VASTA, Reine de Bordélie. Entretien avec IAKOVOS PAPPAS, directeur musical et fondateur de l’ensemble Almazis. Le 23 novembre 2018 paraît le nouvel album d’Almazis : « Vasta, Reine de Bordélie », tragédie érotico-lyrique d’Alexis Piron. A partir de textes du XVIIIè, le chef et claveciniste, défricheur impertinent, poursuit un travail souvent percutant / pertinent sur les sources baroques. En associant baroque et érotisme, Iakavos Pappas renoue avec l’instinct défricheur des plus grands « baroqueux », … en découle un drame d’un nouveau genre, où là encore, textes et musique, drame et poétique sont indissolublement liés. Ils questionnent la forme musical, l’intention du texte, le sens d’une situation dramatique. Entre irrévérence, provocation mais pertinence, Iakovos Pappas rétablit la qualité suprême du baroque : sa vitalité critique. Ainsi Vasta 2018 est le fruit attendu d’une gestation longue et reportée (amorcée dès 2003) qui n’a pas manqué évidemment, dans notre société bienpensante, puritaine et ouatée, de susciter refus et incompréhension… Entretien exclusif.
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CLASSIQUENEWS : Quels sont les critères qui vous ont permis de sélectionner textes et musique pour ce nouveau programme ?
Iakovos PAPPAS : Je crois que mon goût pour le rire est le principal critère ; le constat aussi d’un raidissement moral général et des relents d’intolérance très inquiétants. D’autre part l’ennui causé par des programmations d’une tristesse à faire mourir instantanément, m’ont également décidé à exploiter ce répertoire pour la plus grande réprobation de la sainte bienséance baroqueuse, prônant la pureté artistique.
Vasta est l’aboutissement de réflexions et de recherches durant une vingtaine d’années, ce qui doit constituer le plus long projet de la musique dite baroque. Déjà en 1998, nous préparions avec Philippe Lénaël dans le cadre du feu « Printemps des Arts de Nantes », une sorte de joute-en-spectacle : opposer Phèdre de Racine à Vasta de Piron ; une levée de boucliers au sein même du conseil d’administration eut raison de notre très grand enthousiasme. Vous comprendrez alors que je suis extrêmement reconnaissant auprès de MM. Jean-Loup Gratton et François Nida qui permirent, par leur impeccable accueil au sein de la Bibliothèque de France, d’achever cette longue aventure.
CLASSIQUENEWS : Qu’est-ce qui préserve la cohérence de l’ensemble ?
Iakovos PAPPAS : En tout cas ni l’argent, ni le pouvoir ; je n’ai ni l’un ni l’autre.
Il se pourrait que les artistes avec lesquels je collabore, trouvent satisfaction à ce que je ne demande rien que je ne pourrais réaliser moi-même ; si vous voulez je suis mon propre cobaye. Peut-être la cohérence est préservée par l’absence de rapports de pouvoir ; je ne fais pas la musique pour assouvir des frustrations en traitant chanteurs et instrumentistes avec la morgue d’un roitelet.
CLASSIQUENEWS : L’effectif instrumental requis et les chanteurs apportent quels éclairages sur le sens et le dramatisme des œuvres ?
Iakovos PAPPAS : Pour un projet radical et exceptionnel, il faut une équipe exceptionnellement douée et capable d’une expression radicale.
Concernant les chanteurs, qui sont aussi et surtout des acteurs chantants, il n’y a pas beaucoup à dire ; quant à l’effectif, il est imposé par les besoins de Vasta, pièce principale de la production ; enfin rien sauf l’impérieuse nécessité des qualités requises extrêmement rares, surtout présentement : une absence très poussée de scories petit-bourgeois-bien-rangé. Cette distribution obligée ne fut pas un fardeau mais au contraire l’occasion d’expérimentations très fertiles : je fus obligé de revoir
les pièces à l’origine à une voix, tels « Le pot de chambre », et « Si vos cheminées, Mesdames »… en les mettant en plusieurs voix.
