation, parfois avec un lyrisme intense qui fait chanter la phrase (exposition de l’Allegro, joué avec la reprise, ou un Andante sostenuto, superbe de beauté intérieure) tantôt par un subtil éclairage polyphonique mettant en valeur les textures harmoniques les plus robustes (développement du même Allegro). Le finale (Adagio-Allegro non troppo) s’avère particulièrement pensé dans sa globalité formelle et dans sa constante progression mentale des ténèbres vers la lumière.
Avec une maestria confondante, Kazuki Yamada en pulvérise l’académisme parfois sous-jacent et les quelques temps potentiellement morts dans les transitions ; il mène, avec une puissance irrésistible les troupes monégasques (dans un jour très faste, en particulier le pupitre de cors ou le timbalier Julien Bourgeois juché en haut des marches de l’escalier princier, et ici très expressif ) vers une coda aussi monumentale qu’enthousiasmante. Le public ravi, réserve une longue et tonitruante ovation tant aux valeureux musiciens qu’à leur chef !

 

 

 

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CRITIQUE, concert. MONACO, Cour d’Honneur du Palais Princier, le 16 juillet 2023. RACHMANINOV / BRAHMS. Daniil Trifonov / OPMC / Kazuki Yamada. Photos © Axel Bastello

 

 

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VIDÉO : Daniil Trifonov interprète le Concerto pour piano n°4 de Rachmaninov

 

 

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