jeudi 18 avril 2024

COMPTE-RENDU, critique, opéra. LILLE, le 9 juillet 2019. BIZET : Carmen, Extrémo, Bélanger… ONL, Alex. BLOCH

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COMPTE-RENDU, critique, opéra. LILLE, le 9 juillet 2019. BIZET : Carmen, Extrémo, Bélanger… ONL, Alex. BLOCH. Ils l’avaient laissé il y a deux ans, depuis des Pêcheurs de perles régénérés (entre autres par une direction sculptée et narrative, énergique et colorée, et une distribution où brillait l’éclat de la jeunesse). Les musiciens de l’Orchestre National de Lille et leur directeur musical Alexandre Bloch, reprennent le métier amorcé et dédié à Georges Bizet. Pour lancer leur nouveau festival estival, « les Nuits d’été », voici donc Carmen, l’ultime opéra du maître romantique (1875) et dans un dispositif adapté au volume de l’auditorium du Nouveau Siècle à Lille. Ici pas de décors ni de mise en scène traditionnelle, mais une gigantesque fresque illustrée, mouvante, animée en fond de plateau, un narrateur mêlant humour et citations du roman de Mérimée (Carmen, 1845 dont s’est inspiré Bizet), soit une mise en espace qui au dernier tableau, produit pour le public une immersion convaincante. De toute évidence, pour le National de Lille, ce nouveau pari – lyrique-, est amplement réussi. Guide et récitant, enjoué, précis quand il cite la nouvelle de Mérimée, le narrateur Alex Vizorek trouve le ton juste, sans pédanterie, dans la décontraction qui sied infiniment à un spectacle d’opéra (merci à cette intelligence), osant même des saillies bien trempées à l’endroit des Républicains ou de Manuel Vals…

 

 

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Après une ouverture riante et méditerranéenne à souhait où le chef n’oublie jamais le drame ni même la veine âpre et tragique ; après la première apparition de la frêle Micaela (ardente Gabrielle Philipponet remplaçant au pied levé Layla Claire) ; après le choeur réjouissant des enfants (chœur maîtrisien du Conservatoire de Wasquehal… idéalement préparé dans l’évocation de la relève de la garde), … voici enfin la « carmencita », furie sauvage, créature bondissante, à peine extirpée (par José) d’un bain de sang, dans cette manufacture des cigarières à Séville… où les coups de poignards tranchent la peau, où la volupté des corps féminins dénudés est une provocation, une abomination à faire se signer les puritains. L’opéra de Bizet est une peinture érotique franche : et son héroïne revendique cette liberté séditieuse. A la fois dévoreuse et menthe religieuse, Aude Extrémo incarne une sirène mémorable ; elle déverse à plein gosier le métal onctueux et quasi caverneux de son ample mezzo : on aura rarement écouter Carmen plus abyssale plus dominatrice, plus fatale… C’est une arme de séduction massive. Quand elle chante, tout s’efface dans ce relief vocal, cette soie au souffle infini, à la fois sensuel et monstrueux.

  

 

 

L’Orchestre National de Lille et Alexandre BLOCH jouent Bizet
CARMEN revivifiée au Nouveau Siècle

 

 

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C’est une maîtresse ès volupté ; on comprend que le trop frêle Don José, brigadier de pacotille, qui se place toujours dans l’ombre de sa mère, se soit soumis corps et âme sous l’attraction de cette enchanteresse dont la raucité fascine. Mais à y réfléchir plus scrupuleusement, le ténor québécois Antoine Bélanger gagne en maturité, sûreté et épaisseur en cours de drame ; débord un rien serrés, ses formidables aigus se galbent et s’adoucissent; il réussit à rendre sincère et déchirant son air de la fleur (magnifique voix de tête qui a la tendresse d’un garçonnet épris) puis trouve de justes accents dignes du théâtre tragique dans le duo final où il tue son bourreau, Carmen … laquelle confesse qu’elle est bien le diable incarné.

 

 

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Finalement, après ces 2h45 de spectacle, c’est lui le vrai héros de la soirée capable sur la durée de construire son personnage, de le rendre crédible… de l’amoureux transi, au soldat pris de scrupules militaires quand le clairon sonne (chez Lilas Pastia), sans omettre le jaloux haineux (au III : vis à vis du torero Escamillo, trop beau, trop noble trop arrogant : impeccable et presque hautain Florian Sempey) ; jusqu’au fou d’amour au IV, préférant alors poignarder celle qu’il adore, plutôt que d’accepter qu’elle le quitte. Ce frêle transi est devenu par la force de sa passion, un sanguin criminel. La détestation qu’il éprouve alors, est aussi intense que l’amour suscité par la Gitane au II.

 

 

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Outre l’acuité des scènes et confrontations épineuses, passionnelles, rageuses, la réussite de la soirée vient des illustrations animées qui offrent un commentaire visuel et chromatique aux tableaux musicaux ; les atmosphères et les climats,  la puissance poétique de l’orchestre de Bizet, fait saillant du spectacle, s’en trouvent décuplés.
Saluons l’imagination du plasticien Grégoire Pont : ses dessins font respirer le drame orchestral ; ils revivifient le mythe de Carmen.