La partie instrumentale en revanche a énormément évolué depuis la création de la première version en 2003. A l’époque, il n’y avait que la basse-continue pour soutenir tout le spectacle ; ce qui fut herculéen. Il m’a paru nécessaire, si on voulait atteindre le postulat d’une efficacité radicale, d’ajouter quelque chose qui manquait aux origines, et qui rendrait nos travaux justes et parfaits, du point de vue de l’expression bien sûr ; ainsi naîtra l’idée d’ajouter un prologue, et un divertissement ; utiliser Ariane à Naxos de G. Benda (d’après une version pour quatuor à cordes du XVIIIe siècle) pour transformer des scènes en mélodrame. L’accompagnement musical ajouta quelque chose de trouble et même d‘inquiétant : faut-il rire, faut-il pleurer pendant les deux scènes des messagers ? Il y aurait beaucoup à dire sur ces rapports qui se créent dans le cadre du mélodrame.
CLASSIQUENEWS : Quel érotisme se précise à travers ce programme ? Est-on proche de Sade ou des Lumières ? Dénotez-vous une lecture parodique voire satirique à travers le prétexte dramatique ?
Iakovos PAPPAS : Bannissons une rumeur tenace au sujet du mouvement appelé « les Lumières » : du point de vue de la sexualité, les coryphées de ce mouvement sont aussi loquaces que les carpes. Ils semblent restés, telle est mon estimation, dans leur état de petits bourgeois guindés. Lisez Voltaire et Montesquieu, les hérauts présumés des libertés sociales : l’article sur la femme et sur la pédérastie du premier dans son Dictionnaire Philosophique de 1764 (où il n’est question que peu de philia) ; l’article intitulé Crime contre nature de l’Esprit des Lois (Livre XII, chapitre 6) du second. Nous sommes très éloignés de l’esprit qui règne dans Vasta ou La Comtesse d’Olonne (que nous enregistrâmes au début des années 2000) ou La Nouvelle Messaline ou encore Caquire.
L’esprit des pièces choisies est très loin de celui qui règne dans les ouvrages de Sade. Toutes les pièces que nous lûmes sont remplies d’un esprit insinuant, de sel fin, moqueur. A l’opposé des écrits de De Sade, l’acte sexuel n’a pas une fonction punitive ; il n’y a ni viol, ni esprit blasphématoire, ni athéisme, et sûrement pas une apologie du meurtre ; rire est plus important que discourir sur l’existence de Dieu. En même temps il y règne un esprit parodique assez sanglant concernant souvent des auteurs du grand style devenus déjà classiques, inévitablement les Corneille et les Racine.
CLASSIQUENEWS : En quoi ce programme original et inédit est-il emblématique d’Almazis ?
Sans vouloir me vanter, je dirai que cette question est tautologique : par postulat Almazis est une formation qui se pose au-delà des clivages de coquetteries esthétiques ordinaires, et éprouve une aversion viscérale pour les collections d’objets enfermés sous cloches de verre et plongés dans du formol.
Propos recueillis en novembre 2018.
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CD, événement. VASTA, REINE DE BORDELIE, tragédie érotico-lyrique d’Alexis PIRON. Almazis, Iakovos Pappas (1 cd Maguelone)
Inspiré par la rencontre de la musique, de la poésie et du théâtre, l’ouvrage d’Alexis PIRON nous offre un visage des réalisations poudrées voire kitsh que l’on nous sert familièrement. Iakovos Pappas et son ensemble Almazis nous offrent un regard direct sur cette liberté de pensée et de chanter propre à la société inventive d’avant 1789 : libertinage, érotisme ont pour témoin privilégié.. la musique. Ici une chanson à boire valeur de fugue, … les usages populaires ou nobles sont inversés, croisés, métissés. La chanson paillarde du XVIIIè a un charme souvent irrésistible car propre au XVIIIè français, l’écriture en est toujours raffinée, élégante, d’une finesse que Almazis ressuscite avec impertinence et vivacité. Critique du CD VASTA / ALMAZIS à venir dans le mag cd dvd livres de CLASSIQUENEWS