vendredi 11 octobre 2024

Compte rendu critique, opéra. Nantes, Théâtre Graslin,  le 13 mars 2015. Korngold : La Ville Morte,  Die Töte Stadt,  1920. Daniel Kirch (Paul), Helena Juntunen (Marietta / Marie), Maria Riccarda Wesseling (Brigitta), Alex (Franck), (Pierrot)…. ONPL.  Thomas Rösner,  direction. Philipp Himmelmann,  mise en scène.

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La Ville morte c’est Bruges selon la vision de Paul : un monde sans espoir ni rémission. Le veuf inconsolable depuis la perte de son épouse Marie, s’enfonce dans un état dépressif dont l’opéra offre plusieurs facettes délirantes quoi qu’intensément poétiques.  C’est le génie du compositeur qui la vingtaine triomphante, assure à l’orchestre une langue flamboyante inversement suractive à l’apathie du héros.

Mort et illusion

korngold-ville-morte-nantes-opera-graslinSoulignons d’emblée, la direction qui souligne le flux organique la démesure délirante et orgiaque de l’écriture orchestrale tout en n’oubliant pas toutes les autres sources et climats auxquels le jeune prodige Kongold a su puiser : l’incroyable sensualité de la Salomé de Strauss (pour les scènes de Marietta), les accents épiques et l’atmosphère mystérieuse et fantastique de La femme sans ombre du même Strauss,  l’expressionnisme post romantique d’un Schoenberg,  l’instrumentation mahlérienne aussi (ses climats et alliances instrumentales singulières), sans omettre l’orientalisme mélodique caressant, élégantissime d’un Lehar.  Cette culture musicale plutôt dense, se révèle dans la direction du chef Thomas Rösner et tout le mérite lui revient de porter l’architecture dramatique d’une oeuvre miroitante, en bien des points de vue fascinante : la succession des épisodes si contrastés dont il rétablit sous l’ampleur cinématographique de l’écriture symphonique,  la charge satirique et souvent grinçante du drame : tout le tableau dyonisiaque et délirant (parodie de Robert le Diable à l’acte II) où Paul imagine Brigitta en nonne – un nouvel avatar pour celle qui vit dans l’adoration,  de Paul puis de Dieu,  selon les propres termes de l’excellente mezzo Maria Riccarda Wesseling. C’est surtout un tableau charge contre la pensée corsetée du veuf, contre l’image de Brugges la morte (et la très pieuse) qui s’interdit tout nouveau souffle.

Dans ce parcours spirituel et chaotique qui met en images le délire dépressif du héros percent plusieurs scènes et tempérament. La romance fascinée du Pierrot,  véritable double parodique de Paul, (somptueuse valse nostalgique « mon désir,  mon délire…. ») la propension du drame pour le cauchemar et l’angoisse déformante qui fait naître dans l’esprit dépressif du pauvre Paul,  une tangible course à l’abîme. Le timbre articulé et subtilement suave du jeune baryton John Chest est à saluer.
L’ivresse dont se réclame la si lascive Marietta est exprimée par l’enflure océane de l’orchestre,  un prolongement naturel du Strauss de La Femme sans ombre dont l’effectif orchestral est, comme ici, le plus vaste du répertoire.

La proposition scénique de Philipp Himmelmann donne à voir la folie difractée de Paul sous l’aspect d’une plateforme divisée en 6 cubes espaces, tour à tour éclairés, dont l’action est parfois simultanée.

Magique vidéo

korngold-juntunen-helena-marietta-opera-nantes-graslin-jusqu-au-17-mars-2015Le tableau le plus réussi reste l’apparition en grand écran de l’image de Marie l’épouse morte de Paul avec laquelle il communie concrètement aux portes de la folie : le dispositif est l’un des plus impressionnants de toutes les installations vidéos que nous avons pu voir jusque là : il ne s’agit plus d’une effet plaqué ni d’un gadget mais de l’expression la plus juste du monde surnaturel et fantastique qui colorent alors cette scène de résurrection : le duo qui se développe alors entre ce visage démesuré et vivant, et Paul enfoncé dans le culte de la défunte,  frappe par sa justesse,  sa profondeur, sa magie visuelle. Le dispositif évoque très précisément la distanciation des deux mondes réunis,  comme il rend très vivante la présence obsessionnelle dans l’esprit de Paul,  de son épouse.  Le fait que cette image projetée est en fait réalisée en direct dans un studio derrière la scène (la cantatrice chante en temps réel),  ajoute à la force stupéfiante de cette image ; il grandit aussi le mérite qui revient à la soprano incarnant Marie et Marietta : fabuleuse et vénéneuse Helena Juntunen,  soeur aînée de Salomé,  ou mieux Salomé elle même,  si elle n’avait pas été tuée par Strauss (à la fin de l’opéra éponyme : ici Marietta incarne toutes les sirènes vampirisantes et vénéneuses dont Paul très croyant s’interdit un temps le commerce…).

Bête de scène,  diffusant / incarnant cette ivresse sensuelle avec une innocence perverse,  la soprano finlandaise illustre idéalement cette créature provocante et dominatrice que Paul réussit un temps à neutraliser avant de succomber honteusement à ses charmes: il n’est que la mort pour effacer cette figure démoniaque pour apaiser l’esprit d’un Paul trop faible et coupable.
Qu’il ait rêvé ou pas,  Paul reste seul sur scène définitivement accablé par ses propres doutes. Pour lui les choses sont claires : ni rédemption ni salut. De ce fait, même s’il nous a semblé fatigué, avec des aigus tirés, le ténor Daniel Kirch relève les défis d’un rôle continûment exigeant qui réclame une endurance sans pareil au sein du répertoire. Vocalement perfectible,  l’intonation est juste et la faiblesse du veuf idéalement dépressive. Interdit de résurrection,  Paul semble finalement inerte dans son cube cercueil.

Mais pourtant,  quel somptueux cataclysme orchestral la fosse a su nous distiller. L’opéra se nourrit des désirs,  délires et fantasmes du héros. Qu’il les rêve ou les vive réellement, Paul est un archétype du héros solitaire romantique post wagnérien  la réussite de Philippe Himmelmann est de nous en offrir une flamboyante mise en image. Ici le rêve le dispute au cauchemar,  le réel à l’illusion, … l’opéra est une machine enchanteresse.  Après avoir vu la production présentée à Nantes,  nous n’en doutons pas. Voici assurément avec la Tristan und Isolde de Wagner version Olivier Py,  l’un des spectacles les plus envoûtants présentés par Angers Nantes opéra … on rêve d’y applaudir bientôt ce qui en serait un prolongement naturel par l’onirisme promis comme l’envoutement orchestral ( et avec un plateau vocal à l’avenant): la déjà citée Femme sans ombre de Richard Strauss, Die frau ohne schatten de 1919).

Compte rendu critique, opéra. Nantes, Théâtre Graslin,  le 13 mars 2015. Korngold : La Ville Morte,  Die Töte Stadt,  1920. Daniel Kirch (Paul), Helena Juntunen (Marietta / Marie), Maria Riccarda Wesseling (Brigitta), Allen Boxer (Franck), (Pierrot)…. ONPL.  Thomas Rösner,  direction. Philipp Himmelmann,  mise en scène.

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