Alors qu’un communiqué, envoyé la veille par le service Communication de l’Opéra Nice Côte d’Azur, nous annonçait la nomination (avec effet immédiat !) du chef niçois Lionel Bringuier comme Chef Principal de l’Orchestre Philharmonique de Nice (à la place de Daniele Callegari, qui occupait ce poste depuis 2019…), c’est ce même chef que l’on retrouvait, le lendemain 9 décembre, à la tête de la phalange dont il détient désormais les rênes, pour un concert symphonique sis dans la magnifique enceinte du Théâtre de l’Opéra de Nice (et dans lequel – nous offre comme anecdote Bertrand Rossi, le directeur de l’institution azuréenne, en propos d’après concert – le bébé Bringuier, âgé de seulement 11 jours, franchissait déjà le seuil de l’opéra niçois, lové dans les bras de sa maman mélomane !). 37 ans plus tard, le “rêve est devenu réalité”, s’exprime à son tour le principal intéressé après le vibrant hommage adressé par Bertrand Rossi en présence du Maire Christian Estrosi et de tout un aréopage de « personnalités » locales… ainsi que d’une salle chauffée à blanc et pleine à craquer ! Chauvin ou pas, le public niçois fait un triomphe à l’heureux élu, après lui en avoir fait un pour sa flamboyante direction musicale d’un concert où Moussorgski, Ravel et Stravinsky étaient mis à l’honneur !
Et c’est avec Une Nuit sur le Mont-Chauve de Moussorgski, dont simplement quelques esquisses furent établies par Moussorgsky pour être vraiment composée par Rimsky-Korsakov, que la soirée débute. Les mouvements amples et précis du chef permettent à la phalange niçoise de donner à la “Scène de sabbat” tout son relief, ses couleurs sombres, ses rythmes diaboliques puis la délivrance, dans le bruissement des cloches chassant les esprits maléfiques et l’arrivée de l’aube balayant les fantasmes de la nuit. La fin de cette évocation fantastique ne manque pas d’être applaudie par un public déjà conquis, et qui n’en demandait pas moins que cet irrésistible voyage pour débuter une soirée qui s’annonce alors parfaite. Et c’est alors l’un des meilleurs ambassadeurs du piano français, le fringant Alexandre Tharaud, qui fait ensuite son entrée pour une exécution du fameux Concerto pour piano de la main gauche de Maurice Ravel (qu’il vient juste d’enregistrer aux côtés de Louis Langrée chez Warner Classics). Le pianiste français peut donner la mesure de son incroyable talent dans cette œuvre plutôt ingrate, mais si admirablement composée par Ravel (en 1931), marqué à la fois par la Grande Guerre et par le Jazz. Tharaud impose son autorité coutumière et déploie une puissance aussi bien qu’une richesse de toucher impressionnantes. Sans brusquer la sensibilité ravélienne, il défend une vision personnelle de la partition, soulignant bien plus sa fragilité que sa noirceur, et les deux cadences se montrent par ailleurs impeccablement maîtrisées. De son côté, l’Orchestre Philharmonique de Nice brille de mille feux et s’affirme dans sa forme des grands soirs, sous la baguette de son nouveau chef, les couleurs sombres de l’orchestration ravélienne semblant parfaitement lui convenir, y compris des soli de contrebasson et de basson d’une sombre beauté, voire des trompettes brillantes qui s’affirment avec exactement la sonorité et la puissance requises. En bis, le pianiste offre au public niçois la Gnossienne N°1 de Satie, puis une plus insolite improvisation sur la chanson “Padam, padam” d’Edith Piaf…
Après une pause bien nécessaire pour se remettre de ses premières émotions, deux pièces symphoniques viennent mettre en exergue les qualités du chef comme de l’OPN : La Suite de L’Oiseau de feu d’Igor Stravinsky puis La Valse de Maurice Ravel. Ce qui séduit à l’audition du premier ouvrage, c’est le niveau de perfection technique atteint par la phalange azuréenne sous la baguette de son ancien directeur musical, pleinement exploité ici par son nouveau ! Si les pupitres de vents ont toujours été le point fort de l’orchestre niçois, son homogénéité et sa précision dans les tutti sont désormais dignes des plus hauts éloges. Bringuier peut ainsi faire ressortir l’élégance moderniste du Sacre, en appuyant sa vision sur un orchestre qui restitue les angles saillants de la rage stravinskienne – et dont les pupitres adhèrent aux moindres indications du jeune chef. Et dans La Valse (1919) de Ravel qui lui fait suite, on retrouve les mêmes qualités que l’on a pu constater dans la confrontation entre le chef et l’œuvre ravélienne dans le Concerto de la première partie : clarté des timbres, sens du rythme, variété des couleurs… L’interprétation se hisse ainsi au plus haut niveau et le martèlement conclusif emporte l’adhésion immédiate d’un public qui fait un triomphe à Lionel Bringuier et à son orchestre !
Vivement de les retrouver les 6&7 janvier prochain (dans un programme Schumann/Berlioz), puis les 3&4 février (Chostakovitch/Tchaïkovsky) pour constater à quel point la magie opère entre l’OPN et son nouveau chef – dont nous comptons bien suivre pas à pas les aventures musicales !
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CRITIQUE, concert. NICE, Théâtre de l’Opéra, le 9 décembre 2023. MOUSSORGSKI/RAVEL/STRAVINSKY : Orchestre Philharmonique de Nice / Alexandre Tharaud (piano) / Lionel Bringuier (direction). Photos © Emmanuel Andrieu
VIDEO : Lionel Bringuier dirige l’Orchestre Philharmonique de Nice dans “Les Tableaux d’une exposition” de Modest Moussorgski à l’Opéra de Nice