CD, compte rendu critique. Godard : Symphonies opus 57, 23 (David Reiland, 2015, 1 cd CPO). L’éclectisme de Godard, qui l’impose dans le terreau de la France fin de siècle (autour des années 1880), signe ici un cycle symphonique qu’une oreille expéditive taxerait de superficialité démonstrative voire d’offrande à l’académisme pompier, en manque évident de profondeur. Or concernant l’opus 57, la Symphonie n°2 (1879), on y détecte d’évidentes parentés stylistiques qui composent comme un contexte esthétique et musical propre à l’habileté érudite du compositeur dont l’opus représente son cycle orchestral pourtant le plus ambitieux ; c’est même un jalon important de l’histoire symphonique en France avant les opus de Lalo, Saint-Saëns, surtout Franck dont la Symphonie en ré de 1888/1889 marque le sommet des recherches contemporaines : l’écoute du cd CPO dévoile un souci de traiter tous les aspects de l’écriture orchestrale, de surcroît dans un effectif relativement imposant (bassons et cors jusqu’à quatre, trombones par trois…) ; le 1er mouvement fait référence à l’optimisme altier de Mendelssohn, le 2è mouvement totalement construit sous forme de Variations (histoire de montrer pour Godard, ses aptitudes à varier l’orchestration sur un même thème) rappelle Brahms ; tandis que le Scherzo cite Gounod (réminiscences de l’esprit de la Reine Mab) ou Massenet (dans cette grandiloquence très Second-Empire). Le 3ème mouvement est de loin le plus intéressant car il dévoile le souci d’articulation, et la grande agilité à varier la caractérisation du chef David Reiland, requis pour cet exercice peu facile du défrichement. Sauf erreur il s’agit bien d’une première mondiale. Or l’éblouissante agilité mozartienne de la direction, en particulier dans la succession des tableaux si contrastés de l’Allegro final, s’avère le meilleur choix artistique pour la réhabilitation du compositeur romantique français. On demeure étonner cependant que les initiateurs du projets n’aient pas choisi un orchestre sur instruments anciens.
Romantisme français orchestral
David Reiland explore avec finesse l’éclectisme symphonique de Godard
La juste caractérisation des timbres, leur format sonore militent ici pour un allègement salvateur de la texture car l’écriture française orchestrale à de très rares exceptions près, sonne solennelle voire lourde – donc automatiquement grandiloquente. Or David Reiland dont on connaît désormais l’aptitude singulière à l’articulation et à la clarté, évite toute épaisseur, toute emphase, atteignant une transparence détaillée, une activité sonore palpitante qui s’avère passionnante à suivre d’épisode en épisode. Cette Symphonie n°2 prolonge la maturité d’une écriture qui s’est affirmée dramatique et expressive dans le grand format, une maîtrise qui s’était dévoilée l’année précédente en 1878 quand l’auteur remporte le Prix de la Ville de Paris, soucieuse de relancer la vogue des oratorios fervents, avec Le Tasse, vaste cycle symphonique et dramatique de 1877 (une épopée orchestrale bien plus naturelle que Le Paradis perdu de son comparse Théodore Dubois, actif à la même période et pour le même Prix, également sujet d’un disque dont Classiquenews en son temps a rendu compte).
Grâce à la vigilance du maestro belge, le détail lié à un grand sens de l’analyse synthétique, saisit le caractère de chaque séquence, sans omettre la perception de l’architecture globale. Voilà qui se retrouve aussi dans sa direction de chef lyrique à laquelle nous devons déjà de grandes réussites.
Caractérisées, les Trois pièces (opus 51) sont vives et ainsi subtilement détaillées (hautbois et flûte très exposés dans la Brésilienne, verve mélodique d’un très bel entrain de la très célèbre Kermesse… laquelle pourrait servir d’accompagnement musical à l’entrée du chœur dans un opéra de … Massenet). Dans la Symphonie opus 23, Godard ancien élève du symphoniste Henri Reber (récemment dévoilé lui aussi et acteur raffiné très germanisant également, pour un symphonisme français souple et presque aérien), cultive un style fragmenté, fortement caractérisé selon les 5 épisodes mouvements dont le profil spécifique oriente la Symphonie annoncée plutôt vers la Suite d’orchestre. Dans ce cycle créé en 1881, le travail de David Reiland impose une très forte implication expressive qui le distingue de nombre d’approches routinières : le maestoso est grandiloquent, effectivement néobaroque dans ces citations de Haendel, et donc dans le goût du XIXè éclectique, « gothique » (d’où le titre de l’opus). L’Andantino qui suit frappe par sa carrure allante et sa vive pulsion rythmique ; le Grave est sombre et majestueux ; et même le finale plus ouvertement néobaroque, – proche en cela d’un Massenet décidément, celui des intermèdes versaillais de Manon-, affirme une santé nerveuse aux couleurs précises et justement nuancées. Le chef apporte toute la finesse possible à une écriture qui n’empêche jamais une certaine complaisance au goût dominant, plus proche de Saint-Saëns que de Wagner ; mais un style français éloigné du wagnérisme pour remonter le temps vers Mendelssohn et ici, aussi Bach aux côtés de Haendel. Sévère dans sa construction et les multiples références formelles qu’elle convoque, la Suite Gothique diffuse ici une intensité versatile souvent irrésistible. La tenue des instrumentistes de l’orchestre germanique sous la baguette du chef David Reiland emporte l’enthousiasme par leur finesse et l’élégance continuelle qui traverse les 3 cycles symphoniques heureusement redécouverts. La direction affûtée, vive, équilibrée et contrastée du chef fait toute la valeur de ce disque qui est aussi une source de découvertes.
CD, compte rendu critique. Godard : Symphonies n°2 opus 57, « Gothique » opus 23. Trois Morceaux (Marche funèbre, Brésilienne, Kermesse). Münchner Rundfunkorchester. David Reiland, direction (1 cd CPO enregistrement réalisé en septembre 2015).
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