Angers Pianopolis continue de s’imposer comme l’un des rendez-vous immanquables de la saison pianistique. Cette année, un événement faisait figure de sommet : un récital d’Elisso Virsaladze. La pianiste géorgienne est auréolée d’une aura presque mystique, renforcée par sa rareté sur les scènes. Il y a de grands pianistes dans le monde, mais peu imposent une présence scénique aussi hors norme. Si l’on sort, par exemple, d’un grand récital de Leonskaja dans une sorte d’état béat de félicité et de gratitude pour ce que l’on vient d’entendre, l’état dans lequel nous laisse Virsaladze correspond davantage à une sidération tendue, faite d’exigence, d’intégrité, et d’une sévérité qui élève les œuvres.
On se retrouve au Grenier à Sel d’Angers, au-dessus d’une petite place animée organisée par le festival : food trucks et bars gravitent autour d’un piano où se succèdent spontanément de petites formations musicales qui se font et se défont, en attendant l’entrée de la légende Virsaladze sur scène pour son programme 100 % Frédéric Chopin. Le public angevin découvre, dès les premières notes de la Polonaise-Fantaisie op. 61, ce piano brut, tenu avec une solidité implacable. Les dynamiques, elles, restent dans un mezzo forte tout à fait étonnant. Mais, par une prouesse de prestidigitation, tout se passe dans ce cadre si strict : tant de nuances, de couleurs, ce rubato minéral si personnel.
Une Troisième Sonate tout aussi souveraine suit la Polonaise-Fantaisie. On retiendra la force dévastatrice du finale. Il n’est pas question ici de virtuosité ou de puissance, mais d’une sauvagerie sous-jacente, d’une tension continue qui envahit l’espace. La deuxième partie est constituée de Nocturnes, Valses et Mazurkas. Elisso Virsaladze est d’une éloquence incroyable, une sorte de sommet dans l’exploitation de son instrument. Elle joue du piano — pas un piano-orchestre, pas un piano belcanto, mais un piano artisanal, forgé dans le bronze. Virsaladze creuse un sillon dans lequel on la suit.
Retenons le premier bis, la Mazurka op. 68 n°2, qui résume en deux minutes le geste pianistique de Virsaladze. Une leçon expresse, deux minutes de musique d’une densité rare. Une mazurka fière, magique, hautaine, rude, habitée et physique.
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CRITIQUE, festival. ANGERS (Pianopolis), Grenier à Sel, le 30 mai 2025. Elisso Virsaladze (piano). Crédit photo (c) Droits réservés
VIDEO : Elisso Virsaladze dans un récital Chopin à Moscou