Depuis leur création en 2012, Les Frivolités Parisiennes ont fait maintes preuves de leur originalité dans la redécouverte du répertoire français léger des XIXe et XXe siècles. Leurs fondateurs, le bassoniste Benjamin El Arbi et le clarinettiste Mathieu Franot, s’attaquent désormais à la création, avec leur compagnon de route Pascal Neyron comme metteur en scène, en adaptant la fameuse BD Le Chat du Rabbin de Joann Sfar.
Algérie : Années 1920. Le chat qui vit chez un rabbin est amoureux de la fille de celui-ci, Zlabya. Un jour, il dévore un perroquet et prend possession de la parole. Dès lors, il s’interroge sur le lien social, livre des réflexions philosophiques, donne son avis, prétend que l’ « on peut dire ce qui n’est pas vrai ». Et à cause de sa parole, on lui interdit de communiquer avec sa maîtresse, qu’il tente de reconquérir, en vain. Le Chat s’introduit dans les pensées du rabbin et les questions qu’il lui pose deviennent les questions du rabbin lui-même. Il ébranle ainsi l’ordre établi, sème des doutes. Ce sont finalement nos propres interrogations sur notre existence, entre la réalité et l’illusion, que nous n’osons même pas imaginer…
Pour la création de cette pièce chantée-parlée de 80 minutes environ, Pascal Neyron imagine une mise en scène simple autour d’un décor unique (conçu par Casilda Desazars), avec les musiciens des « Frivos » intégrés dans la scénographie. Les murs de la maison du rabbin à Alger se transforment – grâce à des projections de vidéo (Nathalie Cabrol) – en escaliers de Montmartre ou en enseignes de néons nocturnes de la Ville Lumière. Libre, le Chat se faufile entre ces murs, ces portes et ces fenêtres, et va même se planter à côté de certains musiciens, en observant le monde humain, en s’adressant parfois au public. Ainsi, l’espace fixe s’anime de différentes manières, sans nul statisme.
Matthieu Michard compose une partition qui mélange magnifiquement de nombreux styles, notamment celui de musique arabo-andalouse avec laquelle le spectacle commence. Des musiciens spécialisés dans la musique traditionnelle algérienne (Yacir Rami et Rabah Hamrene), jouant des instruments tels que violon arabe, oud, derbouka, tambours et tambourins, et un chant à la technique spécifique, font résonner avec virtuosité leurs rythmes et mélodies modales. À d’autres moments, du jazz, des chansons françaises ou des chants juifs prennent place, mais ces musiques sont toujours composées avec un dosage délicieusement subtil des différentes cultures. Les lyrics d’Oldelaf – le mot « lyric » évoque à lui seul la nature du spectacle : celle de la Comédie Musicale – sont tantôt poétiques, tantôt terre à terre, en bref hétérogènes.
Dans le rôle du Chat, Richard Delestre est souple et agile, parfois malin, tout aussi dans ses mouvements que dans ses mots. Jean-Michel Fournereau explore avec affection la contradiction et la fragilité du rabbin qui garde malgré tout sa dignité. Zlabya est incarnée par Neima Naouri qui possède un très beau timbre clair dans les aigus, mais les textes parlés n’ont pas toujours la même clarté. Son fiancé et les autres rôles sont assurés par Sinan Bertrand dont l’élégance de l’allure apporte un grand plus à l’ensemble. Les quatre acteurs n’ont pas la même technique de chant, mais se complètent merveilleusement les uns les autres, et ce qui fait la beauté de ce spectacle original accueilli par l’Atelier Lyrique de Tourcoing !
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CRITIQUE, comédie musicale. TOURCOING, Théâtre Municipal Raymond Devos, le 19 janvier 2024. MATTHIEU MICHARD : Le Chat du Rabbin. Pascal Neyron / Les Frivolités Parisiennes. Photo (c) Miliana Bidault.
VIDEO : Teaser du « Chat du Rabbin » par Les Frivolités Parisiennes à l’Atelier Lyrique de Tourcoing