Rio de Janeiro, concert Bruno Procopio. Cité des Arts, samedi 4 avril 2015, 16h. Après avoir créer l’opéra de Sacchini de 1783, Renaud, dans la salle Cecilia de Meireles, superbe révélation pour les cariocas avec l’étonnante mezzo Luisa Francesconi (les 21 et 22 mars derniers), Bruno Procopio retrouve à Rio, l’OSB Orchestre symphonique du Brésil à la Cidade das Artes, dans un programme qui fête les 450 ans de la fondation de la cité carioca. Au programme, plusieurs maîtres européens : le belge Gossec et le germanique Neukomm, ainsi que deux musiciens emblématiques de l’essor de la musique savante à l’heure coloniale : Marcos Portugal (génie prossinien) et Nunes Garcia. Outre des oeuvres sacrées (Laudamus Te de la Missa Grande de Portugal, Laudamus Te de la Missa de Sainte Cécile de Garcia), le chef franco brésilien affirme sa stimulante énergie dans le genre symphonique : Symphonie pour 17 parties de Gossec et Sinfonia Heroica de Neukomm (opus 19). Dans la superbe salle de la Cité des Arts de Rio, nouvellement inaugurée, Bruno Procopio offre une nouvelle leçon de direction et de sensibilité, dévoilant dans son pays d’origine, le raffinement d’une musique qui a surtout su assimiler et réécrire les sources européennes. De Gossec et Neukomm, Bruno Procopio révèle le feu orchestral, sans omettre de révéler la profonde ferveur de la Messe testament de Nunes Garcia, compositeur emblématique de la présence du roi du Portugal Jean VI à Rio : la messe de Sainte Cécile. Le programme comprend aussi une œuvre sacrée de Marcos Portugal : la Missa Grande dont Bruno Procopio a enregistré une version pour orgue et chœur à Cuenca (Espagne) avant de diriger la pétillante comédie prérossinienne L’oro no compra amore… (un opéra savoureux aux accents prérossiniens). Le programme évoque surtout l’amitié entre compositeurs : ainsi Nunes Garcia qui se rapproche de Neukomm (dès l’arrivée de ce dernier en 1816) et grâces auquel il dirige Mozart et Haydn à Rio.
Bruno Procopio dirige les compositeurs de Jean VI à Rio de Janeiro
De Gossec et Neukomm à Nunes Garcia…
Auteur de 50 symphonies dès 1756, soit bien avant Haydn, Gossec (1734-1829) est bien l’inventeur du genre, sachant se renouveler et affirmer même l’essor de la forme purement instrumentale aux côtés de Grétry. Très proche de Mozart, Gossec enseigne aussi au Conservatoire, les spécificités de la composition entre 1795 et 1814. Le génie de Gossec récemment révélé dans son opéra Thésée (1781) qui saisit et surprend par l’ambition de l’écriture, sa spatialisation et son intensité dramatique, vrai souffle lyrique si rare à l’opéra-, tient à une pensée universelle (comme Grétry) et une adaptabilité tenace et salvatrice malgré les perturbations de la période révolutionnaire. Sous directeur de l’Académie royale de musique après Dauvergne en 1782, il dirige la nouvelle école royale de chant en 1784. Aux côtés du peintre David, scénographe des grandes cérémonies révolutionnaires, Gossec devient le principal compositeur des Républicains, accomplissant dans la musique l’esprit des Lumières. Il meurt déchu et écarté sous la Restauration à 95 ans.
Sa symphonie pour 17 parties date de 1809 et témoigne des ultimes évolutions du compositeur : Gossec qui avait connu Stamitz à Mannheim, et en proche de Mozart, affirme ici une sensibilité pour l’orchestration étonnante qui préfigure Berlioz. Jamais jouée de son vivant, la partition n’est pas publiée et frappe pourtant par le raffinement instrumental requis : flûtes, hautbois, bassons, cors par deux… elle est traversée par un souffle unique et cite même l’air des libertaires : « ah, ça ira, ça ira » dans le dernier mouvement.
Sigismond Neukomm (1778-1858) appartient à la génération postérieure à celle de Gossec. Elève du frère de Joseph Haydn (Michael), Neukomm comme Gossec favorise l’évolution du passage entre l’esprit des Lumières et le préromantisme. Voyageur assidu, Neukomm réside 5 années à Rio : il y joue Mozart où il compose un Libera me pour compléter le Requiem incomplet et devient le professeur du Roi du Brésil Jean VI. Neukomm développe aussi une activité ethnomusicale, écrivant plus de 90 œuvres inspirées directement de motifs populaires brésiliens !
Nunes Garcia est un compositeur brésilien né et mort à Rio en 1767 et 1830. Ce fils d’esclaves originaires du Minas Gerais, devient rapidement une personnalité majeure de l’essor musicale à Rio. Ordonné prêtre en 1792, devenu maître de chapelle de la Cathédrale de Rio dès 1798, Garcia compose toute la musique pour la Cour royale : il livre quantité de partitions d’une qualité évidente que traverse aussi le souci de défense des idiomes brésiliens. En 1808, quand arrive le roi du Portugal, Garcia suscite l’admiration du prince régent Jean VI, mélomane averti. Le monarque le nomme Maître de la chapelle royale dont le siège est l’église Nossa senhora do Carmo (alors élevée au rang de cathédrale). Malgré l’opposition des membres de la cour, tous originaires du Portugal, Jean VI honore son musicien métis qu’il fait chevalier de l’ordre du Christ. Garcia dut cependant accepter au poste de maître de chapelle le portugais Fonseca Portugal, venu de Lisbonne en 1811, qui devint son supérieur. En 1816, Garcia compose deux chefs d’oeuvre, commande du Tiers-Ordre du Carmel en hommage à la reine Marie Ière de Portugal : le Requiem et l’Office des défunts.
Quand arrivent les artistes de la mission française en 1816 (où figurent les peintres Debret et Taulnay, l’architecte Montigny), tous les membres venus d’Europe louent la personnalité du « mulâtre » brésilien. Garcia se lie d’amitié avec Neukomm, arrivé la même année : les deux compositeurs suscitèrent l’opposition de la Cour mais reçurent la faveur indéfectible du roi Jean VI. Grâce à Neukomm, Garcia dirige les oeuvres de Mozart (Requiem en 1819) et de Haydn (La Création en 1821).
Après la départ de Jean VI au Portugal (1821) et l’indépendance du Brésil en 1822, Garcia perd appui et protection. Cependant la Messe pour Sainte Cécile, chant du cygne de 1826, affirme un génie inégalé à son époque, heureuse synthèse entre l’écriture savante proeuropéenne et une inspiration indigène pure et noble : jusqu’à sa mort en 1830, Garcia ne cesse de réviser l’orchestration de cette Messe testament.
Brésil, Rio de Janeiro. Cidade das Artes, Cité des Arts.
Samedi 4 avril 2015, 16h.
Gabriella Pace, soprano
OSB Orchestre Symphonique du Brésil
Bruno Procopio, direction
Série 450 ans de la fondation de Rio de Janeiro (Brésil)
FRANÇOIS-JOSEPH GOSSEC
Sinfonia para 17 Partes
MARCOS PORTUGAL
Missa Grande | Laudamus Te
SIGISMUND VON NEUKOMM
Missa Solene | Quoniam
JOSÉ MAURÍCIO NUNES GARCIA
Missa de Santa Cecília | Laudamus Te
SIGISMUND VON NEUKOMM
Sinfonia Heroica, Op. 19