samedi 7 décembre 2024

COMPTE-RENDU, critique, opéra. GENEVE, le 15 déc 2019. RAMEAU : Les Indes Galantes. Cappella Mediterranea, Leonardo García Alarcón / Lydia Steier

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Jean-François Lattarico
Jean-François Lattarico
Professeur de littérature et civilisation italiennes à l’Université Lyon 3 Jean Moulin. Spécialiste de littérature, de rhétorique et de l’opéra des 17 e et 18 e siècles. Il a publié de Busenello l’édition de ses livrets, Delle ore ociose/Les fruits de l’oisiveté (Paris, Garnier, 2016), et plus récemment un ouvrage sur les animaux à l’opéra (Le chant des bêtes. Essai sur l’animalité à l’opéra, Paris, Garnier, 2019), ainsi qu’une épopée héroïco-comique, La Pangolinéide ou les métamorphoses de Covid (Paris, Van Dieren Editeur, 2020. Il prépare actuellement un ouvrage sur l’opéra vénitien.

RAMEAU 2014 : sélection cdCOMPTE-RENDU, critique, opéra. GENEVE, le 15 déc 2019. RAMEAU : Les Indes Galantes. Cappella Mediterranea, Leonardo García Alarcón / Lydia Steier. Après la production parisienne plébiscitée par le public et controversée par la critique, le chef argentin reprend les Indes galantes dans une nouvelle mise en scène et une distribution totalement renouvelée. Une grande réussite scénique et vocale, malgré une lecture très personnelle du chef. Aux danseurs hip-hop de Bastille, la production genevoise oppose la carte d’une lecture moins iconoclaste, mais surtout plus respectueuse d’une dramaturgie cohérente qui semblait échapper au genre hybride de l’opéra-ballet. En misant sur le principe efficace du méta-théâtre, si important au XVIIIe siècle, Lydia Steier confère une grande cohérence à la dramaturgie de l’œuvre. Là où à Bastille la mise en scène misait sur la danse, Genève mise efficacement sur le théâtre, et ce n’est pas un mince défi, brillamment relevé. Sur scène, un immense théâtre à moitié en ruine où se joue les préparatifs du spectacle. L’unité de lieu fluidifie le discours et réunit le prologue et les quatre entrées en soulignant l’opposition sous-jacente au livret de Fuzelier : l’amour face à la guerre.

Le violon d’Inde d’Alarcón

Les différents acteurs puisent ainsi dans des malles les costumes (magnifiques de Katharina Schlipf) des différentes entrées. Les hédonistes, réunis par Hébé, rencontrent bientôt les belliqueux qui veulent nuire à leurs plaisirs, et ce fil rouge, sommaire mais théâtralement efficient, permet d’appréhender les superbes chorégraphies de Demis Volpi avec d’autant plus de naturel qu’elles ont été intelligemment intégrées aux autres artistes au point qu’on se demande parfois qui chante et qui danse. Quant à l’œuvre, les puristes vont crier au scandale en voyant que le pas de deux de l’acte des fleurs (le plus dramatiquement faible de la partition) a été déplacé en préambule, avant le lever de rideaux, et surtout l’invocation des « forêts paisibles » sur laquelle s’achève l’opéra, sous une suggestive pluie de neige. La suite voulue par Rameau (« Régnez plaisirs et jeux », le menuet pour les guerriers français et la chaconne finale) disparait. Mais il faut avouer que le tempo choisi par le chef est sans doute le plus juste, le plus émouvant, en étroite cohérence avec le texte, qu’il nous ait été donné d’entendre.
Le spectacle réunit en outre une excellente distribution et les nombreux chanteurs italophones déclament Rameau avec un bel engagement et une prononciation impeccable. Dans les rôles d’Hébé, d’Émilie et de Zaïre, Kristina Mkhitarian déploie un timbre riche, sonore et superbement projeté, attentif aux moindres inflexions du texte, magnifié en outre par une présence scénique toujours nécessaire au paradigme rhétorique du théâtre en musique. Roberta Mameli campe l’Amour et Zaïre avec panache, la moindre de ses interventions est un concentré d’émotion qui fait mouche, aussi à l’aise dans la virtuosité que dans le pathétisme élégiaque, et elle restitue au livret de Fuzelier toute sa profondeur dramatique si souvent négligée. Si Claire de Sévigné semble plus embarrassée dans son jeu et son interprétation, malgré un timbre fort bien sculpté, la Fatime d’Amina Edris insuffle à son personnage un poids dramatique singulier (notamment dans le célèbre air « Papillons inconstants »). Les deux ténors de la distribution symbolisent les goûts réunis : l’alerte et expérimenté Cyril Auvity fait une nouvelle fois honneur à la voix de haute-contre à la française, et on aurait aimé l’entendre un peu plus ; quant à Anicio Zorzi Giustinani, il maîtrise sans faille et avec un bonheur jouissif la prononciation et le style. Mêmes qualités superlatives du côté des deux autres chanteurs italiens : Gianluca Buratto est un Ali à la voix caverneuse, mais la palme revient à Renato Dolcini, impressionnant de présence pour ses trois rôles, réussissant en outre à moduler sa belle voix ample de la basse de Bellone à celle de basse-taille d’Adario avec un naturel confondant.
Une mention spéciale pour les chœurs du Grand théâtre de Genève, excellemment préparés par Alan Woodbridge, qui ont accompli un effort particulier pour s’adapter au style de l’opéra baroque français. À la tête de sa Cappella Mediterranea, Leonardo García Alarcón dirige avec style et brio ; avec lui, le théâtre est tout autant sur scène que dans la fosse, instaurant un dialogue constant entre les musiciens et les interprètes dans une osmose qui tient la plupart du temps du miracle. Pour toutes ses qualités, sa version personnelle du chef-d’œuvre de Rameau doit être entendue d’abord comme un formidable spectacle vivant, et « s’ils sont sensibles », comme le déclament Zima et Adario à la fin de l’opéra, les puristes abandonneront toute querelle stérile.

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Compte-rendu. Genève, Grand Théâtre, Rameau, Les Indes galantes, 15 décembre 2019. Kristina Mkhitarian (Hébé, Émilie, Zima), Roberta Mameli (Amour, Zaïre), Claire de Sévigné (Phani), Amina Edris (Fatime), Reanto Dolcini (Bellone, Osman, Adario), Gianluca Buratto (Ali), Anicio Zorzi Giustiniani (Don Carlos, Damon), François Lis (Huascar, Don Alvaro), Cyril Auvity (Valère, Tacmas), Lydia Steier (Mise en scène), Demis Volpi (Chorégraphie),, Heike Scheele (scénographie), Katarina Schlipf (costumes), Olaf Freese (Lumières), Krystian Lada (Dramaturgie), Alan Woodgridge (Direction des chœurs), Cappella Mediterranea, Leonardo García Alarcón (direction).

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