Coffret cd, compte rendu critique. IntĂ©grale Ravel par Lionel Bringuier (4 cd Deutsche Grammophon). PremiĂšre saison symphonique de Lionel Brunguier Ă ZĂŒrich... VoilĂ une premiĂšre somme orchestrale dont tout jeune chef pourrait ĂȘtre particuliĂšrement fier, enregistrĂ© par un label prestigieux dont chaque volet enregistrĂ© sĂ©parĂ©ment, compose aujourd’hui cette intĂ©grale captivante. NĂ© niçois en septembre 1986, le maestro français Lionel Bringuier va souffler prochainement ses 30 ans. Et pourtant force est de constater une sensibilitĂ© vive et analytique, douĂ©e de respirations magiciennes dans le sillon tracĂ© par ses prĂ©dĂ©cesseurs, les premiers enchanteurs dĂ©jĂ collaborateurs de Decca / Philips, Ă leur Ă©poque, dĂ©fenseurs passionnĂ©s / passionnants d’un rĂ©pertoire romantique et moderne français qui s’affirmait sans qu’il soit besoin d’Ă©taler aujourd’hui presque exclusivement l’argument des instruments d’Ă©poque. La seule sensibilitĂ© instrumentale de chaque tempĂ©rament fĂ©dĂ©rateur, sa science personnelle des nuances et des dynamiques… – les Ansermet, Martinon, Cluytens et hier, Armin Jordan, suffisait alors Ă dĂ©montrer une maĂźtrise vivante de l’Ă©loquence orchestrale symphonique Ă la française. Le jeune Bringuier serait-il animĂ© par le mĂȘme souci d’Ă©loquence et de style ?
A Zurich, directeur musical de la Tonhalle, un chef français rĂ©alise une premiĂšre intĂ©grale ravĂ©lienne captivante…
Prodiges ravéliens de Lionel Bringuier
L’Ă©lĂšve de Zsolt Nagy au Conservatoire de Paris, laurĂ©at du 25Ăšme Concours de Besançon 2005 (grĂące Ă la Valse du mĂȘme Ravel), affirme ici dans les champs ravĂ©liens, une tension ciselĂ©e souvent irrĂ©sistible, mĂȘme si la prise de son trop flatteuse souvent, exacerbe la plĂ©nitude sonore plutĂŽt que sa transparente clartĂ©. Un manque de dĂ©tail et de ciselure arachnĂ©nenne qui ne doit pas ĂȘtre attribuĂ© Ă la direction fine, articulĂ©e, subtilement dramatique du jeune maestro. Ce sont moins les Concertos pour piano (avec le concours de l’excellente mais un rien trop technicienne pianiste chinoise Yuja Wang en avril 2015) que les pages purement orchestrales, nĂ©cessitant lyrisme, dĂ©tail, feu dramatique qui confirment le tempĂ©rament du directeur musical, assistant de Salonen Ă Los Angeles (2007), puis chef associĂ© nommĂ© par Gustavo Dudamel.
Les 4 cd édités par Deutsche Grammophon regroupent les premiÚres réalisations officielles de Lionel Bringuier comme nouveau directeur musical de la Tonhalle de Zurich, depuis septembre 2014, successeur de David Zinman. Tous, live de septembre 2014 à novembre 2015 montrent la complicité évidente entre chef et instrumentistes. Analysons les apports des cd les plus intéressants.
CD1 : ShĂ©hĂ©razade scintille de lueurs inĂ©dites, roussĂ©liennes, entre tragĂ©die, mystĂšre et texture allusive ; Tzigane souffre d’un trop plein d’ardeur (Ray Chen peu subtil) ; Le tombeau de Couperin en revanche offre un beau festin de couleurs instrumentales.
CD2 : Si le Oncerto pour piano en sol majeur est trop percutant pet pas assez allusif (pianisme incisif de la soliste chinoise, certes prĂ©cise mais peu subtile), les Valses nobles et sentimentales Ă©talent une souple et flamboyante texture ; et Ma MĂšre l’Oye convoque toute la magie et la nostalgie du Ravel conteur, prophĂšte d’un raffinement et d’une Ă©lĂ©gance exceptionnelle. Lionel Bringuier, ravĂ©lien engagĂ© et soucieux, tisse une Ă©toffe orchestrale des plus soignĂ©es, Ă la fois, dĂ©taillĂ©e et d’une grande ductilitĂ© expressive.
