jeudi 28 mars 2024

CD. Handel : Belshazzar. William Christie (3 cd, 2012)

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CLIC D'OR macaron 200CD. Handel : Belshazzar. William Christie (3 cd, 2012)   …   Pour William Christie, le choix d’aborder Belshazzar (King’s Theatre, Haymarket 1745) comme première oeuvre inaugurant son nouveau label discographique, n’est  pas fortuit. Dans la quête de perfectionnement de l’oratorio dramatique anglais (prolongement naturel de l’opéra), Belshazzar incarne un sommet dans le catalogue  Handélien, tant par la richesse et le raffinement de sa musique que la construction dramatique du livret de Jennens. Le geste très subtilement caractérisé de Bill (William Christie) recueille ici des années de pratique handélienne (comme il éblouit littéralement dans l’interprétation de Rameau) et plus concrètement, l’enregistrement de ce Belshazzar anthologique profite évidemment de la tournée des concerts (décembre 2012) qui ont précédé les prises en studio.

 

 

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Flamboyant Belshazzar de William Christie

critique

 

 

Handel_Belshazzar_William ChristieLe chef et fondateur des Arts Florissants exprime le souffle mystique des préceptes de Daniel, la souffrance si humaine – et donc bouleversante-, de Nitocris, la mère de Belshazzar, comme la juvénilité animale et aveugle de Belshazzar ; portés par une telle vision, les protagonistes réalisent une très fine caractérisation de chaque profil individuel.
C’est aussi un très intelligente restitution des situations du drame (solistes sortant du choeur agissant avec les autres choristes ainsi qu’avec les protagonistes ; duos rares si enivrants (dont le sommet bouleversant entre Nitocris et son fils à la fin du I) ; raccourcis fulgurants telle la mort de Belshazzar sur le champs de guerre contre Cyrus le perse …  » expédiée  » en quelques mesures). Tout cela ajoute du corps et un souffle souverain, de nature épique au drame spirituel.

Mieux les choeurs n’ont jamais été plus animés, vivants, imprécateurs ou acteurs enivrés, guerriers, ou captifs persécutés, tour à tour, babyloniens, perses ou juifs selon les tableaux. De ce point de vue, les chanteurs des Arts Florissants n’ont jamais semblé plus inspirés et mieux chantants, portés par la force des images et le sens spirituels du texte. Hallucinés ce sont les juifs qui implorent les Babyloniens de ne pas commettre des actes blasphématoires (Recall, O King, 18b) en un souffle déclamatoire à la fois grandiose et sincère (ampleur incantatoire de Try grandsire trembled…); puis au début du II, une même aisance dans l’articulation collective, entre élégance et humanité suscite l’enthousiasme. Les sopranos se surpassent dans un angélisme fluide (plage 8 : quatre sections enchaînés, quand les eaux de l’Euphrate se retirent) et acte contrasté assumé, ce sont les Babyloniens, enivrés, indécents qui commettent l’irréparable à l’occasion du festin spectaculaire (plage 10) : l’attention au texte, la liberté du geste vocal expriment l’intense dramatisme de la situation chorale ; le peuple de Belshazzar saisit par sa vulgarité décadente, sa laideur morale, son déhanché provocateur. Du très grand art et de la part de William Christie, une vision géniale sur l’articulation du texte.
Le feu et l’implication de l’orchestre sous la conduite du chef restituent l’arrière fond historique qu’apporte Jennens au livre de Daniel, source centrale de l’oratorio. Autour du roi félon, se pressent les agissements de ses ennemis : le perse Cyrus qui assiège la cité, Gobrias, noble assyrien, père inconsolable car Belshazzar a tué son fils…  Le collectif des juifs, captifs à Babylone, aide Cyrus à détourner l’Euphrate pour pénétrer dans la ville et tuer le jeune fou … (c’est la raison pour laquelle Belshazzar mort, Cyrus est acclamé comme un libérateur).
Trois tempérament se distingue au sein d’un plateau très cohérent. Le choix de Iestyn Davies dans le rôle du prophète Daniel est des plus judicieux : l’ample legato d’une couleur diaphane et abstraite exprime la force atemporelle et divine d’un être détaché de l’action guerrière, qui inspire à l’auditeur comme à Nitocris, cette certitude admirable, cette puissante aspiration vers le sublime mystique : du grand art. Torche vivante, tendre et affligée, sur une corde tendue d’une juste émotivité, la soprano Rosemary Joshua qui est familière du rôle (elle l’a chanté à Aix en Provence sous la direction de Jacobs) offre un portrait ardent et très fin lui aussi de Nitocris. Quant à Belshazzar, la fougue primitive, son aveuglement animal, que réussit à trouver et développer le jeune ténor Allan Clayton, il est lui aussi prodigieux. Sa juvénilité sincère nous le rend touchant. Un comble.

