CD, compte rendu critique. Rolando Villazon, ténor : Treasures Of Bel Canto (2014, 1 cd Deutsche Grammophon). Rolando retour au bel canto… prolongeant ou approfondissant son exploration récente dans Mozart, qui est, tous les grands chanteurs le savent, un baume pour les voix, Rolando Villazon éprouve les défis du bel canto : bellinien, verdien, donizettien, s’accordant aussi la légèreté érudite du dernier Rossini. Plus qu’une épreuve, ce récital libère un chant maître de ses effets : plus économes, plus précis aussi dont plus touchant. Timbre flexible, aigus couverts et timbrés, parfois serrés, mais l’intonation cherchant à servir le texte rien que le texte et pas l’expressivité… font ici la réussite totale de ce récital qui signe le grand retour du ténor mexicain. Nous l’avions quitté chez Mozart, dans L’Enlèvement au sérail où nouveau jalon de l’intégrale en cours avec son complice à Baden Baden, le chef Yannick Nézet-Séguin, il chantait la partie de Pedrillo, plutôt fort bien : les mêmes qualités se retrouvent ici dans le sens (méritant) de la mesure, de l’élégance, écartant tout clin d’oeil ou pochade dans un surjeu douteux : les quatre mélodies d’ouverture de Bellini permettent de chauffer en douceur et en intensité réservée, une voix qui sait se reconstruire dans le respect précis et sobre du texte (belle douceur mozartienne du mini drame Torna, vezzosa Filide… y compris dans sa dernière séquence plus passionnelle et dramatique où le berger trahi, crie et pleure l’absence du cher visage de Phyllis) : le chef et l’orchestre florentin savent se mettre au diapason de cet chant direct, sobre, sincère, sans effets factices.
Le récital enregistré en septembre 2014, il y a donc un an, après son Pedrillo précité, confirme donc une régénération salutaire et même prometteuse : que le chanteur reprenne le chemin des grandes prises de rôles, c’est tout le mal que nous lui souhaitons.
Bellini, Verdi, Rossini, trois mélodistes pour une résurrection vocale
Grand retour de Villazon par le chant romantique
Comme s’il devait se ménager, le ténor retrouve une certaine candeur, une fraîcheur stylistique qui lui permet de phraser et de colorer avec un tact stimulant. Le pas vers une expressivité plus franche et sauvage (comparée à la distinction et la finesse du bel canto bellinien) est évidemment clairement réalisé dans les 4 Verdi, dont la première mélodie (Deh, pietoso, o Addolorata…) celle d’un coeur amoureux désespéré s’adressant à la Vierge miséricordieuse et compatissante permet un contrôle tout aussi intelligent des possibilités : expressif et proche du texte (d’après Goethe), plutôt que démonstratif et exclamatif. L’expérience du chanteur se ressent dans ce geste contrôlé en permanence qui évite les débordements du pathos. Le feu ardent, intérieur, lui aussi mesuré en surface mais dévorant, et culminant dans l’enfouissement reste l’emblème de ce récital très incarné, mais habité dans l’introspection : la dernière mélodie verdienne est à ce tire emblématique de cette acuité vocale, intensité incandescente qui pourrait se déverser mais sait grâce au style du ténor, mesurer, et canaliser son élocution : la maîtrise du nouveau Villazon s’expose avec vérité et sincérité dans la confession de l’amant qui avoue ainsi son terrible secret (le titre de la séquence) : un torrent de feu qui le consume de l’intérieur. Ce Mistero, sur un texte de Felice Romani, le librettiste de Bellini, assurant ainsi le passage de Bellini à Verdi) recueille tous nos suffrages pour son économie et son intensité rentrée qui dans une projection franche pourtant, reste toujours souple et phrasée. La classe qui révèle en Villazon, un grand diseur.
A mi chemin au sein du récital, que donnent ses Donizetti, apôtre d’un réalisme parfois sauvage ? L’amor funesto conserve un style impeccable : ni ports de voix impétueux, ni effets de gorge ni appuis surexpressifs… Le ténor nous gratifie de la Mère et l’Enfant chanté en français, une séquence conçue dans le registre larmoyant mais digne. Même si l’air semble trop grave pour le chanteur, sa gestion du souffle, la pureté de la ligne, l’expressivité très mesurée, et des aigus nets et perçants (Du pain, du pain pour mon enfant), avec certes un abattage très accentué (mais cela fait partie de son charme) font toute l’intensité de son interprétation, s’agissant de l’une des rares mélodies françaises de Donizetti, à écouter en urgence.
Les Rossini permettent de conclure ce récital avec toute la subtilité dont est capable le compositeur romantique épris de finesse et de subtilité : le chef et l’orchestre s’accordent et réservent un tapis instrumentalement raffiné qui porte de toute évidence le chant toujours sobre du ténor (L’éxilé) ; jouant de façon très efficace des registres poétiques, la noblesse et l’héroisme de façade n’étant jamais éloignés d’une certaine couleur facétieuse, Rossini excelle dans la mélange des genres, mine de rien : une érudition très inspirée qui sied idéalement à Villazon.
Plus exposé dans La Danza, mais sur un tempo allegro ma non troppo, le ténor soigne son articulation, évitant soigneusement les cracs, exprimant ce vertige de la danse la plus féline, essor d’une voluptueuse extase où la frénésie sait garder le cap. Propre aux délicieux Péchés de vieillesse, Villazon, empruntant les chausses du ménestrel enamouré à Elvira, se met au diapason de la verve toute en finesse d’un Rossini souvent imprévisible et toujours d’une séduction irrésistible. Villazon sans appuyer, sans forcer, sans démontrer nous offre ce sentiment d’abandon, d’ivresse, de plénitude voluptueuse (accordé à la harpe) là aussi avec un style simple, réellement délectable. Du grand art.
Presque moqueur pour son duo d’amoureux, pour lequel Villazon est rejoint par Cecilia Bartoli, La Tiranna pour deux voix : Les Amants de Séville, chanté en français, sonne très opéra comique. La finesse millimétrée des deux solistes qui soignent la fusion des timbres, éclairent cet humour insigne du dernier Rossini. On ne peut imaginer meilleurs diseurs en français dans cet épisode d’une finesse amusée, qui semble parfois railler le genre amoureux. La délicatesse et le souci de simplicité que préserve toujours Rolando Villazon font la réussite de ce récital admirable en tout point, vrai indice de sa nouvelle santé vocale, de son style d’une intelligence recouvrée. Bravissimo !
CD, compte rendu critique. Rolando Villazon, ténor : Treasures Of Bel Canto. Mélodies avec orchestre de Bellini, Verdi, Donizetti, Rossini. Avec Cecilia Bartoli, mezzo soprano (Rossini). Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino. Marco Armiliato, direction. Enregistré à Florence en septembre 2014. 1 cd Deutsche Grammophon 00289 479 4959.