Créé en 2020 à la MC2 de Grenoble, le spectacle Le Petit Livre d’Anna Magdalena Bach écrit et mis en scène par Agathe Mélinand est repris au Théâtre de l’Athénée à Paris. Inspiré du Notenbüchlein d’Anna Magdalena Bach (1725), et du film Chroniques d’Anna Magdalena Bach (de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, 1968, où le grand Gustav Leonhardt joue le rôle de l’un des plus grands musiciens de l’histoire), ce théâtre musical retrace la vie de la seconde épouse de Johann Sebastian Bach, dans une succession de récits sobres entrecoupés par la musique de J.S. Bach, Carl Philipp Emmanuel Bach et Francois Couperin.
Au milieu de la scène, un clavecin tenu par Béatrice Martin et un piano moderne joué par Charles Lavaud. L’association de ces deux instruments est suffisamment rare pour intriguer. Les deux instruments doivent être accordés de la même manière, très certainement à tempérament égal à 440 ou 442Hz, et ils sont parfois joués ensemble. Au début, cela fait un effet très étrange, mais l’oreille s’habitue vite. La présence de piano serait un symbole de l’intemporalité de la musique de Bach, mais l’interprétation de Charles Lavaud avec beaucoup de pédale forte brouille la clarté de la partition et la transforme parfois en une musique romantique presque sentimentale. À deux ou trois reprises, Béatrice Martin part au fond de la scène, côté jardin, pour jouer de petites pièces sur clavicorde. Le faible volume de cet instrument nous invite à tendre très attentivement l’oreille. La metteuse en scène a-t-elle recherché le secret le plus intime de la famille Bach dans ce son confidentiel ?
Car il s’agit bien de l’intimité d’une famille à laquelle on assiste, à travers l’histoire d’une femme. Cantatrice, Anna Magdalena Bach a épousé Johann Sebastian Bach à l’âge de vingt ans, mais sera vite interdite de chanter devant le public dans la culture protestante. Des treize enfants qu’elle a eus, cinq seulement ont survécu. Christine Brücher et Fabienne Rocaboy énumèrent les noms de chaque enfant, la date de leur naissance et de leur mort, le plus simplement possible, comme si elles lisaient une liste quelconque, comme si ces événements heureux ou malheureux étaient finalement comme une routine qui s’inscrivait dans le temps. Cependant, la perte d’un enfant n’est jamais banale… Le ton des deux comédiennes, toujours retenu, exprime la vie constante d’Anna Magdalena consacrée à l’affaire familiale ; l’absence de l’expression exubérante dans le récit est émouvante, d’autant que les costumes invitent à la nostalgie, quand bien même « retransposés », car ils ressemblent aux habits de jeunes écolières des années 1950 (y compris leurs coiffures…), et suscitent le sentiment de discipline, discipline auquel Anna Magdalena a dû s’imposer entre les constantes grossesses, l’éducation de ses enfants et la copie des partitions de son époux.
Quelques lampes de tables à abat-jour, posées à même le sol avec un bel alignement, et les jeux de lumières (Michel Le Borgne) sont les seuls éléments d’une scénographie qui confèrent une grande poésie et un peu de gaieté dans ce spectacle où les émotions s’expriment avec beaucoup de pudeur.
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CRITIQUE, concert. PARIS, Théâtre de l’Athénée, le 3 décembre 2023. MELINAND : Le Petit Livre d’Anna Magdalena Bach. Béatrice Martin (clavecin et clavicorde), Charles Lavaud (piano), Christine Brücher et Fabienne Rocaboy (comédiennes).
VIDEO : Teaser du « Petit livre de Magdalena Bach » (d’Agathe Mélinand) au Théâtre de l’Athénée