dimanche 9 février 2025

CRITIQUE CD événement. JEAN-MARIE LECLAIR (1697 – 1764) : Quatrième Livre de Sonates, opus 9 (1743), vol.1 (Sonates III, VI, VIII, X) – Hélène Schmitt, violon / 1 cd Aeolus.

A lire aussi

Dès le premier Allegro de la Sonate VI qui ouvre ce formidable recueil Leclair,  le geste libre à l’argumentation virtuose, au verbe éloquent affirme ce qui distingue le compositeur français de tout autre : sa formidable imagination, sa sensibilité poétique aussi (laquelle s’insinue avec une grâce flexible, d’essence chorégraphique, en particulier dans le court Adagio, puis dans la badinerie courtisane de la Gavotte (« Tempo Gavotta »), qui suit.

 

D’ailleurs, l’esprit de la danse qui électrise chaque séquence, s’infiltre partout, avec une régularité structurante, comme une respiration magistrale qui confère l’unité organique : « Giga » à la fois vive et nerveuse, et toujours d’une rondeur féline, qui conclue les Sonates VI et X ; Allemanda, lumineuse, mesurée, volubile de la X ; profondeur bouleversante, languissante de la Sarabande de la Sonate III, de surcroit jouée avec une pudeur mystérieuse ; quel contraste avec la finesse si fluide elle aussi du Tambourin (Presto) d’un esprit… ramélien !

 

 

Sonates de Leclair
Funambule et virtuose,
le violon enchanteur d’Hélène Schmitt

 

Hélène Schmitt qui joue un violon Michele Deconetti  (Venise 1764), réussit un tour de force autant sur le plan technique qu’expressif ; la caractérisation millimétrée de chaque séquence, son énergie, la clarté contrapuntique, l’élégance dans l’énoncé et le développement mélodique, la vitalité rythmique offrent une relecture vivante et nuancée des mondes sonores de Leclair. 

Le violoniste et compositeur, comète inclassable à son époque, se dévoile dans toute la disparité de sa créativité entre les style français et italien. La subtilité intérieure de la formidable Chaconne (« tempo di caccona »), conclusion de la VIII, montre à quel point Leclair sait son Lully mais revivifié et filtré sous les feux d’un tempérament personnel, puissamment éclectique, d’une gravité poétique qui touche et enchante. La violoniste exprime toute la gravité et la nostalgie sous le masque d’une chatoyance séductrice. Ce jeu maitrisé des plans sonores montre à quel point la Musicienne sait Leclair jusqu’au bout des doigts et dans les détails (pour ceux parvenus) de sa vie fugace et fragmentaire voire déjà « romantique » (il meurt assassiné à Paris dans la nuit du 22 au 23 octobre 1764). L’interprète travaille actuellement à un texte biographique et fictionnel dont l’écriture inspire aussi ce programme marquant, dans ses ambiances, son caractère, ses flux sonores, ses textures troubles et chamarrés. Tout précise en filigrane un portrait fidèle de Leclair, ce génie de la fluidité, de l’élégance, contraire de son rival, le violoniste piémontais Jean-Pierre Guignon (mort 10 ans après lui), versé dans l’éclat et le tapage, plutôt que la subtilité souveraine. Et tous deux nommés « Premier sinfoniste du Roy (Louis XV) en 1734… !

 

Le sens des phrasés, l’attention à toutes les nuances d’un discours de l’âme qui sous tend chaque mesure, se libèrent dans une virtuosité fine et élégante qui sonne libre, improvisée.  Cette ultime séquence (« ciaccona » de la Sonate VIII) montre combien Hélène Schmitt connaît son sujet dont elle fait un charme intime et personnel ; c’est un violon enchanteur et vibrant, funambule poétique et aussi fluide narrateur, d’une verve intarissable. Le halo velouté de ses partenaires François Guerrier (clavecin), Francisco Mañalich (viole de gambe) et Jonathan Pesek (violoncelle baroque, dans la VIII justement) renforce cette agilité vaporeuse toute de nuances et de suggestivité. Cette « tentation de l’ombre » qui affleure aussi dans la vie même et les choix d’un Leclair prêt à renoncer (cf sa rupture assumée de sa charge au service du Roy, fin 1736). C’est après son séjour en Hollande à la Cour de la princesse d’Orange qu’il publie en 1743 à Paris, son Quatrième Livre, « testament », l’opus 9 (dédié justement à Anne de Hanovre, fille de George II, qui fut aussi la mécène de Haendel). 3 ans plus tard, Leclair, installé à Paris, fait créer son unique opéra (Scylla et Glaucus) puis rejoint le service du Duc de Gramont auquel il avait donné des leçons de violon 20 ans auparavant…)

Le présent enregistrement donne matière et chair à Leclair, créateur contemporain de Rameau et son égal en bien des points. Hélène Schmitt nous en offre un témoignage direct et intense. L’expressivité affûtée, l’élégance permanente du son offrent un Leclair remarquable, solaire à la Corelli, et d’une agilité proche de Locatelli (écouté en Hollande), déjà paganinienne. Jusqu’au dernier accord (de la même Sonate VIII), portée par une fulgurance fauve, l’esprit de la bambochade, en une touche légère et vive, cite la transparence miroitante de Watteau… ou de Chardin (en couverture), ses couleurs aussi profondes que discrètes. 

Voilà qui inscrit ce premier recueil dédié au Livre 4 des Sonates « à Violon Seul avec la Basse Continue opus 9 », comme une somptueuse célébration du plus grand violoniste français du XVIIIè. Ce premier volume éblouissant par la justesse poétique et technique de l’approche appelle évidemment une suite !

 

 

 

___________________________________________

CRITIQUE CD événement. JEAN-MARIE LECLAIR (1697 – 1764) : Quatrième Livre de Sonates, opus 9 (1743), vol.1 (Sonates III, VI, VIII, X) – Hélène Schmitt, violon / François Guerrier (clavecin), Francisco Mañalich (viole de gambe) et Jonathan Pesek (violoncelle baroque) – 1 cd Aeolus – enregistré en sept 2017 / juin 2018- CLIC de CLASSIQUENEWS Automne 2023.

 

 

 

 

approfondir

 

LIRE aussi notre annonce du cd événement LECLAIR : Sonates du Livre 4 / Hélène Schmitt : https://www.classiquenews.com/cd-evenement-annonce-jean-marie-leclair-quatrieme-livre-de-sonates-opus-9-vol-1-helene-schmitt-violon-1-cd-aeolus/

 

LIRE aussi notre ENTRETIEN avec Hélène Schmitt à propos de son nouveau CD : Sonates pour violon seul  de LECLAIR (Livre 4, opus 9)… :

ENTRETIEN avec Hélène SCHMITT, à propos de son nouveau CD (4ème Livre des Sonates de JEAN-MARIE LECLAIR)

 

______________________________________

Derniers articles

CRITIQUE, opéra. PARIS, Opéra Bastille, le 6 février 2025. BELLINI : I Puritani. L. Oropesa, L. Brownlee, A. Kymach, R. Tagliavini… Laurent Pelly /...

Succès triomphal amplement mérité pour cette production mémorable de I Puritani de Vincenzo Bellini par Laurent Pelly, créée en...

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img