Compte-rendu, opĂ©ra. Norma de Bellini au cinĂ©ma. Paris, le 26 septembre 2016. Sonya Yoncheva, Antonio Pappano… Casta Diva Ă Covent Garden. EvĂšnement au Covent Garden de Londres : Norma, le chef dâĆuvre bellinien, revient Ă lâaffiche aprĂšs plus de trente ans dâabsence. Pour cĂ©lĂ©brer dignement ce retour, la maison londonienne avait misĂ© sur des premiĂšres fois, de celles qui comptent : sa premiĂšre incarnation du rĂŽle-titre pour Anna Netrebko, le premier Pollione de Joseph Calleja, et la premiĂšre lecture de lâĆuvre pour Antonio Pappano, le directeur musical de lâinstitution. Las, quatre mois avant la premiĂšre, au moment de lâannonce de la nouvelle saison, la diva russe renonce, avançant Ă©tonnamment lâĂ©volution de sa nature vocale comme argument. Branle-bas de combat au sein du théùtre, il sâagit, pour que lâĂ©vĂšnement conserve son caractĂšre exceptionnel, de trouver une remplaçante avec laquelle lâenjeu demeure similaire. Câest Sonya Yoncheva, toujours prĂȘte Ă de nouveaux dĂ©fis, qui accepte courageusement de relever la gageure.
Nous étions donc curieux de suivre la retransmission que proposait la Royal Opera House à travers le monde depuis sa grande salle. Confortablement installés dans les larges fauteuils du cinéma Publicis sis sur les Champs-Elysées, nous avons pu goûter au superbe niveau de cette soirée.
DĂ©jĂ , le spectaculaire dispositif scĂ©nique imaginĂ© par le collectif espagnol La Fura dels Baus, composĂ© de centaines de crucifix amoncelĂ©s pour former un espace Ă la fois grandiose et oppressant qui rappelle souvent une cathĂ©drale. La scĂ©nographie place lâhistoire de Norma au sein dâune secte dâinspiration catholique, multipliant les symboles et les rites. On se souviendra longtemps des aveux dâAdalgisa jouĂ©s comme une vĂ©ritable confession religieuse, Norma pouvant ainsi, cachĂ©e dans lâombre, se laisser aller aux souvenirs de son amour alors naissant. On regrette seulement le dĂ©cor lourdement ratĂ© reprĂ©sentant lâintimitĂ© de la prĂȘtresse et de ses enfants cachĂ©s, mobilier moderne et froid dâun appartement moderne, avec tĂ©lĂ©vision diffusant sans interruption un dessin animĂ©, irruption brutale et dĂ©sagrĂ©able dâune temporalitĂ© actuelle au sein dâune mise en scĂšne qui cultive une intemporalitĂ© des plus apprĂ©ciables. Les gros plans imposĂ©s par la camĂ©ra permettent en outre dâisoler le magnifique duo entre les deux femmes au deuxiĂšme acte, lĂ oĂč les plans larges nous rĂ©vĂšlent, alors que la partition atteint son apogĂ©e dans la finesse, la fille de Norma qui parcourt la scĂšne en rebondissant sur un ballon (!), dĂ©tail pour le moins incongru et inutile qui doit, on lâimagine, tuer dans lâĆuf toute Ă©motion depuis la salle. Et pourquoi terminer lâĆuvre sur lâimage dâOroveso abattant sa fille dâune balle dans la tĂȘte ? Des questions sans rĂ©ponses, mais qui nâentachent pas une production qui reste en grande partie trĂšs belle.
La distribution rĂ©unie pour lâoccasion se rĂ©vĂšle globalement excellente. Aux cĂŽtĂ©s de trĂšs bons seconds rĂŽles, comme toujours sur la premiĂšre scĂšne londonienne, on passera rapidement sur un Oroveso indigne, court de timbre comme dâaigus, nâayant Ă faire valoir quâun grave sonore.
Promenant son Adalgisa sur toutes les scĂšnes du monde depuis plus de vingt ans, Sonia Ganassi fait montre dâun beau mĂ©tier, mais la prise de son accentue lâusure de son timbre et Ă©touffe ses aigus forte, qui doivent pleinement sonner en salle. Son jeu, parfois trop hystĂ©rique et agitĂ© Ă notre goĂ»t, pĂątit de la proximitĂ© de la camĂ©ra, mais demeure toujours engagĂ© et sincĂšre.
