Michel Plasson revient à l’Opéra National de Paris pour Le Cid de Jules Massenet. Le Palais Garnier accueille la production marseillaise signée Charles Roubaud. La distribution largement francophone fait honneur à l’occasion rare et l’orchestre et choeurs de l’Opéra de Paris rayonnent par leur un bel investissement.
Le Cid de Massenet au Palais Garnier : artificielle séduction servie par un grand chef
Plasson, vive Plasson !
La première du Cid de Massenet a lieu au Palais Garnier le 30 novembre 1885 et l’œuvre est unanimement saluée par le public et la critique. Opéra ambitieux sur l’amour et sur la gloire, inspiré de la pièce historique de Guillén de Castro y Bellvis et son adaptation par Pierre Corneille, il pose quelques problèmes formels à l’heure actuelle. Le livret raconte l’histoire de Rodrigue dans l’Espagne de la Reconquista. Et comment pour venger l’offense faite à son père, Don Diègue, il finit par provoquer et tuer le père de Chimène, sa fiancée. Elle ne peut qu’exiger le châtiment de son bien-aimé mais le Roi a besoin de lui pour lutter contre les Maures. Il revient vainqueur, Chimène est terriblement partagée, mais le lieto fine arrive quand Rodrigue décide de se donner la mort … qu’elle empêche, et le Roi les unit. L’amour et l’honneur sont vainqueurs. Cette difficulté contemporaine avait déjà été ressentie par Claude Debussy qui trouva impossible d’achever son propre essai lyrique Rodrigue et Chimène, d’après la même histoire, sur le livret de Catulle Mendès.
En effet, fin XIXe siècle, le grand opéra historique est déjà essoufflé. Il l’est davantage à notre époque. Or, la partition est riche en mélodies et pleine des moments de beauté comme d’intensité ; Massenet se montre artisan solide des procédés grand-opératiques, mis au point par un Meyerbeer ou un Halévy. L’influence de Verdi est aussi remarquable. Avec des interprètes de qualité, la facilité comme l’ambition mélodique de Massenet se traduisent en grands airs impressionnants. Mais il s’agît surtout du mélodrame habituel du compositeur dont la complaisance est évidente vis-à-vis des attentes du lieu de la création de son opéra. Remarquons que la dernière fois que l’œuvre a été représentée à Paris fut en 1919 !
En cette fin d’hiver 2014 – 2015, Roberto Alagna et Sonia Ganassi interprètent le couple contrarié de Rodrigue et Chimène. Le ténor se montre toujours maître de sa langue, avec une attention à la diction indéniable, malgré la prosodie parfois maladroite et anti-esthétique du livret. Il est aussi un acteur engageant et engagé, appassionato, ma non tanto en l’occurrence. Un Divo avec plein de qualités dans une œuvre et une mise en scène à la beauté … superficielle. Remarquons néanmoins son chant passionné lors des airs « O noble lame étincelante » et « O souverain, ô juge, ô père », vivement récompensés par le public, malgré une certaine difficulté dans le dernier. Le public récompense aussi Chimène dans son célèbre air « Pleurez, pleurez mes yeux ». Ganassi fait preuve d’un bel investissement également, mais sa caractérisation du rôle met en valeur l’aspect hautain et caractériel du personnage, quand elle aurait pu davantage le nuancer. Le timbre plutôt sombre et la prestation parfois trop forte ont un effet pas toujours favorable chez l’auditoire. Inversement, le Don Diègue de Paul Gay est le véritable sommet d’expression, de précision, de justesse de la distribution. Le chanteur affirme une prestation largement inoubliable par la force et la beauté de son instrument, en l’occurrence délicieusement nuancé selon les besoins (mélo)dramatiques. Son duo à la fin du premier acte avec Rodrigue est un des nombreux moments forts le concernant.
Remarquons également la belle prestation d’Annick Massis dans le rôle de l’Infante. Du côté des femmes de la distribution, elle rayonne par la beauté exquise de son instrument, une présence scénique distinguée mais sans prétention, et une véracité émotionnelle évidente (et surprenante!) lors de ses morceaux terriblement beaux, pourtant très artificiels. Retenons entre autres sa pseudo-prière lors de la distribution des aumônes au début du IIe acte. Si le Roi de Nicolas Cavallier, correct, paraît moins noble que le Don Diègue de Paul Gay, l’Envoyé Maure interprété par Jean-Gabriel Saint-Martin est, lui, tout altier, toute agilité. Félicitons les chœurs de l’Opéra sous la direction de José Luis Basso, très sollicités pour les processions, les hymnes guerriers et religieux, les marches, etc…
La mise en scène de Charles Roubaud, dans sa transposition de l’action vers l’Espagne de Franco, demeure pourtant sans pertinence. Elle se contente souvent de suivre l’intrigue du Moyen Age, dans des habits du XXe siècle. Dans ce sens, elle s’accorde à l’opéra lui-même, d’une beauté réelle mais peu profonde, et fais très peu pour insuffler de la vitalité durable et mémorable à la partition. La mise en scène, avec ses qualités plastiques (beaux costumes et décors de Katia Duflot et Emmanuelle Favre respectivement), paraît laisser le public indifférent, dans les meilleurs des cas. Heureusement, et comme d’habitude, il revient à l’orchestre d’être le protagoniste réel de la pièce. Sous la baguette sincère et experte de Michel Plasson les instrumentistes parisiens savent être discrets et pompeux à souhait. Si personne ne prétend qu’il s’agît d’un chef-d’œuvre absolu de Massenet, nous y croirions presque devant la science si juste et si belle de Plasson, et la complicité et le respect des musiciens pour sa direction. Une œuvre rare à découvrir au Palais Garnier à l’affiche les 2, 6, 9, 12, 15, 18 et 21 avril 2015.