vendredi 19 avril 2024

CD. Beethoven : Les Créatures de Prométhée (Armonia Atenea, George Petrou, 2013)

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prometheus beethoven decca armonia Atenea George Petrou cdCD. Beethoven : Les Créatures de Prométhée (Armonia Atenea, George Petrou, 2013). C’est un Beethoven dépoussiéré, tonique mais aussi remarquablement articulé qui s’impose à nous grâce à la sanguinité féline et élégante de George Petrou et de son ensemble Armonia Atenea. Vitalité, finesse agogique, maîtrise éloquente des contrastes dès l’Ouverture (en son entrée … nageant dans les béatitudes, contrepointant des éclats guerriers), chef et instrumentistes, d’une élégance folle et très inspirés (superbe palpitation des cordes), nous régalent grâce aux bénéfices des timbres des instruments anciens : un fruité mince mais intense et mordant, des attaques plus fines, une sonorité aux dynamiques d’un format originel que la prise de son magnifie avec style et intelligence. On écoute ici du Beethoven comme rarement, d’autant plus bénéfique s’agissant d’une oeuvre de jeunesse (supérieure à sa Symphonie n°1 en réalité : l’ouverture fait souffler un vent tragique qui annonce directement par sa nature théâtrale et son écriture dramatique Leonore III, rien de moins) ; une partition si mésestimée qu’elle était devenue « mineure »  dans l’esprit embrumé de tous… à torts évidemment : enfin révélée dans sa stature d’origine, à la fois pétaradante et d’une intensité d’un raffinement inouï, la partition du Beethoven trentenaire à Vienne sort de l’ombre.
Depuis les premiers apports de la pratique historiquement informée, les orchestres sur instruments d’époque sont de plus en plus nombreux : chacun apporte sa carte sonore, celle d’Armonia Atenea regorge de nervosité et de grandeur, servant un Beethoven viril, altier, mais aussi d’une hypersensiblité qui le rend humain. L’équilibre et la clarté des pupitres associés (bois, cuivres…) sont jubilatoires, d’une opulence caractérisée d’une superbe tenue. Armonia Atenea mérite de figurer aux côtés des meilleures phalanges maîtrisant et la technicité volubile et l’intelligence expressive, capable d’une netteté de trait époustouflant comme d’une ampleur de geste presque détaché et souple, un modèle dans le genre : Orchestre des Champs Elysées et son « petit frère » : le JOA, Jeune Orchestre de l’Abbaye (ex Jeune Orchestre Atlantique), Anima Eterna de Jos Van Immerseel, sans omettre le très pertinent orchestre Les Siècle de François Xavier Roth… le gain en terme d’expressivité et de subtilité sonore au registre des orchestres sur instruments d’époque dans la veine symphonique n’est plus à démontrer : l’apport d’Armonia Aeterna nous le prouve ici avec une finesse fluide rarement atteinte comme c’est le cas dans ce programme.

 

 

 

Réjouissant orchestre chorégraphique

 

CLIC D'OR macaron 200La direction ne fait pas que ciseler la très fine caractérisation parfois pincée de chaque épisode ; le chef George Petrou n’oublie pas pour autant la pulsion, le nerf, la tension, la lumineuse espérance d’une orchestration portée vers la lumière et la glorification du mouvement.  A Vienne fin mars 1801 (le Ballet les Créatures de Prométhée est créé le 28 mars 1801), Beethoven semble prolonger le meilleur Haydn,  et non des moindres : celui de son oratorio, La Création créé quelques semaines auparavant (1801), manifeste de toute cette élégance viennoise début de siècle ou véritable hymne musical de la Vienne des Lumières, et que le jeune et déjà génial Ludwig dépasse avec un feu rayonnant,  une claire conscience qu’il y échafaude la musique de l’avenir : pressé d’être convaincu ? N’écoutez alors que la plage 11 (Adagio – Allegro molto) : une synthèse brillantissime dans le style frénétique du premier romantisme que George Petrou porte jusqu’à incandescence dramatique : fièvre orchestrale, intelligence dynamique, ciselure des instruments solistes. Du grand art ! Mêmes climats d’une profondeur et d’une précision superlative dans l’épisode qui suit, l’Allegro de la Pastorale dont l’inspiration musicale (balancement rayonnant entre dignité et panache fou) montre naturellement le génie beethovénien … donc remarquablement exprimé par les musiciens d’Armonia Atenea.

Voici une nouvelle vison particulièrement convaincante d’autant plus bénéfique qu’elle ne néglige ni la pétillance des timbres restitués ni l’esprit de la partition qui aux côtés de son formidable essor orchestral, est aussi surtout une action chorégraphique. La ciselure des instruments solistes (harpe, bois, vent, corde dans le printanier et pastoral du Grave, plage 7) démontre la science et la sensibilité du Ludwig trentenaire (31 ans en 1801). Dans ce bouillonnant festin de timbres ciselés, goûtez en effet la harpe (si rare dans l’oeuvre de Beethoven pour être signalée) toute en légèreté mélancolique ; c’est, s’agissant du seul usage de l’instrument, une révélation. Même sentiment pour le cor de basset (si aimé du dernier Mozart dans La Clémence de Titus) que Beethoven aime chérir dans le solo della signora Cassentini, d’une sensualité irrésistible, certainement très inspirante pour la ballerine convoqué de ce solo de plus de 5mn  (plage 16).

petrou-george-armonia-atenea-beethoven-582-380Rien ne manque de ce point du vue au chef : George Petrou a le sens des infimes détails comme de l’architecture globale du ballet : il reste constamment soucieux de l’énergie dramatique (pulsation dansante des n°8, 15 et 16, ces deux derniers épisodes semblant faire la synthèse de toutes les symphonies de Haydn dans l’abandon, l’élégance, l’humour et la facétie aussi), de l’alternance des épisodes,  du sens du parcours dramatique. L’euphorie et l’ivresse jamais creuses des instrumentistes font tous les délices de cette lecture qui dévoile en bien des points, des trouvailles réjouissantes ; ce jaillissement irrépressible du Beethoven, symphoniste génial : l’essor du thème principal du Finale, déjà esquissé dans l’Ouverture- qui sera repris dans le final de la Symphonie n°3 ‘Héroïque » l’indique clairement : il fallait bien que l’énergie palpitante et souvent irrésistible du ballet Prométhée, ainsi révélé par Armonia Atenea, soit finalement recyclé dans un programme de musique pure, et non des moindres. De sorte qu’ici, en place d’un final de Ballet, n’en déplaise au chorégraphe et danseur vedette, initiateur de l’ouvrage, Salvatore Vigano (qui destina le Ballet pour l’Impératrice si mélomane Marie-Thérèse), c’est bien le chant du seul orchestre qui se déploie enfin dans un finale dont l’esprit symphonique est d’une irrésistible élégance. On connaissait Armonia Atenea comme complice du baroqueux et très haendélien contre ténor Max Emanuel Cencic (cf. Alessandro ou le récent Rokoko célébrant Hasse, 2 albums édités aussi chez Decca) : le plaisir de servir Beethoven avec autant de finesse que d’intelligence reste saisissant. Une très grande surprise et donc, un CLIC de classiquenews pour l’été 2014.

 

 

Beethoven : Les Créatures de Prométhée, ballet opus 43, Vienne, le 28 mars 1801. Armonia Atenea, George Petrou, enregistrement réalisé en juillet et septembre 2013 à Athènes). 1 cd Decca 478 6755.

 

Illustration : George Petrou © Ilias Sakalak

 

 

 

 

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