Durant le confinement Joseph Swensen après un grand découragement a construit une réduction de la Tétralogie de Wagner en pensant à Toulouse. Le travail que le violoniste, chef d’orchestre et compositeur a réalisé est considérable. Car les choix opérés dans les quatre œuvres qui forment la Tétralogie ou Ring, sont très convaincants.
Respectant un temps pour chaque œuvre, il assure des passages entre les moments choisis absolument géniaux. Même pour un connaisseur des leitmotivs l’enchaînement de certains d’entre eux peut se révéler savoureux et permet par le retour d’un thème, de mieux supporter les indispensables coupures. C’est vraiment brillant.
Le choix de Swensen : célébrer l’amour qui sauvera le monde. Ainsi les amoureux ont la part belle : toute la longue fin du duo d’amour de Siegmund et Sieglinde puis le duo d’amour de rencontre entre Siegfried et Brunnhilde et leur séparation au début du Crépuscule. Le monologue d’adieux plein d’amour de Wotan à sa fille est hélas coupé et seul l’appel de Loge, subsiste.
Concert Wagner par l’Orchestre du Capitole
Réduit à 4 heures,
le RING du chef Joseph Swensen
est une odyssée cosmique !
La mort du dragon Fafner et l’appel de Hagen permettent à la clef de fa (Damien Gastl) de s’exprimer, toutefois ce sont le ténor, Christian Elsner et surtout la soprano Christiane Libor qui chantent le plus. L’Orchestre du Capitole est soumis à une sorte de surexposition constante. C’est peut-être ce qui représentera les limites de ce concept. La richesse de cette partition fleuve de 14 heures de musique, réduites à 3, ne comprend que des moments géniaux mettant en lumière cette symbiose incroyable entre l’orchestre et les chanteurs.
Il n’y a pas de pose et le spectateur est lui-même sur-stimulé, ce qui ne va pas sans occasionner une sorte de vertige, voir de fatigue auditive devant tant de puissance. Car si l’Orchestre du Capitole sait son Wagner, la taille de l’orchestre est très différente de celui présent dans la fosse au théâtre. Ce soir, pas moins de 100 musiciens avec 8 contrebasses sont présents. Cela sonne bien et les forte sont assourdissants. Les cuivres sont à la fête comme jamais ! Les bois sont magiques, les deux harpes légères et aériennes, les cordes surchauffées diffusent la passion des héros.
Et n’oublions pas les percussions si précieuses pour des effets extraordinaires. C’est ainsi du vrai grand Wagner symphonique …
Côté vocal nous l’avons dit, le baryton-basse Damien Gastl n’intervient que peu mais avec une voix de stentor tout à fait effrayante dans l’appel de Hagen. La réponse du chœur d’hommes est terrifiante Un courte intervention chorale, tout à fait spectaculaire !
Le Siegmund et le Siegfried de Christian Alsner ont toute la vaillance attendue mais aussi beaucoup de poésie (sa manière de phraser dans des nuances très délicates et de belles couleurs vocales). C’est la soprano Christiane Libor s’affirme comme un monstre d’endurance. Elle sera Siegliende et Brünnhilde trois fois. Dans la Walkyrie, Swensen lui demande de chanter au moins sept fois le cri de la Walkyrie chantant son cri et ceux de ses sœurs en un enchaînement diabolique. Les aigus fusent ! Dans le duo de rencontre avec Siegfried, elle irradie vocalement et son jeu de regards avec son partenaire est éloquent. Dans le Crépuscule elle passe du bonheur des adieux à la scène finale sans efforts. La résistance de cette cantatrice est extraordinaire ; elle termine sa prestation très engagée et horriblement exigeante sans paraître fatiguée. C’est tout à fait exceptionnel !
La direction de Joseph Swensen est très spectaculaire. Il demande une énergie constamment renouvelée à l’orchestre et obtient une beauté et une urgence incroyable de chaque instrumentiste. C’est absolument grisant. Il garde pour la fin une manière absolument exquise de faire advenir le thème de l’amour qui sauve le monde comme dans un rêve. La fin est magique !
Joseph Swensen et l’Orchestre du Capitole se connaissent depuis longtemps avec Mahler et Bruckner ; ce temps wagnérien scelle un nouvel accord artistique au sommet.
Le public abasourdi, comme sonné, fait un triomphe à la splendide équipe au service de la puissance du drame wagnérien. Seule une salle de concert et un orchestre symphonique de cette trempe peuvent offrir à la partition sensationnelle de Wagner sa dimension cosmique. Ce fut un moment fulgurant sans temps morts !
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CRITIQUE, concert. TOULOUSE, le 5 mai 2023. Richard Wagner (1813-1883) / Joseph Swensen : Le Ring des Nibelungen, réduction. Avec Christiane Liebor, soprano ; Christian Elsner, ténor ; Damian Gastl, basse ; Chœur du Capitole (chef de chœur, Gabriel Bourgoin); Orchestre national du Capitole ; Joseph Swensen, direction.