jeudi 3 juillet 2025
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CRITIQUE, opéra. SAINT ÉTIENNE, le 17 juin 2025. MOZART : L’enlèvement au sérail. Ruth Iniesta, Marie-Eve Munger , Kaëlig Boché…, Giuseppe Grazioli / Jean-Christophe Mast.

Saint-Étienne et son vaste plateau nous régalent de production en production… La salle du Grand Théâtre Massenet offre une disposition idéale pour l’opéra, avec une fosse parfaitement configurée, permettant de détailler le chant orchestral sans rien perdre des voix sur le plateau ; ce soir le montre à nouveau : équilibre délectable voire jouissif sous la baguette fluide et nerveuse de l’excellent maestro qui est aussi le chef principal de l’Orchestre maison (Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire) : Giuseppe Grazioli.

Après un Samson et Dalila, le mois dernier (mai 2025) plutôt convaincant dans la mise en scène d’Immo Karaman (et sous la baguette du non moins excellent chef Guillaume Tourniaire), c’est l’opéra en allemand que Mozart compose pour la Cour viennoise (à l‘été 1782) qui investit ce soir (pour sa 3è et dernière représentation) l’espace stéphanois dans un spectacle imaginé par Jean-Christophe Mast.

 

 

Cet Enlèvement au sérail convainc par sa vivacité comique et sa justesse émotionnelle, soulignant combien Mozart réussit l’équilibre savoureux entre célébration de l’amour et joutes facétieuses. La profondeur y fusionne avec les saillies burlesques parfois parodiques.

À ce titre, la production nous offre des airs peu joués qui participent des deux registres. Ainsi l’air pour ténor du dernier acte, soulignant la puissance de l’amour, un moment de pure effusion tendre dont Mozart a le secret ; comme auparavant, le duo bouffon Osmin et Pedrillo où le premier succombe à la tentation de l’alcool grâce au stratagème du second travesti en… soubrette [Blondchen] : séquence de pur théâtre cocasse, très bien enlevé par la finesse des deux acteurs, de surcroît très bons chanteurs.

 

Pétillant, élégant… L’Enlèvement au Sérail
triomphe à Saint-Étienne

 

Osmin et Pedrillo : Sulkhan Jaiani et Kaëlig Boché

 

Outre l’élégance et la légèreté des décors [réalisés in loco], c’est la saisissante vivacité générale du spectacle «  alla turca « , qui séduit de bout en bout : une nervosité trépidante qui vient de la fosse sous la baguette du maestro Giuseppe Grazioli, très fin mozartien, véritable fédérateur, précis et ciselé dans l’urgence et la délicatesse, soucieux des équilibres, dévoilant avec une grande justesse un Mozart qui touche, s’amuse, et séduit par une subtilité instrumentale, laquelle se déploie en particulier dans les airs de Konstanze ; le maestro s’appuie sur le ruban des cordes, continument allègre, articulé, conquérant, portant cet esprit bouffon qui associé à l’action dramatique proprement dite, riche en affrontements réguliers, porte la marque du génie mozartien. L’inventivité permanente de la partition conduisit d’ailleurs l’Empereur Joseph II à reprocher au compositeur, d’y avoir mis « trop de notes ».

Et pourtant dans cet « turquerie » décorative, vision de l’Europe des Lumières sur un autre monde, la violence comme la cruauté barbare sont clairement exprimées en particulier à travers le personnage d’Osmin qui concentre la haine viscérale contre tout étranger, en particulier l’occidental et plus encore la fantaisie anglaise aussi délurée que peut l’être ici le personnage de Blondchen…
La condition des femmes est aussi clairement dénoncée : beautés convoitées dont les orientaux pensent pouvoir acheter l’amour, comme une marchandise. C’est ce que défend le rôle parlé du sultan Selim Bassa (avant que la fin en un revirement théâtral, ne lui rende tous les honneurs…).

