On le sait, Monte-Carlo fut – au début du XXe siècle sous l’impulsion de Raoul Gunsbourg (directeur à l’époque de l’Opéra de Monte-Carlo) et du Prince mélomane Albert 1er – un haut lieu de création lyrique, à commencer par pas moins de 5 opéras issus de la plume de Jules Massenet et 3 autres de celle de Camille Saint-Saëns. Aux côtés de Hélène (1904) et Déjanire (1911) – ressuscitée in loco il y a deux ans (déjà dans une coproduction entre l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo et le Palazzetto Bru-Zane) -, L’Ancêtre (1906) est l’un des trois ouvrages, une sombre histoire de vendetta corse où une grand-mère (à demi aveugle…) tue sa petite fille en la prenant par erreur pour son ennemi juré. L’intrigue est ainsi un mélange entre le Roméo et Juliette de Gounod et Le Trouvère de Verdi…
Crédit photographique © Alice Blangero
Mais la partition est elle du pur Saint-Saëns, avec quelques pages qui retiennent l’attention, tels le quatuor de l’acte III (dans lequel le jeune couple Tebaldo / Margarita est espionné par la Vieille Nunciata et l’amante malheureuse qu’est Vanina, la soeur de Margarita que lui préfère Tebaldo…), ou les superbes soubresauts orchestraux au moment où l’Ermite Raphaël exhorte “l’Ancêtre” Nunciata à renoncer à son projet funeste. Ce même Raphaël a droit à une autre page très inspirée, “l’air des Abeilles”, évoquées par le frémissements des cordes d’un Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo particulièrement en forme et inspiré, son chef Kazuki Yamada ayant visiblement à coeur de ressusciter l’ouvrage “monégasque”, avec le talent et l’enthousiasme qu’on lui connaît.
Pour défendre la partition, on a fait appel à une équipée vocale entièrement française, hors le rôle-titre ici tenu par la mezzo américaine Jennifer Holloway, qui avait enthousiasmé dans une autre résurrection due au Palazzetto Bru-Zane : “Hulda” de César Franck. A nouveau, la chanteuse impressionne par l’étendue de son registre, d’un grave ferme à des aigus éclatants, et par une présence scénique d’autant plus remarquable que l’on assiste à une “simple” version de concert. Le rôle de Vanina, sa (première) petite fille, amoureuse éconduite avant d’être abattue par erreur par son aïeule, est tenu ici par la sculpturale mezzo Gaëlle Arquez, qui lui offre son timbre sombre et opulent, et sa sensibilité à fleur de peau. Une qualité que possède également sa consoeur (et soeur tout court dans l’ouvrage), Hélène Carpentier, (que l’on suit de près, et que l’on avait été par exemple applaudir dans « L’Africaine » de Meyerbeer à Marseille) et qui ravit dans le rôle de Margarida, notamment dans ses envolées angéliques au début du III. Après son Heurtal (dans « Guercoeur » de Magnard) à Strasbourg en avril dernier et son Ulysse (dans « Pénélope » de Fauré) un mois plus tard à Athènes, le jeune ténor lyonnais Julien Henric confirme tous les espoirs placés en lui, en offrant au personnage de Tebaldo à la fois une voix haut placée, au timbre clair, mais d’une vaillance inébranlable et fière. De son côté, le baryton malgache Michael Arivony est une belle découverte, dans le personnage de l’Ermite Raphaël, doté d’un timbre corsé et faisant montre d’une superbe diction. Enfin, Matthieu Lécroart s’avère un intraitable Bursica, auquel il prête sa voix d’un beau métal, tandis que le Choeur Philharmonique de Tokyo remplit avec brio son contrat.
Après “Déjanire” et” L’Ancêtre”, on peut rêver que cette fructueuse collaboration entre l’OPMC et le PBZ redonne également sa chance à “Hélène” ? L’avenir nous le dira…
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CRITIQUE, opéra. MONTE-CARLO, Auditorium Rainier III, le 6 octobre 2024. SAINT-SAËNS : L’Ancêtre (en version concertante). J. Holloway, J. Henric, G. Arquez, H. Carpentier… Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, Kazuki Yamada (direction). Photos © Alice Blangero.