Séquence émotion au Théâtre Olympia-Maria Callas d’Athènes (à mi-chemin des fameuses Places Omonia et Syntagma), où après quatre années d’un remarquable travail sur le répertoire grec et français notamment, Olivier Descotes tire sa révérence sur un coup de maître en proposant, quand bien même sous format concertant, la trop rare (et superbe !) Pénélope de Gabriel Fauré (dont on fête cette année le centenaire de la disparition, et Olivier Descotes est l’un des rares directeurs de théâtres lyriques à s’en être véritablement souvenu…) – avec ce dont le chant français recèle comme plus belles perles : la grande Catherine Hunold dans le rôle-titre, le brillantissime jeune ténor Julien Henric en Ulysse, la frémissante Anaïk Morel en Euryclée, et l’un des 2 ou 3 barytons français les plus en vue du moment, le fringant Jérôme Boutillier (dans les rôles d’Eurymaque et d’Eumée), excusez du peu !…
Le Théâtre (musical) Olympia, c’est d’abord une salle mythique, (re)construite dans les années 50, et la non moins légendaire Maria Callas se produisit dans les deux salles, l’ancien Théâtre Olympia construit en 1915, puis le nouveau bâtiment reconstruit en 1954, et dont la salle offre de nombreuses similitudes avec “notre” Théâtre des Champs-Elysées. C’est dans ce théâtre, rebaptisé il y a quelques années « Olympia-Maria Callas » (le Foyer et les escaliers qui mènent vers les deux étages sont entièrement dédiés à son souvenir et à sa gloire !), qu’avait donc lieu cet événement à plus d’un titre, comme nous l’avons déjà explicité.
Quant à l’ouvrage fauréen, mais pourquoi donc demeure t-il aussi rare à l’affiche de nos théâtres hexagonaux ? L’unique opéra laissé par Gabriel Fauré, si l’on excepte sa fresque scénique Prométhée, a été créé à l’Opéra de Monte-Carlo en mars 1913, mais n’est entré au répertoire de l’Opéra de Paris qu’en 1943, avec la célèbre cantatrice française Germaine Lubin dans le rôle-titre. Rares ont été les représentations scéniques du chef d’œuvre de Fauré ces trente dernières années, si ce n’est en effet (récemment) à l’Opéra national du Rhin, et c’est dire la nécessité qu’il y avait à réparer cette injustice, chose faite en cette année-anniversaire grâce à l’ancien Directeur artistique du festival de Pesaro, qui a mené ces dernières années, à Athènes et à sa propre échelle (à l’instar d’un Palazetto Bru Zane), une réhabilitation du patrimoine lyrique français (ce qu’il fera encore, on ose l’espérer pour lui, ailleurs en France ou en Europe – dans quelques théâtres ou festivals de renom) !
On savait, depuis l’écoute du fameux enregistrement avec Jessye Norman, l’originalité de cet ouvrage représentatif du XIXe siècle, séduisant sans mièvrerie dans le traitement d’un sujet plein de noblesse emprunté par le librettiste-poète René Fauchois à Homère. Ce n’est cependant pas le livret, avec ses vers parfois surannés, qui fait l’intérêt de l’ouvrage, mais bien la musique d’un Fauré qui inscrit sa partition dans la continuité du drame musical wagnérien, tout en prenant garde de ne pas laisser l’orchestre empiéter sur les voix.
Dans le rôle-titre, notre soprano dramatique “nationale”, Catherine Hunold s’avère en parfaite adéquation avec ses moyens naturels. Ni nous-même ni le public athénien ne sommes près d’oublier cette Pénélope ardente, au maintien royal, à la discipline vocale parfaite, à la déclamation large et animée par un souffle unique, en joignant l’héroïsme à la fragilité. Une grande incarnation du personnage née sous la plume d’Homère ! Face à elle, le jeune Julien Henric (qu’elle retrouvait après leur prestation commune dans le non moins superbe et rare ouvrage qu’est Guercoeur d’Albéric Magnard, donné récemmment à l’Opéra national du Rhin) manifeste une surprenante autorité et projection vocale, qui laisse déjà augurer un jour les Hoffmann et Don José qu’il ne manquera pas d’ajouter à son répertoire dans les années futures. De son côté, Anaïk Morel est une Euryclée de luxe, avec son opulent mezzo qui se déploie à merveille dans ce magnifique portrait de femme, tandis que Jérôme Boutillier campe un Eurymaque plein de morgue et de mâle assurance, tout en offrant aussi au vieil Eumée la profonde humanité et tendresse de ce personnage qui est le premier à reconnaître son ancien maître. Dans les rôles secondaires, l’on trouve des chanteurs essentiellement grecs, et si l’on a été un peu heurté par le français parfois “exotique” du ténor grec Vassilis Kavayas (Antinoüs), nous avouerons en revanche avoir été fort séduit par le ténor de Yannis Filias, en Léodès, avec un prononciation plus châtiée de la langue de Corneille. Les autres Prétendants (Yannis Selitsaniotis et Anthony Kordopatis) comme les autres Suivantes (La Cléone au timbre moelleux de Chryssanthi Spitadi, la belle Mélantho d’Elena Marakou etc.), n’appellent aucun reproche.
Et dans cette superbe partition, le troisième acte s’élève au rang de chef-d’œuvre, surtout sous la direction d’un chef tel que Pierre Dumoussaud, capable d’en faire ressortir les vertus les mieux cachées, d’autant qu’il est placé ici à la tête de cette phalange d’exception qu’est l’Orchestre National d’Athènes, qui fait un sort à la musique de Fauré, en rendant perceptible à nos oreilles tout le frémissement, la subtilité et le mystère de cette musique magnifique. Bravi tutti !
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CRITIQUE, opéra (en version concertante). ATHENES, Théâtre Olympia-Maria Callas, le 23 mai 2024. GABRIEL FAURE : Pénélope. C. Hunold, J. Henric, A. Morel, J. Boutillier… Orchestre National d’Athènes / Pierre DUMOUSSAUD (direction). Photos (c) Emmanuel Andrieu et Studio Kominis.
VIDEO : Pénélope de Gabriel Fauré captée à l’Opéra national du Rhin en 2021