Mozart y conçoit un superbe portrait féminin, figure axiale qui se dresse comme un phare dans cet Orient barbare et brutal : Konstanze (hommage à Constance Weber, qu’il allait épouser quelques semaines après la création de l’Enlèvement) ; dont la personnalité annonce la fragilité douloureuse d’une Pamina (La Flûte enchantée), et la claire détermination d’une amoureuse fidèle et loyale (à son fiancé Belmonte, comme il en sera aussi question dans Cosi fan tutte, s’agissant de Fiordiligi, alors inflexible comme un roc – du moins en début d’action) ; on retrouve dans l’Enlèvement au sérail ces deux directions, dans la succession des deux airs majeurs, composant un redoutable tunnel de défis pour la diva ; déjà applaudie lors de cette saison dans le rôle titre de Thaïs (nov 2024), la soprano Ruth Iniesta affirme une gravité touchante dans son premier air où jubile aussi les couleurs des bois et des vents ; air d’une langueur doloriste conçu comme un lamento sombre et déjà funèbre, en partage avec clarinette et hautbois, car la belle esclave occidentale ainsi séquestrée, ne cesse de penser à son seul amour Belmonte [« Welcher kummer – Traurikeit! »] ; puis air déterminé et d’une inflexible grandeur morale quand Konstanze défie le pacha amoureux qu’elle estime peut-être mais qu’elle n’aimera jamais en retour ; loyale à Belmonte jusqu’à la mort [« Martern aller Arten »] : la soprano édifie alors une muraille d’acrobaties coloratoures propre à bâtir dans sa prison, une citadelle de fidélité et de résilience… Voilà qui s’inscrit en contradiction directe avec le cynisme de Cosi fan tutte ou Mozart [et Da Ponte] s’amuseront plutôt à dénoncer l’inconstance des femmes.

 

Konstanz, Belmonte, Pedrillo et Blondchen

 

 

 

Pour l’heure, la distribution permet de mesurer le potentiel expressif et dramatique des personnages conçus par Mozart. Aux côtés de la Konstanze convaincante de Ruth Iniesta, comme son double résilient, et d’une égale force morale mais sur le mode comique, la Blondchen de Marie-Eve Munger s’affirme par la cohérence de son jeu scénique comme son espièglerie avenante. Les spectateurs savourent de fait ses duos percutants avec l’ignoble Osmin (impeccable Sulkhan Jaiani) ou avec son fiancé, Pedrillo, le serviteur de Belmonte : le ténor Kaëlig Boché captive lui aussi par son esprit facétieux, sa verve astucieuse, aussi à l’aise vocalement que dramatiquement, jusqu’à la scène précitée, où déguisée en soubrette (Blondchen), il piège Osmin… Un peu lisse au début, le Belmonte de Benoît-Joseph Meier gagne en épaisseur en cours de soirée, composant avec Ruth Iniesta, le couple amoureux digne et soudé dans la mort, finalement épargné, victorieux.
Complétant le quintette vocal, le comédien Mostéfa Djadjam incarne le rôle parlé du Sultan, sorte d’Atatürk, d’autant plus adepte des Lumières européennes, qu’il en incarne l’idéal humaniste et fraternel, en accordant son pardon final.

 

 

Plateau caractérisé et cohérent, fosse jubilatoire, décors fins et élégants, difficile de résister à cet Enlèvement qui vient clôre avec d’indiscutables arguments la saison 24-25 de l’Opéra de Saint-Étienne. La nouvelle saison 2025-2026 est déjà mise en ligne : elle promet de prochains événements immanquables dont une prochaine production mise en scène par Jean-Christophe Mast (La Périchole d’Offenbach : 31 déc 2025 – 4 janv 2026)

 

Toutes les photos Enlèvement au Sérail à l’Opéra de Saint-Étienne : © Opéra de Saint-Étienne – Cyrille Cauvet

 

 

l’ignoble Osmin (impeccable Sulkhan Jaiani) et ses sbires

 

 

 

LIRE aussi notre présentation de l’Enlèvement au Sérail de Mozart à l’Opéra de Saint-Étienne : https://www.classiquenews.com/opera-de-saint-etienne-mozart-lenlevement-au-serail-les-13-15-et-17-juin-2025-ruth-iniesta-benoit-joseph-meier-kaelig-boche-jean-christophe-mast-giuseppe-grazioli/

 

LIRE aussi notre présentation de la nouvelle saison 2025 – 2026 de l’Opéra de Saint-Étienne : https://www.classiquenews.com/opera-de-saint-etienne-nouvelle-saison-2025-2026-intention-temps-forts-la-flute-enchantee-la-belle-au-bois-dormant-charles-sivier-michel-legrand-eoc-canticum-novum-thierry-malandain-pie/

 

 

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Direction musicale : Giuseppe Grazioli
Mise en scène : Jean-Christophe Mast
Décors, costumes : Jérôme Bourdin
Lumières : Michel Theuil

