Nous sommes au Palais Garnier pour la reprise de Giulio Cesare de G. F. Haendel par le metteur en scène Laurent Pelly. Le maestro Harry Bicket est à la direction de l’orchestre de la maison et d’une fabuleuse distribution des chanteurs, avec la mezzo-soprano Gaëlle Arquez dans le rôle-titre et la soprano américaine Lisette Oropesa dans le rôle de Cléopâtre. Dans cette production étrennée en 2011 qui transpose l’action du livret rocambolesque original dans un musée du Caire imaginaire au 18ème siècle, le talent et l’humour sont au rendez-vous !
L’incroyable éventail des sentiments
À un mois près du tricentenaire de la création de ce chef-d’œuvre absolu de Haendel, nous sommes toujours impressionnés par la qualité somptueuse de la partition et l’abondance des mélodies mémorables d’une remarquable beauté. L’opéra raconte l’histoire d’un Jules César tout-puissant qui écrase ses adversaires, échappe aux attentats politiques mais qui succombe inexorablement aux sortilèges de l’amour de l’ambitieuse Cléopâtre ; dans une intrication mélodramatique de jalousie et héroïsme, vengeance et soif de gloire, amour et politique. Ce véritable concert d’affects baroques n’est qu’un prétexte pour le déploiement du génie musical de Haendel.
La distribution finale de la reprise est une agréable surprise, après quelques modifications par rapport à la distribution originalement affichée dans le programme de la saison. La superbe Gaëlle Arquez, désormais complètement à l’aise dans le rôle-titre, propose une belle interprétation qui réunit brio vocal et intensité dans la caractérisation. Sa voix s’accorde merveilleusement au cor obbligato dans l’air « Va tacito e nascosto » de l’acte 1, plein de brio ; elle touche et charme l’auditoire aux côtés du violon solo lors du très beau « Se in fiorito ameno prato » de l’acte 2, et le galvanise complètement dans « Al lampo dell’armi » du même acte ainsi que dans « Qual torrente, che cade dal monte » de l’acte 3. La prestation de la soprano Lisette Oropesa dans le rôle de Cléopâtre est tout aussi surprenante, surtout que nous ne sommes pas habitués à l’entendre dans ce répertoire. Elle est tout à fait piquante et séductrice théâtralement, et possède une maîtrise totale de son instrument. Elle est ravissante et bouleversante dans « V’adoro, pupille » et « Se pietà di me non senti » respectivement, dans l’acte 2, puis virtuose et légère dans son air final à l’acte 3 « Da tempesta il legno infranto ».
La mezzo-soprano Emily D’Angelo dans le rôle de Sesto est très touchante : un sublime mélange de fragilité fiévreuse et d’ardeur vengeresse, notamment dans les airs « L’angue offeso mai riposade », très poignant, puis « La giustizia » à l’acte 3, virtuose. Tolomeo est interprété par le contre-ténor Iestyn Davies, très en forme scéniquement et vocalement, pour ses débuts à l’opéra de Paris. Il fait preuve d’une agilité tout à fait sensationnelle dans ses airs S »i spietata, il tuo rigore » et « »Domerò la tua fierezza. Le baryton-basse Luca Pisaroni dans le rôle d’Achilla ainsi que la basse Adrien Mathonat (membre de l’Académie de l’Opéra de Paris) dans le rôle de Curio, s’imposent également dans leurs prestations, avec une forte présence scénique et une projection vocale surprenante pour les deux. Wiebke Lehmkuhl offre une interprétation solide dans le rôle tragique de Cornelia tout comme le contre-ténor Rémy Brès-Feuillet, épatant et pétillant dans le rôle comique de Nireno.
L’Orchestre de l’Opéra de Paris sous la direction de Harry Bicket est presque un personnage à part entière, tellement la présence est riche et l’interprétation merveilleuse, avec de nombreux soli somptueux pour le cor, le hautbois et le violon, et plusieurs passages magnifiques où se distinguent les timbres subtils des instruments tels que les flûtes et les bassons, ou encore la harpe et la viole ! La mise en scène de Laurent Pelly n’est pas pour tous les goûts, mais elle est pleine de mérite et ne nuit jamais à l’œuvre. Au contraire, l’aspect et le parti pris « histoire de l’art » et orientalisant de la production s’accordent curieusement bien à l’extravagance baroque du livret et de la partition, avec bien plus d’autodérision nonchalante que du sérieux tragico-poussiéreux.
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CRITIQUE, opéra. PARIS, Palais Garnier, le 20 janvier 2024. HAENDEL : Giulio Cesare. G. Arquez, E. D’Angelo, L. Oropesa, I. Davies… Laurent Pelly / Harry Bicket.
VIDEO : « Giulio Cesare » de Haendel selon Laurent Pelly au Palais Garnier