Vision Fugitive a créé l’événement de cette rentrée 2023
en éditant un somptueux programme Schubertien, dévoilant à travers une fabuleuse collection de lieder transcrits, une pratique historique avérée à l’époque de Schubert dans la Vienne de Maeternich : l’accompagnement de ses lieder à la… guitare.
Non seulement le guitariste Pablo Marquez et la soprano Maria-Cristina Kiehr s’accordent en complicité à exprimer toute la ciselure émotionnelle de la « sehnsucht » schubertienne (mélancolie dans le sillon des poèmes de Schiller et de Goethe, poètes concernés ici), mais leur duo réalise une toute autre conception musicale et esthétique dans l’écoute et la (re)découverte des lieder parmi les plus connus et écoutés de Schubert… On y goûte comme nul par ailleurs : le sentiment «épique avec Schiller ou von Collin, poignant avec Goethe, introspectif avec Mayrhofer ou Schlegel »… Parcours singulier entre musique, chant et poésie pure… Entretien exclusif pour CLASSIQUENEWS – Photos © Kevin Seddiki
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CLASSIQUENEWS : Comment s’est constitué votre duo ? Quels points particuliers avez-vous travaillé pour cet enregistrement ?
Pablo Marquez : Après avoir entendu parler l’un de l’autre pendant très longtemps –nous avons beaucoup d’amis en commun-, María Cristina et moi, dont nous partageons les mêmes origines argentines, nous sommes finalement rencontrés en 2009 à Bâle. Chacun connaissait et admirait le travail de l’autre et immédiatement nous avons eu envie de travailler ensemble. Nous avons d’abord réalisé un programme Dowland-Britten et très rapidement nous avons commencé à explorer le répertoire romantique avec Spohr et Schubert, focalisés sur les versions pour guitare publiées de leur vivant.
CLASSIQUENEWS : Selon quels critères avez-vous choisi chaque lied pour constituer le programme ? Quel en est le parcours poétique et dramatique ?
Pablo Marquez : Vers 2015, j’ai commencé à vouloir démêler le vrai du faux concernant le rapport de Schubert avec la guitare. En faisant des recherches je suis tombé sur un article de Thomas Heck, publié dans Soundboard (Vol.4, N°2, 1977) dans lequel le musicologue liste les 34 lieder publiés à Vienne du vivant de Schubert dans des versions alternatives avec guitare par cinq éditeurs différents, plus les 19 parus dans les cinq années après sa mort. Parallèlement, en 2014 une autre source fondamentale a été publiée, le manuscrit de Franz von Schlechta, un membre du cercle intime de Schubert qui était probablement guitariste et qui a copié 39 de ses lieder. Certains sont vraisemblablement des copies des publications citées précédemment, d’autres arrangés peut-être par ses soins, dont Die Nacht, le seul lied dont on ne connaît pas l’original pour piano et qui a survécu grâce à cette copie (c’est d’ailleurs ce lied qui a donné le titre à mon disque Schubert avec la violoncelliste Anja Lechner). Si l’on additionne tout cela, on atteint la somme impressionnante de 71 lieder directement liés à la guitare par des sources primaires. C’est alors tout naturellement que nous avons décidé avec María Cristina de nous concentrer sur ce corpus fondamental et méconnu.
Ensuite María Cristina a choisi ceux qu’elle voulait chanter et nous nous sommes tout simplement lancés à l’aventure. Ce n’est qu’après que nous avons réalisé que la plupart d’entre eux ont des thèmes récurrents comme les étoiles, la mer, le pèlerinage, la solitude ou la mélancolie.
CLASSIQUENEWS : Quel bénéfice apporte la guitare dans l’interprétation ? Outre son usage historiquement attesté, en quoi la guitare enrichit-elle l’expérience musicale par rapport au piano ? Le chant doit-il différemment du piano, s’adapter à la guitare ?
Pablo Marquez : Il faut se souvenir ici que la distance sonore entre la guitare du XIXè siècle et le fortepiano est beaucoup moindre que celle entre le fortepiano et le piano moderne. D’ailleurs, le son des deux instruments se marie très bien et en attestent le grand nombre de partitions pour guitare et fortepiano de l’époque, notamment de Weber, Hummel, Moscheles et Giuliani. D’autre part, la tradition vocale schubertienne a été pour ainsi dire construite à partir de la sonorité du piano moderne. Ce qui m’intéressait du travail avec quelqu’un comme María Cristina, qui a une très grande expérience dans la musique plus ancienne, est ce regard dépouillé des gestes postromantiques, quitte à bousculer certaines habitudes ou traditions.
CLASSIQUENEWS : Parmi les poètes mis en musique, certains se prêtent-ils mieux aux couleurs et à la mélodie de Schubert? Y en t-il que vous préférez et pourquoi ?
Pablo Marquez : Schubert avait une incroyable capacité à « incarner » les différentes personnalités des poètes qu’il a mis en musique, tout en imprégnant ses lieder de sa personnalité. C’est en cela qu’il est vraiment miraculeux. Ainsi, il devient épique avec Schiller ou von Collin, poignant avec Goethe, introspectif avec Mayrhofer ou Schlegel. Et lorsqu’il donne de la voix à Suleika dans le texte de Marianne von Willemer, il laisse transparaître une sensibilité d’une extrême finesse.
CLASSIQUENEWS : Une anecdote liée aux sessions d’enregistrement de l’album ?
Pablo Marquez : Nous avons enregistré en décembre 2020 dans une petite église en Allemagne, près de Bâle, entre deux confinements et un mètre de neige tout autour. Heureusement, l’église était bien chauffée ! C’était un moment de recueillement et de concentration très intense pour nous deux.
Propos recueillis en septembre 2023
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LIRE aussi notre annonce du CD Sehnsucht :
https://www.classiquenews.com/paris-la-scala-sehnsucht-lieder-de-schubert-a-la-guitare-mc-kiehr-p-marquez-le-13-sept-2023/
… » Et oui, Schubert possédait bien une guitare ; il en jouait même souvent et l’a associée étroitement à la réalisation de ses lieder. Le nouveau cd de Marie Christina Kiehr et Pablo Márquez, édité par le label Fusion Fugitive, intitulé Sehnsucht (Nostalgie, titre d’un lied d’après le poème de Schiller)… »
PARIS, La Scala. SEHNSUCHT : lieder de Schubert à la guitare. MC Kiehr / P Márquez (le 13 sept 2023)
LIRE aussi notre critique du CD Sehnsucht, CLIC de CLASSIQUENEWS automne 2023 :
Plus qu’une lecture originale sur les lieder de Schubert, le présent recueil éclaire la manière mкme avec laquelle Schubert et ses contemporains jouaient ses mélodies à Vienne. Duo inspiré, le guitariste Pablo Marquez et la soprano Maria-Christina Kiehr en ressuscitent la pratique historique et cette intimité immédiate qui permet de s’immerger au cœur du sentiment schubertien…
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