Konstanze : Ruth Iniesta
Blondchen : Marie-Eve Munger
Belmonte : Benoît-Joseph Meier
Pedrillo : Kaëlig Boché
Osmin : Sulkhan Jaiani
Selim Bassa, le Pacha (rôle parlé) : Mostéfa Djadjam

Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire
Choeur Lyrique Saint-Étienne Loire
(direction : Laurent Touche)

Décors et costumes réalisés par
les ateliers de l’Opéra de Saint-Étienne

 

 

 

précédente critique Ruth Iniesta à l’Opéra de Saint-Étienne (Thaïs, nov 2024) : https://www.classiquenews.com/critique-opera-saint-etienne-opera-le-17-nov-2024-massenet-thais-jerome-boutillier-ruth-iniesta-leo-vermot-desroches-carlo-dabramo-victorien-vanoosten-pierre-emmanuel-ro/

CRITIQUE, opéra. SAINT-ETIENNE, Opéra, le 17 nov 2024. MASSENET : Thaïs. Jérôme Boutillier, Ruth Iniesta, Léo Vermot-Desroches, Carlo D’Abramo… Victorien Vanoosten / Pierre-Emmanuel Rousseau

 

 

 

 

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CRITIQUE, opéra. PARIS, Théâtre des Champs-Elysées, le 17 juin 2025. ROSSINI : Semiramide (en version concertante). K. Deshayes, F. Fagioli, G. Manoshvili, A. Kent… Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie, Valentina Peleggi (direction)

Présentée à Rouen en début de mois dans la mise en scène de Pierre-Emmanuel Rousseau, l’excellent plateau vocal réuni autour de la chef italienne Valentina Peleggi (née en 1983) fait son retour à Paris, cette fois en version de concert, au Théâtre des champs-Elysées. Si l’on peut regretter cette proposition minorée au niveau visuel, il faut se féliciter de pouvoir entendre sur scène Semiramide, cet ouvrage de tout premier plan malheureusement trop peu représenté, à l’instar des autres opéras serie de Gioacchino Rossini.

 

Dernier opéra du cygne de Pesaro composé pour l’Italie, en 1823, avant le départ pour Londres, puis Paris,Semiramide impressionne par son ampleur (environ 4 heures de musique, ici légèrement écourtée), tout autant que son inspiration à mi-chemin entre la tragédie lyrique et le grand opéra à la française. La place des chœurs est ainsi prépondérante, à l’instar d’autres ouvrages dans le même style (voir notamment Moïse et Pharaon), mais ce sont surtout des cantatrices de grande envergure qui l’ont remis au goût du jour à partir des années 1960-70, telle que Joan Sutherland (voir le récent coffret événement consacré à la soprano australienne). En France, seul le mélomane voyageur peut se targuer d’avoir entendu dernièrement cette brillante adaptation de Voltaire, de Marseille à Nancy, en passant par Saint-Etienne.

Ces productions anciennes avaient déjà permis d’entendre dans les deux rôles principaux Karine Deshayes et Franco Fagioli, indispensables à la réussite d’un tel feu d’artifice au niveau vocal. En effet, si l’art rossinien nécessite de savoir orner en raffinement, il requiert également une virtuosité éloquente que les deux chanteurs précités, malgré quelques imperfections de détail, possèdent indiscutablement. Ainsi de l’incomparable Karine Deshayes, dont on ne se lasse pas de retrouver le tempérament dramatique, vibrant et toujours sincère, pour porter l’ouvrage de toute sa classe technique et interprétative. On pourra bien entendu faire la fine bouche sur certaines duretés, ici et là, ou de quelques passages légèrement en force : mais quelle performance pour venir à bout d’un tel Everest vocal, sans jamais se départir du style et de son élégance naturelle ! A ses côtés, Franco Fagioli est une autre « bête de scène », qui semble n’avoir peur de rien, pas même des transitions audibles entre registres, entre voix de poitrine et voix de tête. Toute la démesure de cet artiste hors norme éclate dans ce rôle finalement à sa mesure, qui finit par désarmer toute critique au niveau stylistique, tant il vit son personnage comme une évidence.

Les autres rôles s’affirment tout autant, sinon davantage, à l’instar de l’interprétation hallucinée de Giorgi Manoshvili (Assur), qui fait valoir ses graves mordants et admirablement projetés, tandis que Grigory Shkarupa (Oroe) n’est pas en reste dans le brio et la puissance parfaitement maitrisée, autour d’une attention soutenue à la diction. On aime aussi l’agilité et la souplesse aérienne d’Alasdair Kent, dont la voix légère peine toutefois dans les ensembles.