Génie dramatique, Handel suit et sublime l’épopée biblique (en particulier le Livre de Daniel), avec un sens du drame prophétique, mêlant sentiment du miracle et horreur absolue, frénésie guerrière et barbare, irrésistible élévation spirituelle : l’écart des registres poétiques est saisissant pour ne pas dire vertigineux. Certains passages purement orchestraux insistent encore sur la tension poétique d’un traitement particulièrement intelligent de l’histoire : le mouvement panique à la cour de Belshazzar exigeant vainement que lui soient expliqués l’apparition magique de la main (pendant le festin où il a bu du vin dans les coupes provenant du temple de Jérusalem) et ses inscriptions mystérieuses (que Daniel est seul à décrypter).  Dans un intermède orchestral bouillonnant de vaine frénésie, Handel imagine alors le déchaînement inutile des faux mages et des sages impuissants, vaste parabole de la solitude, de la vanité et de la folie du jeune roi. La fièvre instrumentale qui anime alors la partition est bien celle de l’opéra.
L’unité comme la perfection de l’architecture d’une oeuvre clé sont d’autant mieux manifestes que pour l’enregistrement un travail critique sur les 3 versions (1745, 1751, 1758) a été mené à terme, offrant un modèle nouveau de caractérisation handélienne. Aucun doute, ce Belshazzar est la nouvelle référence de l’oeuvre. Bravo maestro. Les Arts Florissants réussissent haut la main, leur premier opus inaugurant le nouveau label créé par William Christie : on attend avec impatience le prochain volume, dédié au dernier spectacle Le Jardin de Monsieur Rameau, regroupant les 6 jeunes talents du dernier Jardin des Voix, académie vocale baroque biennale des Arts Florissants (promotion formée à Caen en février 2013).

 

 

A Babylone par Jean Echenoz

 

Handel_Belshazzar_William ChristiePorteur d’un projet culturel aux regards multiples, William Christie s’intéresse aujourd’hui au dialogues des arts, c’est pourquoi le nouveau label qu’il a fondé exprime aussi une vision dynamique et critique des sujets abordés. En demandant à l’écrivain Jean Echenoz (auteur d’un remarquable livre sur Ravel récemment) un texte inédit sur Belshazzar, le chef musicologue orchestre un remarquable débat, ouvert, pluridisciplinaire qui suscite une prometteuse aimantation des disciplines artistiques. Dans «  A Babylone « , brêve littéraire qui se lit comme une nouvelle, Jean Echenoz suit les traces d’un voyageur historique dans la cité légendaire celles d’Hérodote manifestement impressionné par ce qu’il y voit, ce qu’il y découvre, sans vraiment comprendre le sens caché des us et coutumes des Babyloniens (problème de langue probablement). Les témoignages antiques (Echenoz croise les propos et récits de Hérodote donc, son fil conducteur, avec les écrits de Ctésias de Cnide, Strabon, Xénophon…), évoque alors la fière mégapole orientale (7 fois plus grande que l’actuelle Paris), suractive et florissante, traversée par l’Euphrate qu’ont domestiqué les reines Sémiramis et Nitocris, quand les rois babyloniens étaient eux, soit efféminés et passifs (Sardanaple) soit comme Belshazzar, juvéniles et félins, fous et arrogants. Le lecteur apprend beaucoup de ce texte condensé au fort pouvoir suggestif : l’acheminement des matières premières sur des bateaux recyclés, la culture extensive du palmier, … c’est un autre chant bénéfique qui entre en résonance avec l’oratorio de Handel en lui apportant un écho littéraire complémentaire, aussi imagé que documenté. Jean Echenoz joue aussi de l’amplification fantasmatique des témoignages qui superposés, ajoutés en strates depuis les origines, ont gonflé, sciemment ou naïvement, la réalité de la mythique Babylone. Quand la légende submerge l’histoire … Dans ce portrait flamboyant de la ville, l’essayiste historien épingle l’arrogance du peuple oriental, que l’histoire de Belshazzar, telle qu’elle prend forme dans l’oratorio de Handel, synthétise : grandeur et … décadence.

Tout cela compose un coffret éditorialement et esthétiquement abouti ; musicalement indiscutable.

 

 

Handel : Belshazzar, 1745. Les Arts Florissants. William Christie, direction. 3 cd, 1 texte inédit de Jean Echenoz :  » A Babylone « . Les Arts Florissants Editions. Parution : le 22 octobre 2013.

 

 

REPORTAGE VIDEO : visionner notre grand reportage vidéo réalisé au moment de l’enregistrement de Belshazzar de Handel par Les Arts Florissants et William Christie, en décembre 2012 (Levallois)

 

 

 

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