Au cœur de la fièvre rythmique et chorégraphique, le très riche programme délivré ce soir par l’Orchestre National des Pays de La Loire confirme l’engagement des musiciens et leur haute tenue dans une série qui intitulée « America » fait la part belle aux couleurs surtout latines (l’argentin Ginastera en première partie couplé à la rhapsodie du mexicain Moncayo ; sans omettre le final zarzuelesque de l’espagnol Giménez) … ; c’est une série brillante, digne pendant à la fabuleuse Suite pour orchestre d’après Porgy and Bess de l’ensorcelant Gershwin.
Au fur et à mesure de la soirée, sans entracte, – ce qui certes exige des musiciens mais favorise la continuité de la tension sonore, l’ONPL démontre des trésors d’homogénéité progressive qui culminent dans l’opulence expressive et mélodiquement swinguée du compositeur new yorkais. L’expérience symphonique est totale.
En trois mouvements, le Concerto pour harpe de l’argentin Ginastera, partition achevée en 1956 mais créée en… 1965 à Philadelphie sous la direction d’Eugène Ormandy, crépite et cultive les contrastes cinglants, offrant à la harpe, un écrin magistral où l’instrument soliste déploie une activité miroitante, faite de séquences très caractérisées, allant du mystère enchanté aux accents percussifs. Xavier de Maitres, remarquable athlète chevronné de l’instrument, se révèle percutant voire mordant, soulignant combien la harpe captive par ses nappes harmoniques, sa résonance féerique, et même sa puissance sonore qui en fait une gigantesque guitare. L’équilibre est atteint dans le mouvement lent (molto moderato) qui aspire au secret voire à l’ineffable dans une atmosphère soudainement éthérée et comme brumeuse dont l’ancrage fait référence à des airs amérindiens. La virtuosité du harpiste se manifeste pleinement dans la cadence soliste (« Liberamente capriccioso ») dont le caractère qui semble comme improvisé, entraîne ensuite tout l’orchestre dans une danse effrénée, ascensionnelle et solaire.
Légitimement très applaudi, Xavier de Maitre régale l’audience dans un bis dont on ne saura rien du titre ni du compositeur mais dont l’activité et l’ampleur sonore rivalisent avec tout l’orchestre.
a symphonic picture…
un Gerswhin flamboyant
L’engagement de tous les pupitres se développe surtout dans les 10 séquences qui composent ici la Suite orchestrale déduite de l‘ (unique) opéra Porgy and Bess (1935) de George Gershwin (« a symphonic picture »). De ce « medley » concocté par l’assistant du compositeur, Robert Russel Bennett (à la demande du chef Fritz Kreisler pour l’Orchestre de Pittsburg), la texture symphonique, riche et souple à la fois, produite par la direction de Diego Matheuz rappelle combien l’orchestre de Gerswhin sait swinguer, atteignant des sommets de volupté orchestrale, portée de surcroît par un génie de la mélodie pure. Gershwin le séducteur, immerge le spectateur auditeur dans les bas fonds des ghettos noirs dont il exprime cependant la vérité humaine, dans ses contradictions les plus âpres : ivresse tendre, cynisme, prière enivrée (Summertime) mais avec un souffle inouï qui explore de nouveaux horizons sonores à partir aussi des Negro spirituals et du blues…. L’ordre des airs ne suit pas exactement l’action opératique originelle mais la fresque qui en découle fait valoir toutes les qualités de l’Orchestre ligérien : soie des cordes aux unissons onctueux, bois et vents crépitants, surtout cuivres gorgés de rythmes et accents dansants… Si le sujet est populaire voire barbare, Porgy and Bess en version strictement orchestral souligne combien il s’agit aussi d’un creuset flamboyant pour les timbres et les couleurs des pupitres.
Comme fut solaire et volubile, « Huapango » de José Pablo Moncayo, véritable hymne populaire au Mexique, la conclusion de ce programme festif explore d’autres envolées, celles ci emblématiques de l’esprit de la zarzuela ; en témoigne la fougue quasi éruptive de l’ouverture de « La Boda de Luis Alonso » / Le mariage de Luis Alonso, zarzuela de Giménez créée en 1897 qui offre au percussionniste solo de l’Orchestre, Abel Billard, un tremplin spectaculaire où brille sa maitrise des castagnettes, lesquelles suractives pendant ce morceau trépidant, semblent dicter à tout l’orchestre, leur acuité rythmique. Cela claque et trépigne jusqu’à la transe collective. Le chef, précis et nuancé, veille aux dynamiques et à la balance sonore ; il allège et articule la matière orchestrale dans le sens du rythme et du rebond. Réjouissante expérience.
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CRITIQUE, concert. NANTES, Cité des congrès, ven 12 janvier 2024. « AMERICA » : Ginastera, Gershwin…, Xavier de Maitres, Abel Billard, ONPL Orchestre National des Pays de la Loire, Diego Matheuz, direction.
L’ONPL Orchestre National des Pays de la Loire © classiquenews.com
Programme
Alberto Ginastera (1916-1983)
Concerto pour harpe / Xavier de Maistre, harpe
George Gershwin (1898-1937)
A Symphonic Picture from Porgy and Bess
José Pablo Moncayo (1912-1958)
Huapango, rhapsodie
Geronimo Gimenez (1854-1923)
La boda de Luis Alonso / Abel Billard, castagnettes
ONPL Orchestre National des Pays de la Loire
Diego Matheuz, direction
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LIRE aussi notre présentation annonce de concert AMERICA de l’ONPL Orchestre National des Pays de la Loire : https://www.classiquenews.com/orchestre-national-des-pays-de-la-loire-concerts-america-ginestera-gershwin-diego-matheuz-xavier-de-maistre-nantes-11-et-12-janvier-2024-angers-13-et-14-janvier-2024/
ENTRETIEN avec Guillaume Lamas, directeur général de l’ONPL, à propos de la saison 203 – 2024 de l’ONPL Orchestre National des Pays de la Loire :
Prochain concert de l’ ONPL Orchestre National des Pays de la Loire / coup de cœur de Classiquenews : HYMNE A LA VIE, Gustav Mahler (Rückert-lieder, Magdalena Kozena) et Symphonie n°5 – ONPL, Sascha Goetzel (direction) – Les 10 (Angers), 12 (Nantes), 14 mars (La Roche sur Son) – Plus d’infos ici : https://onpl.fr/concert/hymne-a-la-vie-la-voix-de-magdalena-kozena-met-mahler-a-lhonneur/