Au cours d’une tournée qui passe ce 25 novembre 2014 à La Piscine de Châtenay Malabry (92), Jérôme Corréas célèbre aussi le génie révolutionnaire de Rameau en proposant comme Hugo Reyne récemment une nouvelle lecture de l’opéra ballet Les Indes Galantes. Flamboyante partition portée par le rythme des danses et des divertissements, l’œuvre illustre l’invention inégalée dont Rameau fut capable de son vivant. Explications. Entretien avec Jérôme Corréas, directeur musical de l’ensemble qu’il a créé, Les Paladins.
Quel regard jetez vous sur Les Indes Galantes ? De quelle manière la musique unifie toutes les entrées ?
Les Indes Galantes sont souvent considérées comme une revue, de par le caractère divertissant et ludique des différentes entrées. C’est un opéra-ballet, avec une certaine liberté de ton par rapport à une tragédie lyrique. Un opéra ballet est constitué d’un prologue et de plusieurs histoires indépendantes se terminant par des divertissements dansés. C’est une forme assez libre, plus libre en tous cas que celle du grand opéra qu’on appelle tragédie lyrique. Cette souplesse favorise l’humour, le second degré, un niveau de langage un peu plus familier. Pour autant, on trouve dans cette œuvre des thèmes sérieux comme l’esclavage, la parole donnée (dans Le turc généreux), la liberté d’aimer, la colonisation, la paix ou la fraternité entre les peuples (Les Sauvages) .
Sans verser dans un discours féministe ou anticolonialiste militant qui n’a rien à voir avec l’œuvre, on peut dire que ces thèmes permettent de relier les différentes histoires à notre monde actuel tout en nous rapprochant de l’imaginaire de ce XVIIIeme siècle très attiré par l’exotisme, mais aussi très préoccupé de générosité envers les peuples et les individus, et de lutte contre les inégalités.
Dans ce contexte, la musique agit comme un cataliseur des énergies, elle apporte rythme et couleur en caractérisant chaque personnage, chaque univers différent. Chaque histoire est un voyage.
Que peut nous apporter en 2014 le spectacle version Rameau tel qu’il se déploie dans Les Indes Galantes ?
Les Indes galantes parlent du triangle amoureux habituel : amant-amante-rival. Cette relation triangulaire nous a incités avec Constance Larrieu, la metteure en scène, à imaginer un travail entre chanteurs, marionnettes et marionnettistes, pour mettre en valeur ces histoires simples, ces intrigues vite résolues qui sont des numéros, voire des sketches se terminant invariablement par des numéros dansés.
Rameau est un homme de spectacle, c’est un maître de l’harmonie, un amoureux des belles mélodies; on trouve dans sa musique une joie de vivre, un enthousiasme et un sens du rythme qui plongent l’auditeur dans un état de jubilation; la « Danse du grand calumet de la paix », qu’on appelle aussi « Les Sauvages », en est un bon exemple. Cette année Rameau a été pour moi l’opportunité d’interpréter beaucoup de ses musiques. Plus je joue Rameau, plus j’ai cette impression qu’on peut aussi aller le chercher hors de la conception grandiose dans laquelle on l’enferme parfois.
Cette forme légère des Indes galantes est pour moi l’occasion de présenter un Rameau plus proche, plus direct, plus accessible à tous publics et à tous âges. Il est important de montrer que la musique baroque n’est ni élitiste, ni compassée, et que l’on peut se divertir avec Rameau. C’est le cas avec Platée, c’est aussi le cas dans certaines scènes des Indes galantes.
De quelle manière cette nouvelle production met-elle en avant les qualités propres des Paladins ?
Tous les projets des Paladins sont de expériences, des défis ou des recherches. Je ne peux faire autrement et j’ai besoin d’avancer et progresser à chaque étape de mon travail.
Les Indes galantes, c’est pour moi une exploration de la théâtralité dans la musique française, c’est l’opportunité de chercher plus de naturel dans les récitatifs, plus de souplesse dans la texture orchestrale, et d’expérimenter sans cesse en matière de nuances et d’expressivité, tant avec les chanteurs qu’avec l’orchestre.
Cette musique est tellement bien écrite pour les instruments que les musiciens se sentent tout de suite à l’aise et peuvent prendre des risques.
Avec les chanteurs, nous explorons les possibilités du parlé-chanté tel que nous l’avons déjà travaillé dans l’opéra italien, mais en s’adaptant aux exigences de la langue française, faisant en sorte qu’elle soit toujours claire, naturelle et résonnante.
Je souhaite surtout que ces Indes galantes présentent une version décomplexée et jubilatoire du répertoire baroque français, c’est l’objectif que nous nous sommes fixé avec les musiciens des Paladins et les chanteurs. J’espère que le public aura envie de danser avec sur l’air du Grand calumet de la paix !
Propos recueillis par Alexandre Pham en novembre 2014.
AGENDA. Les Paladins en concert avec Jérôme Corréas. Rameau : les Indes Galantes, le 25 novembre 2014 – Théâtre La Piscine, Châtenay Malabry (92)