En dehors de ce plateau vocal de toute beauté, l’autre atout décisif de la soirée vient de la battue flamboyante de Valentina Peleggi, qui trouve des délices de raffinement pour alléger les textures dans les parties modérées, avant de s’enflammer ensuite en contraste, sans jamais couvrir les chanteurs et le Chœur Accentus (une fois encore parfait de précision et d’engagement).

 

 

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CRITIQUE, opéra. PARIS, Théâtre des Champs-Elysées, le 17 juin 2025. ROSSINI : Semiramide. K. Deshayes, F. Fagioli, G. Manoshvili, A. Kent… Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie, Valentina Peleggi (direction). Crédit Photo © Caroline Doutre / Opéra de Rouen Normandie

 

 

 

CRITIQUE, comédie musicale. STRASBOURG, Opéra National du Rhin, le 17 juin 2025. SONDHEIM : Sweeney Todd. S. Hendricks, N. Dessay, N. Harrison, M. Oppert… Barrie Kosky / Bassem Akiki

Coproduite par la Komische Oper de Berlin (dont Barrie Kosky est le directeur artistique) et l’Opéra national de Finlande, cette nouvelle production de Sweeney Todd à l’Opéra national du Rhin incarne la vision dépouillée mais percutante du génial metteur en scène australien. Créé en 1979 à Broadway (livret de Hugh Wheeler, musique de Stephen Sondheim et Jonathan Tunick), Sweeney Todd puise ses racines dans le mélodrame victorien et la pièce de Christopher Bond (1970). Sondheim y complexifie le récit originel en mêlant vengeance tragique et satire sociale, élevant le « penny dreadful » au rang d’opéra noir (« dark operetta » selon ses propres termes).

 

L’œuvre fusionne le leitmotiv wagnérien, la complexité rythmique de Stravinsky et l’âpreté de Kurt Weill. Près des trois-quarts du spectacle est chanté ou orchestré, créant un flux narratif ininterrompu qui défie les catégories traditionnelles. Initialement conçu comme une « petite pièce horrifique », le spectacle a été transformé par Hal Prince (mise en scène originale) en une allégorie de la déshumanisation industrielle – métaphore absente ici au profit d’une approche plus psychologique. Kosky rejette ainsi le gigantisme industriel de la production originale pour un dispositif scénique minimaliste mais lourd de symboles. L’espace, dominé par une structure mobile abritant le salon de coiffure de Todd dans la partie supérieure et la boulangerie de Lovett dans la partie inférieure, évoque à la fois un cercueil ou un labyrinthe. Les toiles photographiques en fond suggèrent un Londres spectral, où les choristes (masse anonyme) glissent tels des fantômes. Barrie Kosky explore la folie des personnages à travers leur « physicalité » : la scène du concours de rasage devient un ballet grotesque, tandis que le meurtre du juge Turpin est joué dans un silence glaçant, rompu par le cri d’une clarinette.

Dans le rôle-titre, le baryton texan Scott Hendricks incarne une bête traquée, tout en nuances. Sa voix, tour à tour caverneuse ou murmurée, épouse la folie crescendo du personnage. Sa présence scénique magnétique fait de sa vengeance une tragédie shakespearienne, un Alberich de la Tamise ! De son côté, Natalie Dessay (Mrs Lovett) – que l’on a tant de bonheur à revoir sur scène – livre une performance drôle et terrifiante à la fois. Son accent cockney particulièrement étudié (« Worst Pies in London ! ») et son jeu déjanté fusionnent dans l’air « A Little Priest« , où son timbre cristallin se teinte de roublardise. Ses graves gouailleurs soulignent son pragmatisme monstrueux, tandis que ses duos avec Hendricks électrisent la scène. A leur côté, la distribution ne mérite que des éloges. La jeune Marie Oppert (Johanna) s’avère d’une fragilité touchante dans « Green Finch and Linnet Bird« . La basse étasunienne Zachary Altman possède d’une autorité vile et virile du Juge Turpin (« Johanna, Mea Culpa« ). La soprano canadienne Jasmine Roy (La Mendiante/Lucy) offre une voix rauque et déchirante, révélant l’humanité brisée de son personnage. Cormac Diamond (Tobias Ragg) soulève l’enthousiasme avec son air « Not While I’m Around« , chanté avec une innocence déchirante en voix de tête. Formé à la Arts Educational School de Londres, Noah Harrison incarne Anthony Hope avec une fraîcheur vocale et scénique remarquable. Son timbre de ténor léger, idéal pour le personnage romantique, brille dans « Johanna », où il exprime une ferveur juvénile teintée de détermination. Le ténor Paul Curievici campe un Pirelli haut en couleur, mêlant charlatanisme et virtuosité vocale. Son intervention dans le concours de rasage (scène-clé de l’Acte I) est un feu d’artifice de vocalises précises et d’expressivité théâtrale. Enfin, en Bedeau Bamford, Glen Cunningham incarne l’autorité corrompue avec une élégance perverse. Son ténor au phrasé cristallin et à la projection puissante domine la scène dans « Ladies in Their Sensitivities », où il déploie une séduction malsaine.

