vendredi 19 avril 2024

CRITIQUE, opéra. SAINT-ÉTIENNE, Grand-Théâtre Massenet, le 2 mai 2023. GOUNOD : La Nonne sanglante. Paul-Emmanuel Thomas / Julien Ostini. 

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Jean-François Lattarico
Jean-François Lattarico
Professeur de littérature et civilisation italiennes à l’Université Lyon 3 Jean Moulin. Spécialiste de littérature, de rhétorique et de l’opéra des 17 e et 18 e siècles. Il a publié de Busenello l’édition de ses livrets, Delle ore ociose/Les fruits de l’oisiveté (Paris, Garnier, 2016), et plus récemment un ouvrage sur les animaux à l’opéra (Le chant des bêtes. Essai sur l’animalité à l’opéra, Paris, Garnier, 2019), ainsi qu’une épopée héroïco-comique, La Pangolinéide ou les métamorphoses de Covid (Paris, Van Dieren Editeur, 2020. Il prépare actuellement un ouvrage sur l’opéra vénitien.

 

Après la production mémorable donnée à l’Opéra-Comique en 2018, le Grand-Théâtre Massenet affiche cette rareté de jeunesse de Gounod. Un casting haut en couleur pour une mise en scène adaptée chez les Inuits, cohérente mais qui n’a pas totalement convaincu.
Sur scène un immense rocher de glace pivotant qui, à la lumière réapparue, révèle les deux factions rivales dans un combat au ralenti, tandis que des cintres tombe une neige couleur sang qui au fil de l’opéra se fera plus dense au point de recouvrir le sol. Les lumières efficaces de Simon Trottet plongent la scène plutôt austère dans une atmosphère de glace, tour à tour bleu, rouge et mordoré, qui accentuent la dimension mystique de l’ouvrage.

 

La Nonne sanglante à Saint-Etienne
Fantômette chez les Inuits

 

 

 

 

Les costumes splendides du metteur en scène, avec force peaux de bêtes, fourrures et vestes à frange, transportent l’action dans une contrée inuit, loin du Moyen-Âge gothique inspiré par un épisode du Moine de Lewis. On y voit ensuite deux arches richement sculptées, dont les formes anthropomorphes font écho aux gigantesques statues qui évoquent celles de l’île de Pâques ou de Papouasie, jadis chantée par Pierre Loti, et qui semblent suggérer la dimension « sanglante » des rites ancestraux. De cette intrigue moyenâgeuse, Julien Ostini avoue avoir voulu faire une lecture « féministe et écologique », où le froid polaire de ces contrées nordiques illustre la rigidité immuable du patriarcat dominant.
Habitué des lieux et de ce répertoire (il sera à Marseille la saison prochaine dans l’Africaine de Meyerbeer), Florian Laconi campe un Rodolphe magistral, aux aigus limpides, sonores et bien projetés (paradoxalement moins à l’aise dans le registre médian) ; rôle très lourd qu’il défend brillamment et que magnifie une présence scénique du meilleur effet.

Le rôle-titre, passionnant sur le plan dramatique, revient à Marie Gautrot, mezzo de caractère, au timbre d’airain et aux graves ardents, qui électrifie l’assistance lors de son arrivée spectrale, visage blanc, robe blanche maculée de sang. Agnès est incarnée par Erminie Blondel, soprano dramatique, très convaincante et par sa voix, tour à tour veloutée, expressive, affligée, au gré de la gamme des affects qu’elle explore tout au long de l’opéra, et par son jeu, parfaitement en phase avec le caractère inquiétant du personnage.

Dans le rôle secondaire du page Arthur, Jeanne Crousod, habituée des lieux (elle était une excellente Ophélie dans Hamlet de Thomas), déploie un timbre juvénile, plein de candeur et de spontanéité, aux aigus bien maîtrisés (notamment dans l’air « Un page de ma sorte »), qualités que l’on retrouve chez l’Anna fruitée et alliciante de Charlotte Bonnet. Rare baryton incarnant la noblesse du chant français, Jérôme Boutiller campe un comte Luddorf avec toujours la même aisance et une impeccable diction qui rend inutiles les sous-titres.
Les autres rôles masculins sont remarquablement défendus : la basse profonde aux graves abyssaux de Thomas Dear (Pierre l’Hermite), l’éclatant et rafraichissant ténor Raphaël Jardin (Fritz), le valeureux baryton-basse Luc Bertin-Hugault (baron Moldaw). Corentin Backes (Arnold), Bardassar Ohanian (Norberg) et Aurélien Reymond (le veilleur) achèvent avec brio une distribution d’une rare homogénéité.

Dans la fosse, Paul-Emmanuel Thomas dirige avec précision et fougue la phalange de l’Orchestre symphonique Saint-Étienne Loire amputé de quelques musiciens grévistes, qui accompagne un Chœur excellemment dirigé par Laurent Touche, également privé de quelques chanteurs, sans que la cohérence de l’ensemble en pâtisse. Au final, une production originale, parfois déconcertante, qui manque sans doute un peu de vigueur dans la direction d’acteurs, mais qui rend pleinement justice à cette rare partition annonciatrice des futurs chefs-d’œuvre de Gounod.

 

 

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CRITIQUE, opéra. SAINT-ÉTIENNE, le 2 mai 2023. GOUNOD : La nonne sanglante. Florian Laconi (Rodolphe), Erminie Blondel (Agnès), Marie Gautrot (La nonne), Jérôme Boutiller (Le comte Luddorf), Jeanne Crousaud (Arthur), Thomas Dear (Pierre L’Ermite), Luc Bertin-Hugault (Le baron Moldaw), Charlotte Bonnet (Anna), Raphaël Jardin (Fritz), Corentin Backes (Arnold), Bardassar Ohanian (Norberg), Aurélien Reymond (Le veilleur), Julien Ostini (mise en scène et décors), Véronique Seymat, Julien Ostini (Costumes), Simon Trottet (lumières), Florence Pageault (Chorégraphie), Corinne Tasso (Maquillage et coiffure), Jean-Christophe Mast (Assistant à la mise en scène et régie de production), Anne Rusch (Assistante Lumières), Laurent Touche (chef de chœur), Chœur lyrique Saint-Étienne Loire, Orchestre Symphonique Saint-Étienne-Loire, Paul-Emmanuel Thomas (direction) – Photos : © Cyrille Cauvet)

 

 

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