 

 

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Mais ne nous trompons pas : les protagonistes de choc ce soir sont bien chaque instrumentiste du National de Lille, fabuleux collectif capable de couleurs, d’accents, d’éclats,.. souvent furieux, exacerbés mais souples. Le chef Alexandre Bloch veille essentiellement au drame. Et à l’opulence détaillée de la parure orchestrale : sous sa direction affûtée, les bois et les cuivres en particulier, redoublent d’intensité et d’ardeur, d’indécente volupté aussi, car ainsi on comprend combien la Carmen de Bizet ronronne, tempête, s’enflamme en lascive impudeur. Clarinette, hautbois, basson subjuguent littéralement comme le trompettiste solo au I, accompagnant le changement des gardes, descendante et montante. On y détecte les mêmes justes réglages et soucis des timbres qui font actuellement la valeur du cycle Gustav Mahler en cours.
Comme il l’avait superbement démontré en mai 2017, Alexandre Bloch dévoile de réelles  affinités lyriques, dans l’énergie et l’articulation dramatique. Déjà, il s’agissait de Bizet mais celui là de jeunesse : les Pêcheurs de perles (sujet du premier enregistrement discographique entre Alexandre Bloch et l’Orchestre National de Lille – enregistré en mai 2017, édité chez Pentatone en 2018).
On peut ici et là regretter chez certains solistes la perte dommageable du texte qui rend incompréhensible leur intervention, d’autant plus qu’il n’y a pas de surtitrage. Mais la direction souvent somptueuse du directeur musical éclaircit et même explicite par le seul caractère des préludes (superbe intro du III entre autres), le sens et la direction des épisodes dont il saisit la poésie heureuse, le rêve et la volupté, comme la pression du fatum : aucun doute, ce dernier Bizet époustoufle par son génie mélodique, sa conception dramatique et par le raffinement de son orchestration.
Chef et orchestre nous transmettent le souffle et la vivacité riante, la plénitude et le nuancier méditerranéen d’un Bizet souvent touché par la grâce. C’est Manet devenu musicien, tant Alexandre Bloch en vrai amateur des timbres, réussit les alliages et les dosages comme l’équilibre des pupitres. Le voici cet orchestre solaire et viscéralement latin, non pas tant « africain » comme l’a suggéré Nietzsche alors en froid avec les brumes nordiques de Wagner, mais plutôt fiévreux et passionné, d’une ivresse insolente, d’un dramatisme à la fois sanguin et tendre. C’est un bel hommage que les interprètes ont ainsi réservé au théâtre de Bizet, des Pêcheurs de perles à Carmen.

Cette soirée fut un festin de couleurs épanouies, joyeuses, aux côtés du drame noir et cru. Contrasté, souverain, le National de Lille a bien raison de proposer ainsi son premier volet de son nouveau festival d’été « Les Nuits d’été » : un opéra chaque été, en juillet dans l’auditorium du Nouveau Siècle. Pour une première, c’est un triomphe au regard de la salle comble et plus qu’enthousiaste : convaincus, les spectateurs applaudissent debout tous les artistes. L’Orchestre démontre ainsi qu’il sait plaire à son public. Ce dernier est prêt à le suivre pour de nouveaux défis lyriques.

 

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La salle du Nouveau Siècle à Lille transformée en arènes de corrida pour le tableau final, celui tragique du meurtre de Carmen par Don José

 
  

 

 

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Carmen par l’Orchestre National de Lille et Alexandre Bloch, avec Aude Extrémo, Antoine Bélanger, Florian Sempeyà l’affiche du Nouveau Siècle, les 10 et 11 juillet 2019. Incontournable.

Illustrations : © Ugo Ponte + ONL Orchestre National de Lille 2019

 

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Version semi-scénique / 
Durée : environ 2h40 minutes + entracte
Création le 3 mars 1875 à Paris

Orchestre National de Lille
 / Direction : Alexandre Bloch
Chœur de l’Opéra de Lille – chef de chœur : Yves Parmentier
 / Chœur maîtrisien du Conservatoire de Wasquehal – chef de chœur : Pascale Dieval-Wils

Aude Extrémo : Carmen (photo ci dessous)

Antoine Bélanger : Don José
Gabrielle Philipponet : Micaëla
Florian Sempey : Escamillo
Pauline Texier : Frasquita
Adelaïde Rouyer : Mercedes
Jérôme Boutillier : Le dancaïre
Antoine Chenuet : Le Remendado
Bertrand Duby : Zuniga
Philippe-Nicolas Martin : Moralès
Alex Vizorek : récitant
Grégoire Pont : illustrations et animations

Assistants à la direction musicale : Jonas Ehrler et Victor Jacob
Chef de chant : Philip Richardson

 

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LIRE aussi notre présentation de la nouvelle CARMEN par l’Orchestre National de LILLE

LIRE notre entretien avec François Bou, directeur général de l’Orchestre National de LILLE à propos du nouveau cycle estival d’opéras, Les Nuits d’été

   

 

 

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