mardi 19 mars 2024

Compte rendu, concert symphonique. Tours. Opéra, le 15 novembre 2014. Magnard, Tchaikovski (6ème Symphonie). OSRCT Orchestre Symphonique Région Centre Tours. Jean-Yves Ossonce, direction.

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ossonce jean yves osrct symphonique toursTrilogie originale que celle inaugurant la nouvelle saison symphonique 2014-2015 de l’Opéra de Tours. Leonore III de Beethoven permet aux musiciens et au chef de mesurer leur capacité dans l’exposition d’une ouverture passionnée offrant toute l’exaltation de l’idéal fraternel et humaniste défendu et développé dans l’opéra qui suit, Fidelio. La rage et la détermination ouvertement tournées vers la lumière composent le plus bel hymne à la fidélité amoureuse, à la loyauté qui fait la grandeur humaine, autant d’idéaux que Beethoven inscrit en lettres d’or sur le fronton de la scène.  L’âpreté motorique des premiers violons, le chant aérien de la flûte, la tendresse héroïque du hautbois entre autres, lancent le formidable chant de victoire qui transforme peu à peu la violence du drame en ferveur exaltée, une transe instrumentale que Jean-Yves Ossonce conduit sans sourciller ni sans faiblir jusqu’à sa libération finale. C’est ce même orchestre qui porte tout au long de l’année l’une des programmations lyriques les plus intéressantes de l’Hexagone : leur expérience et leur engagement comme orchestre lyrique, s’entendent nettement ici.

ORCHESTRE TOURS CHATELETMême tension fraternelle et vive opposition de deux thèmes contrastés dans la seconde partition plutôt rare ailleurs, mais emblème d’une curiosité propre à Tours à présent car les œuvres d’Albéric Magnard (mort en 1914) y sont régulièrement jouées grâce à la curiosité du chef : il y a quelques mois (avril 2014), résonnait avec une vivacité envoûtante, ce wagnérisme français parfaitement maîtrisé dans l’opéra Bérénice (voir notre reportage vidéo sur l’opéra Bérénice de Magnard à l’Opéra de Tours), révélation totale où l’ouvrage déploie un symphonisme particulièrement texturé, des audaces harmoniques qui suivent très scrupuleusement la métamorphose psychique des protagonistes (ici Bérénice, phare moral pourtant répudiée, et l’empereur Titus qui à son contact vit un bouleversement personnel d’une dignité tragique rare). D’une architecture parfaitement élaborée, l’Hymne à la justice créé en 1902 est l’acte de dénonciation qui est l’équivalent musical du  » J’accuse  » de Zola, en pleine affaire Dreyfus. A la violence qui s’y dégage dans l’énoncé de la barbarie humaine répond le scintillement lumineux du thème de la justice avec l’utilisation de la harpe dont Franck dans sa fameuse Symphonie en ré fait un usage tout aussi réfléchi au moment le plus spirituellement clé. Doué d’une grande motricité expressive, l’orchestre conduit le flux expressif tout en révélant la plénitude rayonnante des timbres solistes (flûte, basson, clarinette…). L’équilibre des réponses entre les pupitres, la clarté de la progression dramatique, la fluidité vive de la direction de Jean-Yves Ossonce au service d’une œuvre rare, magnifiquement écrite, défendent avec une passion constante, la redécouverte de Magnard.

 

tchaikovski-583-597Le clou de la soirée est dans sa seconde partie, la 6ème Symphonie de Tchaïkovski (créée en 1893). Pièce maîtresse de l’orchestre symphonique russe à son sommet romantique, dont les séquences sont autant de traversées sombres mais épurées de l’autre côté du miroir. Voici assurément l’une des Symphonies les plus intimes, sombres, graves jamais écrites : un miroir noir pourtant fascinant par ses failles et ses élans instrumentalement ciselés. La conclusion (IV. Allegro lamentoso) d’un lugubre grave d’une totale poésie, étend son voile pianissimo jusqu’à l’infime souffle de vie : il s’agit de la dernière partition de Tchaikovski dont Jean-Yves Ossonce aura peu à peu abordé l’intégrale des Symphonies au cours des dernières saisons de l’Orchestre Symphonique Région Centre Tours (OSRCT). Chef et instrumentistes ont révélé une énergie maîtrisée, jouant là encore sur les délicats équilibres entre les pupitres, l’éloquence amère et voluptueuse des timbres (dont évidemment les pointes grimaçantes et sardoniques des cors bouchés en fin d’expérience : le chef fait battre la cadence d’un cœur condamné dès les première notes.
Dans ce sublime parcours funèbre, le second mouvement allegro (con grazia) prend des allures de remise en ordre, de discipline reconquise, aux élans éperdus mais qui ne peuvent au final empêcher le lent effondrement progressif jusqu’à l’anéantissement des dernières mesures du cycle. La désespérance, la dépression, le délire et la transe s’expriment dans une langue raffinée dont les interprètes soulignent la richesse des combinaisons, les effluves remarquablement orchestrés d’une lente et inéluctable agonie. Le martèlement obsessionnel puis allégé jusqu’à l’innocence du second mouvement, la valse du troisième embrumée et voilée elle aussi de profonds ressentiments,  la chute finale et les dernières saccades d’un cœur mis à mort, font le mérite d’une lecture tendue et fruitée qui n’a pu se déployer ce soir sans une réelle complicité entre le chef et ses musiciens. Une entente capable de dépassements en concert que l’on aime suivre pas à pas, et demain peut-être dans de nouveaux champs d’exploration, de recherche, d’ajustement comme les 6 et 7 décembre, ce Walton inconnu, ou nous l’espérons chez Sibelius, ou Mahler… sans omettre les symphonistes français méconnues : Bizet, Franck, D’Indy, Lalo, Dukas, et tant d’autres dont nous ne doutons pas que Jean-Yves Ossonce, en symphoniste affûté, révélera bientôt les qualités oubliées.

Compte rendu, concert symphonique. Tours. Opéra, le 15 novembre 2014. Magnard, Tchaikovski (6ème Symphonie). OSRCT Orchestre Symphonique Région Centre Tours. Jean-Yves Ossonce, direction.

Prochain concert symphonique de l’OSRCT à l’Opéra de Tours : les 6 et 7 décembre 2014. Mozart (Ouverture des Noces de Figaro, Concerto pour piano n°25), Walton (Symphonie n°1) : OSRCT. Igor Tchetuev, piano. Emmanuel Joel-Hornak, direction

Prochain opéra à l’affiche du Grand Théâtre de Tours : la sublime Chauve Souris de Johann Strauss fils qui associe délire théâtral et orchestration élégantissime : un événement pour les fêtes et une nouvelle production sous la baguette de l’excellent Jean-Yves Osonce : 4 représentations pour la fin de l’année et l’avènement de 2015. Les 27, 28, 30 et 31 décembre 2014. Jacques Duparc, mise en scène. Avec Mireille Delunsch (Rosalinde), Vannina Santoni (Adèle), Didier Henry (Eisenstein), Aude Extremo (Orlovsky), Jacques Duparc (Frosch)… Nouvelle production

 

 

Illustrations : © Gérard Proust 2014. Jean-Yves Ossonce et l’OSRCT, Orchestre Symphonique Région Centre Tours

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