jeudi 18 avril 2024

CRITIQUE, opéra. LILLE, Opéra de Lille, le 4 mai 2023. VERDI : Falstaff. T. Christoyannis, G. Myshketa, G. Philiponet, Julie Robard-Gendre… D. Podalydès / A. Allemandi.

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique et à l’opéra - et notamment avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

 

C’est avec Falstaff (1893), l’ultime opéra de Verdi que Caroline Sonrier referme la saison 22 / 23 de l’Opéra de Lille, en invitant – pour la première fois dans son théâtre – le célèbre Sociétaire de la Comédie Française, Denis Podalydès à mettre en scène le chef d’œuvre testamentaire du Maître de Busseto. L’homme de théâtre choisit ici de transposer l’action dans un hôpital (à moins que ce ne soit un asile ?…) de l’entre-deux guerres (à en juger les décors du fidèle Eric Ruf et des costumes du non moins fidèle Christian Lacroix…). Et si l’ouvrage perd au passage un peu de sa truculence, il ne manque pas pour autant de verve ; les scènes cocasses fourmillent telle celle où c’est par intraveineuse qu’on « administre » à Falstaff le précieux liquide rouge (du vin bien sûr, pas du sang !) dont il est friand.
Une fois sortie de la Tamise, il passe sur une table d’opération où on le débarrasse enfin de son imposante bedaine… – et dont le chirurgien extrait plusieurs ouvrages de Shakespeare ! La direction d’acteurs est brillante, comme toujours avec Podalydès ; autant les scènes intimes que les grands charivaris (finale de l’acte II – ici totalement frénétique -), s’avèrent réussis. Mais le dernier acte tombe malheureusement à plat, le lourd et peu gracieux décor unique de salle d’hôpital étant bien éloigné de l’univers mystérieux et féerique que doit constituer l’acte de « La forêt de l’Herne », privé ici de son aura poétique donc ; de même la scène de la Tamise ne fonctionne pas plus au milieu de ce dispositif scénique par trop « restrictif ».

 

 

 

 

Tassis Christoyannis,
l’un des meilleurs barytons verdiens de l’heure

 

 

 

 

C’est en revanche un satisfecit général du côté d’une distribution choisie avec soin par Josquin Macarez, le conseiller aux voix de l’Opéra de Lille. Nous ne dirons jamais assez que le baryton grec Tassis Christoyannis est l’un des meilleurs barytons verdiens de notre temps, aux côtés de Ludovic Tézier et George Petean, et se montre par ailleurs et comme toujours excellent comédien. Acteur hors norme, il incarne sans gêne ce personnage énorme, avec tous les excès et sa fatuité exhibitionniste – jusqu’à montrer son adipeux postérieur (quand bien même il s’agit d’une prothèse !). Vocalement, il domine également les débats par son interprétation débordante de vitalité et par la puissance de sa voix claironnante, qui est aussi un modèle de legato comme de phrasé… verdiens.
Gabrielle Philiponet lui donne la réplique avec autorité : son soprano étoffé, admirablement précis dans l’énonciation du texte, lui permet de brosser un riche portrait d’Alice, entre malice et sensualité, dans sa blouse blanche d’infirmière affriolante.
Magnifique aussi, le Ford du baryton albanais Gezim Myshketa à la voix riche autant que vaillante, lui aussi doté d’un phrasé très verdien. On applaudit à deux mains devant la double révélation que constitue pour nous (car nous ne les connaissions pas !) la mezzo italienne Silvia Beltrami (Mrs Quickly) et la jeune soprano Clara Guillon (Nanetta). La première offre à son personnage ses graves épanouis et sonores, jamais poitrinés, et dont l’impayable rouerie est enveloppée dans une voix capiteuse. A l’inverse, le timbre de Clara Guillon est la lumière et la pureté même ; sa Nanetta est une source de fraîcheur à laquelle on n’a pas de mal à comprendre pourquoi Fenton vient s’y abreuver, incarné ici par Kevin Amiel qui offre à cette partie une voix plus corsée et lyrique que de coutume, plutôt qu’à un tenorino (et l’on ne s’en plaindra vraiment pas !).
Dans le rôle de Meg Page, la mezzo nantaise Julie Robard-Gendre convainc aussi, avec son chaleureux mezzo qui est un faire-valoir non négligeable. Si la voix n’est plus aussi stable qu’avant, Luca Lombardo offre au Dr Caïus tout son génie comique, tandis que les Bardolfo et Pistola de Loïc Félix et Damien Pass sont impayables de drôlerie et de truculence tant scénique que vocale.

Quel bonheur enfin d’entendre un orchestre symphonique, le vibrionnant Orchestre National de Lille, dans un ouvrage d’une telle richesse et complexité musicales, sur lesquels tant d’orchestres (de fosses d’opéra) achoppent ! Pugnace et crépitante, la direction de chef italien Antonello Allemandi met en exergue avec maestria toute la composante élégiaque et mélancolique de cet incroyable chef d’œuvre qu’est Falstaff !

 

 

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CRITIQUE, opéra. Lille, Opéra de Lille, le 4 mai 2023. VERDI : Falstaff. T. Christoyannis, G. Myshketa, G. Philiponet, Julie Robard-Gendre… D. Podalydès / A. Allemandi. Photos © Simon Gosselin

 

 

 

VIDÉO : Teaser de Falstaff à l’Opéra de Lille / Podalydès, Allemandi

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