Un peu Ă la peine dans ses premiĂšres interventions, Joseph Calleja se mesure Ă un rĂŽle un peu trop lourd pour lui, mais il lâaffronte avec ses moyens et fait bĂ©nĂ©ficier ce personnage souvent sacrifiĂ© de toute sa palette de nuances, jusquâĂ des aigus piano superbes. PassĂ©e une cabalette Ă la vaillance un peu ardue, son art du chant rĂ©ussit Ă rendre intĂ©ressant le proconsul romain et son duo avec Adalagisa, de toute beautĂ©, demeure lâun des sommets de la soirĂ©e. La prise de son, en captant surtout son Ă©mission particuliĂšre, comme mixte sur toute la tessiture, au dĂ©triment de la projection en salle, accentue la singularitĂ© de son portrait vocal. Pleinement concernĂ© scĂ©niquement, le tĂ©nor maltais semble avoir beaucoup progressĂ© dans la caractĂ©risation théùtrale et on salue sa prestation.
Reste le rĂŽle-titre, lâune des Ă©tapes majeures dans une carriĂšre de soprano. On craignait un peu cette prise de rĂŽle qui nous apparaissait prĂ©maturĂ©e dans le parcours de Sonya Yoncheva. La soprano bulgare a-t-elle eu raison de se mesurer Ă ce personnage mythique ? AssurĂ©ment. Doit-t-elle persĂ©vĂ©rer dans cette voie ? Rien nâest moins sĂ»r. DĂšs les premiĂšres notes, et jusquâaux derniers accords, on demeure de bout en bout admiratifs du travail accompli par la chanteuse en Ă peine quatre mois.
Norma d’importance
Admiratifs et profondĂ©ment touchĂ©s par sa comprĂ©hension du rĂŽle, tellement juste et personnelle ; par son jeu habitĂ© de bout en bout jusqu’aux regards flamboyants ; par la splendeur de son mĂ©dium encore davantage flattĂ© par le micro ; par sa diction splendide, incisive et mordante, dont on ne perd pas une syllabe ; par son impeccable style belcantiste, jusquâaux variations dans les reprises. A beaucoup d’Ă©gards dĂ©jĂ , Sonya Yoncheva signe ici une Norma d’importance. Et pourtant lâinquiĂ©tude nâest jamais trĂšs loin quant Ă l’Ă©volution de sa voix. Les piani difficiles et souvent dĂ©timbrĂ©s lorsquâils sont tentĂ©s ; lâaigu forte attaquĂ© soit de front et en force, soit marquĂ© par un vibrato qui tend Ă sâĂ©largir dangereusement et qui Ă©voque parfois la Callas des derniĂšres annĂ©es ; la couleur alĂ©atoire, parfois claire et naturelle, souvent assombrie et appuyĂ©e dans le mĂ©dium, malgrĂ© la splendeur du timbre. Autant de dĂ©tails qui semblent de mauvais augure pour lâavenir dâune chanteuse de seulement 34 ans, aussi douĂ©e soit-elle. Sa Leila flamboyante Ă lâOpĂ©ra Comique date dâil y a seulement quatre ans, la mĂ©tamorphose rapide et radicale qui semble depuis avoir Ă©tĂ© la sienne nous contraint Ă former des vĆux de prudence pour la suite de sa carriĂšre, afin de pouvoir profiter encore longtemps des talents rares de cette artiste exceptionnelle Ă maints Ă©gards.
Couvant amoureusement tout ce petit monde, Antonio Pappano rĂ©alise un coup de maitre pour sa premiĂšre Norma, et se positionne comme le vĂ©ritable protagoniste de la soirĂ©e. Suivi comme un seul homme par tout un orchestre en Ă©tat de grĂące, il tisse un tapis sonore sous les pas des chanteurs, offrant Ă leurs voix un vĂ©ritable Ă©crin. Trouvant la juste pulsation de la phrase bellinienne, le chef amĂ©ricain dĂ©roule des trĂ©sors dâĂ©quilibre et de legato, tout en sachant dĂ©chaĂźner les tempĂȘtes au bon moment, notamment dans le final du premier acte, tourbillon de rage et de colĂšre. Une confirmation, sâil en Ă©tait besoin, de son immense talent de chef dâopĂ©ra, qui le rend si prĂ©cieux aujourdâhui.
Une trÚs belle soirée, guidée par le maßtre-mot : émotion.
Compte-rendu, opĂ©ra. Norma de Bellini au cinĂ©ma. Paris, le 26 septembre 2016. Sonya Yoncheva, Antonio Pappano…