jeudi 18 avril 2024

CRITIQUE CD événement – Waves / Edith Canat de Chizy : Missing II, Outrenoir, Vagues se brisant contre le vent, Pluie, vapeur, vitesse / EOC Ensemble Orchestral Contemporain – Bruno Mantovani (1 cd Paraty 2020, 2022)

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Le programme offre une vision à la fois cohérente et complète sur le travail sonore d’Edith Canat de Chizy dont l’écriture opère par fragmentation et dilution de la texture vers un miroitement qui exalte le timbre ; tout en renouvelant totalement le développement formel de chaque pièce, la compositrice soigne particulièrement les alliages de timbres et les couleurs, jouant des contrastes de nuances et de teintes comme s’ingénient à le réussir les peintres de leur palette ; à la façon des impressionnistes et post-impressionnistes, voire aussi des pointillistes qui maîtrisent le fourmillement de la touche visible / audible, Edit Canat de Chizy édifie comme des nappes ou des vagues en croissance ou en résonance, le spectre orchestral explore des alliances de timbres inédites qui alternent, se succèdent, dialoguent… ; autant de séquences apparemment autonomes qui cependant composent de vastes paysages musicaux qui stimulent l’imaginaire ; la juxtaposition de chaque nuance, rythmique, chromatique, insufflant sa propre énergie, son propre mouvement. Les 4 pièces choisies par l’EOC Ensemble Orchestral Contemporain récapitulent comme un parcours symphonique des plus originaux, en relation étroite avec l’Orchestre et son directeur musical, Bruno Mantovani. Aux œuvres déjà anciennes (et jalons majeurs) de 2006 et 2007 (« Vagues se brisant contre le vent » et « Pluie, vapeur, vitesse » – claires références / hommages au peintre britannique préimpressionniste, Turner, répondent les opus plus récents datées 2020 : « Outrenoir » et la seconde version de « Missing », son Concerto pour violon (écrit en 2016 à la mémoire du violoniste Devy Erlih, décédé dans un accident de la circulation en 2012).

« Vagues se brisant contre le vent » (2006) contient dans le titre même tous les enjeux poétiques et substantiels du morceau ; l’immatérialité des deux éléments (air / eau) pose un défi formel à l’écriture musicale, dont la matière même, qui s’écoule inexorablement, offre une traduction immédiate certainement plus adaptée qu’aucune autre forme artistique. Outre la transparence diffuse des couleurs matière, c’est aussi l’idée du mouvement qui imprime à l’œuvre, son unité structurelle. La pièce joue du dialogue fulgurant entre d’innombrables cellules ; l’impression est celle d’un tissu mouvant composé de mille traits fugaces, de mille stridences contrastées, entre la flûte, les bois, les cordes… En guise d’embruns suggestifs, l’orchestre produit une irisation du spectre sonore, comme un flamboiement continu ; la flûte récapitule et exacerbe une série de climats comme frénétiques ; à 5’46, la 2è partie, laisse libre cours à la flûte solo, en dialogue avec les instruments isolés de l’orchestre, plus intimes et chambristes. Les tensions s’amenuisent jusqu’à une immatérialité sonore, suspendue, noces magiques de l’air et de l’eau volatile.…écho contemporain à Debussy (et son sublime triptyque La Mer ?). Les derniers accords convoquent un climat d’étrangeté, la formulation aiguë d’une question sans réponse et sans résolution.

 

 

L’Ensemble Orchestral Contemporain
réalise une monographie exemplaire dédiée à Edith Canat de Chizy

La musique est matière picturale
en quête de timbres…

« Missing II » pour violon, cultive des climats tout aussi profonds, lugubres où scintillent dans l’ombre grave, les traits des cuivres, perçants, menaçants. Tout l’orchestre dont l’activité instrumentale opère par faisceaux irradiants, crée un embrasement permanent, une riche texture sonore faite de crépitements, énonciations et réponses, répétitions en accents acérés, ciselés… autant de climats extatiques dont les actions par pulsions s’accompagnent d’une gravité continue en liaison avec la mort du défunt, le violoniste Devy Erlih auquel la partition est dédiée ; dans cette nouvelle version (2020 pour l’EOC), l’écriture scintille davantage encore par un langage musical, littéralement pictural, entre matité et transparence, brillance et couleurs, inscrivant aussi le déroulement musical dans une spatialité qui évolue du début à la fin. Comme pour les autres partitions de ce programme (plus festif qu’il n’y paraît tant les timbres et les couleurs exposent et stimulent chaque instrumentiste), les qualités de l’EOC Ensemble Orchestral Contemporain s’imposent, dans la précision et la maîtrise de chaque ligne, idéalement fondues dans l’ensemble, comme précisément individualisées.
« Pluie, vapeur, vitesse »… marque l’apogée d’une activité en crépitements, irisation progressive ; chaque cellule semblant générer par rayonnement sonore, un développement plus grand, plus étendu, comme une culture organique qui se reproduit par paliers ; les énoncés divers, simultané construisent une nouvelle architecture expansive qui avance en se diffusant… la partition de 2007 – la plus ancienne avec « Vagues », déploie des séquences de pure volupté sonore, suspendues, hors temps et espace, avec là encore des séries de répétitions qui diluent toute construction classique, privilégiant plutôt la croissance sonore celle d’un développement progressif, préférant des vagues ciselées où la qualité des timbres et l’intensité propre de chaque instrument se distingue, s’affirme, jusqu’à l’obsession (piano final), dans une netteté jusque là réportée, et qui triomphe dans la portée finale.
 » Outrenoir «  (2020) qui est la pièce le plus contemporaine, fruit de la commande de l’EOC, cultive un climat instable et intranquille, en tension panique, sur lequel l’incise de l’alto solo semble souligner les pointes interrogatives d’un matériau musical à la fois grave et toujours vibratile. Le noir de Soulages (découvert, ressenti à travers les vitraux de Sainte-Foy de Conques en 2014) inspire à Canat de Chizy, une immersion active dans les moirures infimes, la vibration propre du noir sur le noir ; la profondeur et la tension de la couleur sont exprimées par le chant de l’alto dont le timbre âpre, parfois rugueux, plonge au plus profond de la couleur pour en restituer l’extraordinaire richesse mouvante, comme une tragédie persistance, affûtée, sinueuse, silencieuse. Le parcours musical expérimente une sorte d’éblouissement statique, une révélation, celle de la lumière du noir, ses miroitements infinis, jusqu’au « blanc », 5ème stance dont parle l’auteure. La direction du chef convainc par sa précision , sons sens des équilibres comme des contrastes.