Le CD 3 montre la direction sous un jour un peu trop dĂ©taillĂ© et prĂ©cautionneuse (dĂ©roulĂ© et continuitĂ© des 4 Ă©pisodes de la Rhapsodie espagnole) ; cependant que Alborada del Gracioco enchante littĂ©ralement ; mais c’est Ă©videmment La Valse – morceau de bravoure qui valut Ă l’intĂ©ressĂ© son fameux Prix de Besançon et le dĂ©clic pour sa carriĂšre internationale qui s’impose Ă nous : confirmation d’un beau tempĂ©rament, habile dans le fini instrumental et d’une Ă©coute attentive Ă la progression enivrante du poĂšme chorĂ©graphique dont il souligne les Ă©clairs mordants, cyniques, l’ivresse Ă©chevelĂ©e, Ă la fois dĂ©construite et organiquement structurĂ©e. Le travail sur les bois est en particulier flamboyant et magnifiquement ciselĂ© ; on comprend que d’une telle vision / comprĂ©hension, l’Ă©coute en sorte comme saisie par tant de contrastes maĂźtrisĂ©s, jouant sur la volubilitĂ© des instruments et l’Ă©lan collectif comme vĂ©nĂ©neux, emportant vers la transe finale. Un sacre du printemps ravĂ©lien, aux forces chtoniennes soumises au moulinet le plus raffinĂ©. Pour autant la mĂ©canique est idĂ©alement huilĂ©e, dĂ©taille tout… pourtant l’on se dit que si le technicien si douĂ© y mettait la vraie urgence, un feu irrĂ©pressible, la direction en serait non seulement magistrale mais rĂ©ellement captivante… Finalement le maestro qui ne peut que progresser nous promet de futurs accomplissements (Ă l’opĂ©ra entre autres ? et par Richard Strauss dont les poĂšmes symphoniques pourraient ĂȘtre bonne amorce..?). De toute Ă©vidence Ă suivre.
CD 4 : c’est le morceau de bravoure et le lieu des rĂ©vĂ©lations comme des accomplissements s’il y a lieu. Le ballet ici dans son intĂ©gralitĂ©, Daphnis et ChloĂ©, doit d’abord, enchanter, plus instinctif et d’une vibration allusive plutĂŽt que dĂ©crire ou exprimer. L’Ă©noncĂ© est certainement moins murmurĂ© et mystĂ©rieux que Philippe Jordan dans son excellente version parue en 2015, MAIS l’acuitĂ© des arĂȘtes orchestrales, l’intelligence globale, l’hĂ©donisme scintillant, bien prĂ©sent, se rĂ©vĂšlent malgrĂ© une Ă©toffe sĂ©ductrice souvent entiĂšre encore pas assez polie, ni filigranĂ©e, d’une plĂ©nitude amoureuse, manquant parfois et de tension et de lĂącher prise. Le jeune chef aurait-il dĂ» encore attendre avant d’enregistrer ce sommet de symphonisme français ? … assurĂ©ment, mais il y reviendra. Car si l’Ă©noncĂ© est parfois trop explicite, et les contours comme les passages pas assez modulĂ©s ni nuancĂ©s (Danse gracieuse de Daphnis… trop claire, trop manifeste, et mĂȘme trop appuyĂ©e ; mĂȘme traits trop Ă©pais et marquĂ©s pour l’enchantement nocturne de Pan qui clĂŽt le premier tableau…), la baguette sait danser, et mĂȘme s’enfoncer dans le mystĂšre, dans l’ivresse infinie, confinant Ă l’immatĂ©rialitĂ© atmosphĂ©rique. Evidemment emportĂ© par le sens narratif plus facile, le chef rĂ©ussit davantage Danse gĂ©nĂ©rale, Danse grotesque de Dorcon, … tout ce qui rĂ©clame le manifeste et l’expressif (Danse guerriĂšre, Danse suppliante du II…).

L’enchantement de l’aube ouvrant le III, manque lui aussi de scintillement mĂȘme si l’on reconnaĂźt une trĂšs belle parure analytique. Le travail est nĂ©anmoins splendide, techniquement et esthĂ©tiquement convaincant, Ă dĂ©faut d’y contenir ce supplĂ©ment d’Ăąme et de mystĂšre qui font tant dĂ©faut. Si l’on exprime nos rĂ©serves c’est que passionnĂ©s par Ravel comme le chef, nous espĂ©rons que dans un second temps, (prochain?), le maestro nous comble cette fois, au-delĂ de l’Ă©loquence flamboyante trouvĂ©e ici malgrĂ© son jeune Ăąge. En dĂ©pit de nos rĂ©serves, le contenu de cette premiĂšre saison zĂŒrichoise de Lionel Bringuier, audacieux defenseur de la musique française s’impose Ă nous avec force et Ă©clat. MĂȘme s’il y manque la profondeur et la subtilitĂ© espĂ©rĂ©es, le rĂ©sultat est convaincant, prometteur. C’est donc un CLIC d’encouragement et l’espĂ©rance que les prochaines rĂ©alisations iront plus loin encore dans le sens d’une absolue finesse suggestive.
CD, coffret Maurice Ravel : intĂ©grale des Ćuvres orchestales / complete orchestral Works. Lionel Bringuier. Tonhalle-Orchester ZĂŒrich (avec Yuja Wang, piano ; Ray Chen, violon) / 4 cd Deutsche Grammophon, live 2014-2015). CLIC de CLASSIQUENEWS.