SAINT-ETIENNE, Opéra. David Reiland dirige Nabucco de Verdi : les 3, 5 et 7 juin 2016. Avant Verdi, Haendel avait traité dans Belshazzar (LIRE notre critique de la lecture jubilatoire de William Christie et des Arts Florissants), – oratorio anglais de la pleine maturité, l’arrogance du prince assyrien, conquérant victorieux siégeant à Babylone dont l’omnipotence l’avait mené jusqu’à la folie destructrice. Mais Nabucco ne meurt pas foudroyé comme Belshaazar : il lui est accordé une autre issue salvatrice. C’est un thème cher à Verdi que celui du politique rongé par la puissance et l’autorité, peu à peu soumis donc vaincu a contrario par la déraison et les dérèglements mentaux : voyez Macbeth (opéra créé en 1865). Ascension politique certes, en vérité : descente aux enfers… l’exemple de la princesse Abigaille, en est emblématique. Devenue toute puissante, la lionne se révèle rugissante, étrangère à toute clémence.
Nabucco en clémence, Abigaille de fureur…
Créé à la Scala de Milan en mars 1842 (d’après un opéra initialement écrit en 1836, et intitulé d’abord, Nabuchodonosor), l’opéra héroique et tragique de Verdi brosse le portrait d’un amour impossible entre la fille héritière de Nabucco, Abigaille (soprano) qui aime le neveu du roi de Jérusalem, Ismaël. Mais celui-ci lui préfère Fenena, l’autre fille de Nabucco, alors prisonnière des Juifs. L’acte II est le plus nerveux, riche en fureur et passions affrontées. Abigaille, l’élément haineux et irascible, vraie furie noire du drame, profite de l’orgueil démesuré de son père Nabucco qui se déclarant l’égal de Dieu, est foudroyé illico : le jeune femme en profite pour prendre le trône. Au III, devenue reine de Babylone, Abigaille rugit, tempête, manipule car rien n’est jamais trop grand ni impossible quand il s’agit de conserver le pouvoir : elle détruit les parchemins sur la nature illégitime de sa naissance, proclame la destruction de Jérusalem et le massacre des Juifs. Amoureuse rejetée, la lionne exacerbe le masque de la femme politique : le choeur des hébreux déchus et soumis (l’ultra célèbre « Va pensiero », dans lequel la nation italienne s’est reconnue contre l’oppresseur autrichien), jalonne un nouvel acte d’une fulgurance inouïe.
Le IV voit le retour de Nabucco qui renverse sa fille indigne et barabre Abigaille, devenue despotique et comprenant que cette dernière va tuer Fenena, son autre fille, s’associe aux Hébreux qui sont désormais les bienvenus dans leur patrie : Nabucco humanisé, sait pardonner, et Abigaille doit renoncer, en célébrer le succès du mariage d’Ismaël avec Fenena. D’une écriture féline, sanguine, fulgurante en effet, l’opéra fut un triomphe, le premier d’une longue série pour le jeune Verdi : joué plus de 60 fois dans l’année à la Scala après sa création, record absolu. La folie du politique, l’amoureuse éconduite déformée par sa haine, la brutalité royale et l’oppression des peuples firent beaucoup pour le succès de l’ouvrage dans lequel tout le peuple italien, à l’aube de son unité et de son indépendance, s’est aussitôt reconnu. Verdi devenait le nouveau Shakespeare lyrique, champion de la nouvelle cause sociétale et politique.
Ne manquez pas cette nouvelle production d’un chef d’oeuvre de jeunesse de Verdi : fougueux, impétueux, foncièrement dramatique, et psychologique. Dans la fosse, règne la fougue analytique du jeune maestro belge David Reiland, directeur musical et artistique de l’Orchestre de chambre du Luxembourg depuis septembre 2012, et premier chef invité et conseiller artistique de l’Opéra de Saint-Etienne. Mozartien de cœur, grand tempérament lyrique, le jeune chef d’orchestre qui est passé aussi par Londres (Orchestre de l’Âge des Lumières / Orchestra of the Age of Enlightenment) devrait comme il le fait à chaque fois, nous… convaincre voire nous éblouir par son sens de la construction et des couleurs. Trois représentations à Saint-Etienne, à ne pas manquer.
Opéra de Saint-Etienne
Nabucco de Verdi
Les 3, 5 et 7 juin 2016
JC Mast, mise en scène
David Reiland, direction
Avec Nicolas Cavalier (Zacharia), André Heyboer (Nabucco), Cécile Perrin (Abigaille)…
Orchestre symphonique Saint-Etienne Loire
Réservez directement depuis le site de l’Opéra de Saint-Etienne
DAVID REILAND au disque : le chef belge qui réside à Munich,vient de faire paraître un disque excellent dédié au symphoniste romantique français, Benjamin Godard (Symphonies n°2 opus 57, « Gothique » opus 23, Trois morceaux symphoniques… avec le Müncher Rundfunkorchester, septembre 2015), parution très intéressante récemment critiqué par classiquenews : « la direction affûtée, vive, équilibrée et contrastée du chef fait toute la valeur de ce disque qui est aussi une source de découvertes. »