 

 

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CRITIQUE CD événement – Waves / Edith Canat de Chizy : Missing II, Outrenoir, Vagues se brisant contre le vent, Pluie, vapeur, vitesse / EOC Ensemble Orchestral ContemporainBruno Mantovani (1 cd Paraty – enregistrement réalisé en 2020 et 2022 – CLIC de CLASSIQUENEWS printemps 2023

 

 

 

 

 

LIRE aussi notre ANNONCE du CD Waves / Edith Canat de Chizy / EOC Ensemble Orchestral ContemporainBruno Mantovani (1 cd Paraty – enregistrement réalisé en 2020 et 2022 – CLIC de CLASSIQUENEWS printemps 2023 : https://www.classiquenews.com/cd-evenement-annonce-edit-canat-de-chizy-waves-ensemble-orchestral-contemporain-bruno-mantovani-direction-1-cd-paraty-records/

 

 

 

 

 

ENTRETIEN

 

 

ENTRETIEN avec Bruno Mantovani… WAVES est le dernier album de l’EOC, Ensemble Orchestral Contemporain que dirige le compositeur Bruno Mantovani. Le programme du cd (édité par Paraty, avril 2023) offre une collection spectaculaire des œuvres d’Edith Canat de Chizy qu’inspire en particulier l’œuvre des peintres. Sincérité, clarté, métier… sont les qualités fortes d’une écriture originale d’autant plus qu’elles semblent s’accorder à la formation orchestrale. Point sur le travail de l’orchestre, l’écriture musicale et le choix des compositeurs en résidence, récurrence féconde, au sein de l’EOC…

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CLASSIQUENEWS : D’une façon générale, en quoi le choix et la réalisation des partitions d’Edith Canat de Chizy reflètent-ils parfaitement le travail et la ligne artistique de l’EOC ?

BRUNO MANTOVANI : Edith est le premier compositeur que j’ai décidé de mettre à l’honneur à mon arrivée à l’ensemble. J’admire énormément son travail, c’est une musicienne qui ne contourne pas les questionnements essentiels de notre art en se dissimulant derrière des artifices. L’EOC n’est pas un ensemble d’école, je veux dire par là que son identité repose sur une forme d’ouverture esthétique. Le plus important pour l’EOC est de ressentir au-delà des notes la sincérité de son auteur. Et Edith est une musicienne éminemment sincère.

 

 

CLASSIQUENEWS : Comment caractériser pour les néophytes et les mélomanes en général, l’écriture d’Edith Canat de Chizy ? En quoi le fait de s’inspirer de tableaux et du travail des peintres, donne-t-il à sa musique, une couleur particulière ?

BRUNO MANTOVANI : Edith est violoniste d’origine et elle conserve de la pratique de son instrument un sens aigu de la mélodie. C’est aussi une coloriste et une hédoniste. Elle aime les harmonies claires qui structurent des formes évidentes. Il n’y a nul besoin d’avoir une culture encyclopédique de la création musicale pour être touché par son travail. En revanche, elle est aussi une musicienne savante, je veux dire par là qu’elle fait preuve d’un métier absolument infaillible qui impressionne les spécialistes du genre.

 

 

CLASSIQUENEWS : Pendant les sessions d’enregistrement, avez-vous dans le travail avec la compositrice, modifié ou « aménagé » certains aspects de la composition originelle ?

BRUNO MANTOVANI : A la marge, il arrive de discuter d’une dynamique, d’un phrasé mais globalement, les musiciens qui ont une excellente écoute intérieure (ce qui est le cas d’Edith) écrivent précisément ce qu’ils ont envie d’entendre. Le propos est limpide, reste juste à le respecter !

 

 

CLASSIQUENEWS : L’écoute du cycle complet permet-il de distinguer une évolution de l’écriture, des tendances de l’inspiration ?

BRUNO MANTOVANI : Je pense que les formations déterminent plus les enjeux que la période d’écriture. Edith est une compositrice prolixe, mais à l’évidence, son langage s’adapte à l’effectif. Elle n’est pas la même quand elle compose un concerto pour un instrument à cordes et une pièce d’ensemble.

CLASSIQUENEWS : Allez-vous approfondir encore le principe de la résidence de compositeurs/trices au sein de l’EOC ? Y a t il des projets dans ce sens que vous aimeriez réaliser ? Pourquoi ?

BRUNO MANTOVANI : En effet, Marc Monnet est à l’honneur à l’EOC depuis plus d’un an. Puis c’est Philippe Hurel qui nous accompagnera pendant deux saisons. Il est important pour les interprètes de se familiariser avec le style d’un compositeur et il n’y a rien de mieux que la récurrence pour cela.

 

 

Propos recueillis en mai 2023

 

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