OPERA. ENTRETIEN AVEC DAVID REILAND Ă propos de Nabucco de Verdi. Quels sont les dĂ©fis de la partition ? Que rĂ©vèlent-ils de l’Ă©criture du jeune Verdi ? Quelques jours avant de diriger la nouvelle production de Nabucco de Verdi Ă l’OpĂ©ra de Saint-Etienne, Ă partir du 3 juin prochain, le chef David Reiland souligne la richesse d’une partition certes de jeunesse, mais d’une force et d’une acuitĂ© passionnantes…Â
DAVID REILAND travaille la pâte orchestrale du jeune Verdi comme un orfèvre sculpte la matière brute. Le chef David Reiland retrouve la scène de l’OpĂ©ra de Saint-Etienne après y avoir dirigĂ© une saisissante Tosca. DouĂ© d’un tempĂ©rament taillĂ© pour le théâtre, le jeune maestro belge que nous avons suivi Ă Paris au CNSMD dans Schliemann de Jolas (nouvelle version 2016), renoue ici avec la furiĂ du Verdi de la jeunesse, soit un Nabucco dont il travaille le relief spĂ©cifique de l’orchestre, l’accord fosse / plateau, la tension globale d’un opĂ©ra parfois spectaculaire et rugissant…  DAVID REILAND : “C’est un opĂ©ra du jeune Verdi trentenaire oĂą la forme est très efficace, plutĂ´t percussive et cuivrĂ©e ; oĂą l’orchestre est narratif et scrutateur de l’action” prĂ©cise David Reiland. “Il est fondamental pour le compositeur de renouer Ă La Scala de Milan avec le succès, dĂ©montrer ses capacitĂ©s, faire la preuve de sa maĂ®trise : de fait, Verdi emploie la forme du seria en numĂ©ros, et un orchestre aux formulations souvent conventionnelles pour l’Ă©poque. Pour autant, ce Verdi qui dĂ©montre, sait aussi Ă©pouser la voix et rĂ©ussir toutes les tensions Ă l’orchestre ; dĂ©jĂ se profilent aussi cette caractĂ©risation intime et le choc des contrastes comme la justesse des situations psychologiques qui annoncent les grands ouvrages de la maturitĂ© (Trouvère, Rigoletto, La Traviata). Dès le dĂ©but, tout doit ĂŞtre parfaitement en place et avancer naturellement : après l’ouverture qui est un pot pourri des airs les plus marquants, la première scène convoque un grand choeur accompagnĂ© par tout l’orchestre : il faut d’emblĂ©e savoir traiter la masse. Le dĂ©fi de la partition rĂ©side essentiellement dans la gestion globale de cette tension permanente, exceptionnellement contrastĂ©e : dĂ©gager une architecture,… et donc bien sĂ»r, approfondir certains Ă©pisodes particulièrement bouleversants par la caractĂ©risation très fine que le jeune compositeur a su rĂ©ussir.
NOIRE MAIS SI HUMAINE : ABIGAILLE. Prenez par exemple le premier air d’Abigaille – comme d’ailleurs l’ensemble de ses airs car elle est très bien servie tout au long de l’opĂ©ra-, celui qui ouvre l’acte II : on s’attend Ă un dĂ©ferlement de fureur en rapport avec le caractère de la jeune femme, car elle comprend alors qu’elle n’est pas la fille du souverain… après un dĂ©veloppement très Ă©nergique, Verdi surprend et Ă©crit un air d’une tendresse bouleversante ; Abigaille est une âme blessĂ©e ; c’est une force haineuse qui s’est construite dans la violence parce qu’il y a au fond d’elle, cette profonde dĂ©chirure que Verdi sait remarquablement exprimer. C’est pour moi l’un des passages les plus bouleversants de la partition ; d’une couleur très chambriste, comme une sorte d’Ă©pure, utilisant le cor anglais et le violoncelle.
L’opĂ©ra aurait dĂ» s’appeler Abigaille tant le personnage est captivant par sa richesse, sa complexitĂ©. En comparaison, le rĂ´le-titre : Nabucco, certes varie entre schizophrĂ©nie, fureur, pardon car en fin d’action, il sait s’humaniser en effet ; sa partie dĂ©voile aussi la passion du compositeur pour les voix masculines ; mais les couleurs que lui rĂ©serve Verdi ne sont pas aussi contrastĂ©es que celle d’Abigaille. Son profil est plus linĂ©aire, en cela hĂ©ritier de l’opĂ©ra seria.
Le CHOEUR. Aux cĂ´tĂ©s des protagonistes, le chĹ“ur est l’autre personnage crucial de Nabucco : le peuple tient une place essentielle. “Va pensiero” est Ă juste titre cĂ©lèbre, et l’Ă©criture contrapuntique avec des imitations très serrĂ©es souligne la volontĂ© pour Verdi de dĂ©montrer sa dextĂ©ritĂ©, mais elle exige une rĂ©alisation prĂ©cise qui est l’autre grand dĂ©fi de la partition”.
Nabucco de Verdi, nouvelle production Ă l’OpĂ©ra de Saint-Etienne, les 3, 5 et 7 juin 2016. David Reiland, direction musicale. LIRE notre prĂ©sentation de Nabucco de Verdi Ă Saint-Etienne
Propos recueillis le 30 mai 2016.