CD, compte rendu critique. Mozart : Les Noces de Figaro / Le Nozze di Figaro. Sonya Yoncheva (Nézet-Séguin, 3 cd Deutsche Grammophon). Voici donc la suite du cycle Mozart en provenance de Baden Baden 2015 et piloté par le chef Yannick Nézet-Séguin et le ténor Roland Villazon : ces Noces / Nozze marque le déjà quatrième opus sur les 7 ouvrages de maturité initialement choisis. Ce live confirme globalement les affinités mozartiennes du chef québécois né en 1975,et qui poursuit son irrépressible ascension : il vient d’être nommé directeur musical du Metropolitan Opera de New York. Hormis quelques réserves, la tenue générale, vivace, qui exprime et la vérité des profils et l’ivresse rythmée de cette journée étourdissante, convainc. Soulignons d’abord, la prestation superlative vocalement et dramatiquement de la soprano vedette de la production. Elle fut Marguerite du Faust de Gounod à Baden Baden (Festival de Pentecôte 2014) : la voici en Comtesse d’une ivresse juvénile et adolescente irrésistible, saisissant la couleur nostalgique d’une jeune épouse mariée trop tôt et qui a perdu trop vite sa fraicheur (quand elle n’était que Rosine….). Sonya Yoncheva renouvelle totalement l’esprit du personnage en en révélant l’essence adolescente avec une grâce et une finesse absolues : son « Porgi amor » ouvrant le II, est affirmation toute en délicatesse d’une aube tendre et angélique à jamais perdue : l’aveu d’un temps de bonheur irrémédiablement évanoui : déchirante prière d’une âme à la mélancolie remarquablement énoncée. Ce seul air mérite les meilleures appréciations. Car Sonya Yoncheva a contrairement à la plupart de ses consœurs, le charme, la noblesse, la subtilité et… surtout le caractère et l’âge du personnage. Inoubliable incarnation (même charme à la langueur irrésistible dans le duo à la lettre du II : Canzonetta sull’aria).
Une Rosina nostalgique inoubliable
La comtesse blessée, adolescente de Sonya Yoncheva
EXCELLENCE FEMININE....A ses côtés, deux autres chanteuses sont du même niveau : incandescentes, naturelles, vibrantes : la Susanne (pourtant au timbre mûre) de Christiane Karg (de plus en plus naturelle et expressive : sensibilité de son ultime air avec récitatif au IV : « Giunse alfin il momento / Deh vient , non tardar, o gioia bella… »), et surtout l’épatante jeune soprano Angela Brower, vrai tempérament de feu dans le rôle travesti de Chérubin. Les 3 artistes éblouissent à chacune de leur intervention et dans les ensembles. Même Regula Mühlemann fait une Barberine touchante (cherchant son épingle dans le jardin : parabole du trouble et de l’oubli semés tout au long de l’action) au début du IV. Exhaustif et scrupuleux, Yannick Nézet Séguin respecte l’ordre originel des airs et séquences de l’acte III ; il dirige aussi tout l’acte IV avec l’air de Marceline (« il capo e la capretta » : épatante Anne-Sofie von Otter, plus fine actrice que chanteuse car
l’instrument vocal est éraillé), et le grand récit de Basilio (sur l’art bénéfique de se montrer transparent : « In quagli anni », chanté par un Rolando Villazon, malheureusement trop outré et maniéré, cherchant a contrario de tout naturel à trouver le détail original qui tue ; cette volonté de faire rire (ce que fait le public de bonne grâce) est étonnante puis déconcertante ; dommage (rien à voir avec son chant plus raffiné dans l’Enlèvement au sérail, précédemment édité). Face à lui, le Curzio de Jean-Paul Fauchécourt est mordant et vif à souhait, soulignant la verve de la comédie sous l’illusion et les faux semblants du drame domestique. Contre toute attente, le Comte Almaviva de Thomas Hampson montre de sérieuses usures dans la voix et un chant constamment en retrait, – ce malgré la justesse du style et l’aplomb des intentions, et pourtant d’une précision à peine audible (même si l’orchestre est placée derrière les chanteurs selon le dispositif du live à Baden Baden). Le Figaro un rien rustre et sanguin de Luca Pisaroni est percutant quant à lui, trop peut-être avec une couleur rustique qui contredit bien des Figaro plus policés, mieux nuancés (Hermann Prey).
Sur instruments modernes, l’orchestre palpite et s’enivre au diapason de cette journée à perdre haleine avec la couleur trépidante, ronde du pianoforte dans récitatifs et airs ; pourtant jamais précipitée, ni en manque de profondeur, la baguette de Yannick Nézet-Séguin ne se dilue, toujours proche du texte, du sentiment, de la finesse : l’expressivité souple assure le liant de ce festival enfiévré qui marque en 1786 la première coopération entre Da Ponte et Mozart, inspirés par Beaumarchais (le mariage de Figaro, 1784). Pour l’excellence des parties féminines, – le sommet en étant la subtilité adolescente de la Comtesse de Sonya Yoncheva, pour l’allure palpitante de l’orchestre grâce à la vivacité nerveuse du chef, ce live de Baden Baden mérite tous les éloges. Au regard des accomplissements ainsi réalisés, les réserves émises ne sont que broutilles face à la cohérence d’ensemble. Saluons donc la réussite collective de ce 4è Mozart à ranger au mérite du duo d’initiateurs Nézet-Séguin et Villazon à Baden Baden.
CLIC de classiquenews de juillet 2016.
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CD, critique. Mozart : Les Noces de Figaro / Le Nozze di Figaro. Sonya Yoncheva, Angela Brower, Christiane Karg, Anne Sofie von Ottter, Regula Mühlemann, Jean-Paul Fauchécourt, Luca Pisaroni, Thomas Hampson, Rolando Villazon… Vocalensemble Rastatt, Chamber orchestra of Europe. Yannick Nézet Séguin, direction — 3 cd Deutsche Grammophon 479 5945 / CLIC de classiquenews de juillet 2016