Le chef Jean-Yves Ossonce – directeur des lieux-, retrouve Paul Emile Fourny après un Roméo et Juliette déjà convaincant. L’inspiration du metteur en scène (et directeur de l’Opéra de Metz), redouble même de pertinence dans ce triptyque (Il Trittico) où l’efficacité théâtrale prolonge Verdi pour atteindre un impact rare, d’un esthétisme… cinématographique. Le choix du metteur en scène s’est porté sur le jeu d’acteurs (impeccable de bout en bout), laissant la place aux protagonistes de la nouvelle production (créée en Slovénie jusqu’alors inédite en France).
Quai de Seine, cloître des recluses, maison familiale… : chaque univers du Trittico est scrupuleusement respecté, rehaussé même par l’intelligence du propos visuel ; la leçon de Puccini, deux tragédies préalables, une comédie fine, rossinienne et verdienne, est restituée dans tout sa force et son délire poétique. Un tel jeu des contrastes est un terrible défi pour les metteurs en scène (et aussi les chefs) : dans son déroulement, la soirée est riche en découvertes et satisfactions.
C’est d’abord, le jeu exceptionnellement fluide et nuancé du baryton Tassis Christoyannis (applaudi auparavant pour un Don Giovanni impeccable et mordant) : sombre Michele dans Il Tabbaro (à l’issue sauvage et barbare : Paul-Emile Fourny reprend le premier canevas de Puccini, celui des deux morts finales): tout en regards millimétrés, en gestes et postures naturels, le chanteur se montre un formidable acteur qui sait aussi exprimer les failles non dites du patron de Luigi : un être déchiré que la perte de l’amour de sa femme (et de leur enfant) a précipité dans l’amertume haineuse, silencieuse et… meurtrière.
Quel contraste avec son délire burlesque et lui aussi parfaitement mesuré, d’une finesse rare, pour Gianni Schicchi : son intelligence lumineuse et positive contraste avec le profil étriqué et gris de la famille du défunt ; les sketches s’amoncellent sur la scène sans pourtant encombrer la finalité et l’enjeu de chaque situation, et fidèle à son fil rouge qui est l’eau, d’œuvre en œuvre, Paul-Emile Fourny fait traverser des eaux d’égout aux personnages qui viennent visiter le mort et ses héritiers… eaux boueuses et sales pour une famille de sacré filous âpres au gain. La cohérence de chaque rôle est formidable ; elle offre une leçon de pétillance et de saine comédie. C’est drôle et léger, mais aussi outrageusement juste et profond. La dernière réplique (parlée) de Gianni, à l’adresse du public, n’en gagne que plus de pertinence.
Dans le volet central, le plus bouleversant, Suor Angelica, le soprano tendre et intense de Vannina Santoni éblouit la scène par sa présence simple, elle aussi d’une absolue justesse d’intonation. Femme condamnée par sa famille au cloître, Angélique doit renoncer à tout et finit suicidaire après avoir appris que son garçon était mort depuis… 2 ans. Celle à qui tout fut exigé jusqu’au sacrifice de sa propre vie, exulte ici avec une intensité contenue, un feu émotionnel qui va crescendo jusqu’à la mort. Le style, l’économie, la concentration de Vannina Santoni nous hantent encore par leur exactitude, et aussi une grande humilité qui est toujours le propre des grands interprètes.
Courrez voir et applaudir ce Triptyque nouveau à l’Opéra de Tours, d’autant qu’en chef lyrique aguerri, Jean-Yves Ossonce apporte le soutien et l’enveloppe instrumentale idéale aux chanteurs : travail d’orfèvre là encore où outre les somptueux climats symphoniques, – parisien au bord de la Seine dans Il Tabbaro, de l’enfermement ultime pour Suor Angelica-, le chef construit le dernier volet tel une comédie chantante, vrai théâtre musical qui grâce au délicat équilibre voix / orchestre réussit totalement cette déclamation libre et articulée dont Puccini a rêvé : une farce légère et subtile sertie comme un gemme linguistique. Où l’on rit souvent, où l’on est touché surtout. Superbe production. Encore une date, le 17 mars à 20h.