En fosse, le chef Libano-polonais Bassem Akiki dirige l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg avec une précision diabolique. Il restitue la richesse des orchestrations de Jonathan Tunick : couleurs sombres, cuivres grinçants (« The Ballad of Sweeney Todd« ) et cordes saccadées (« Epiphany« ) soulignent la violence constamment sous-jacente. Et grâce à la sonorisation, les voix ne sont jamais couvertes par la densité orchestrale. Quant au Chœur de l’Opéra national du Rhin, spatialisé, il enveloppe le public telle une malédiction. Une totale réussite !

A noter que l’Opéra national du Rhin clôturera sa saison 2025-2026 avec Follies (en juin 2026) avec autre chef-d’œuvre de Stpehen Sondheim. Natalie Dessay y incarnera Sally Durant Plummer, sous la direction scénique de Laurent Pelly. Cette programmation audacieuse confirme l’engagement de la maison alsacienne en faveur du répertoire musical – un pont entre Broadway et l’opéra -, où la déchirure du temps rencontre la nostalgie des revues !

 

 

 

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CRITIQUE, comédie musicale. STRASBOURG, Opéra National du Rhin, le 17 juin 2025. SONDHEIM : Sweeney Todd. S. Hendricks, N. Dessay, N. Harrison, M. Oppert… Barrie Kosky / Bassem Akiki. Crédit photo © Klara Beck

 

 

CRITIQUE, opéra. LYON, opéra de Lyon (du 14 au 24 juin 2025). MOZART : Cosi fan tutte. D. Johnny, R. Banjesevic, R. Lewis, I. Kutyukhin… Marie-Eve Signeyrole / Duncan Ward

Dans sa nouvelle production de Così fan tutte de W. A. Mozart, présentée à l’Opéra de Lyon (jusqu’au 24 juin 2025), la metteuse en scène Marie-Eve Signeyrole transpose l’intrigue dans une école des Beaux-arts. Le décor de Fabien Teigné déploie un amphithéâtre aux gradins mobiles, où des étudiants observent et participent à l’expérience orchestrée par Don Alfonso, transformé en professeur de philosophie. Les gradins pivotent pour révéler des espaces changeants : un atelier de nu, une rue projetée où les amants pédalent sur des vélos, ou un jardin intime éclairé par les lumières sobres de Philippe Berthomé. Des projections vidéo annotent l’action comme un tableau pédagogique, soulignant réactions muettes et détails scéniques, tandis qu’un « choeur de figurants-étudiants » – des couples de spectateurs invités à prendre part à la représentation sur la scène ! – incarne un miroir vivant de notre société d’aujourd’hui…

 

L’innovation majeure réside dans l’intégration de jeunes spectateurs volontaires (âgés entre 20 et 32 ans) parmi les figurants. Ces étudiants, témoins actifs des manipulations d’Alfonso, dynamisent l’espace par leurs déplacements chorégraphiés. Lorsque les gradins s’écartent, ils animent des tableaux visuels forts : le simulacre d’empoisonnement des amants devient une performance artistique, et la leçon de séduction dans l’atelier de nu mêle érotisme et innocence. Les costumes contemporains (vestes casual, robes légères etc.) effacent toute distance historique, ancrant la versatilité des sentiments dans une modernité immédiate.

La distribution vocale est un satisfecit total. La soprano serbe Tamara Banješević (Fiordiligi) possède un timbre puissant et dense domine les sauts vertigineux de « Come scoglio », déployant des aigus flamboyants et des pianissimi fiévreux. Son corps écartelé entre devoir et désir incarne la fracture intérieure du personnage. La sulfureuse mezzo canado-omanaise Deepa Johnny (Dorabella) offre à nouveau à l’auditoire sa voix ambrée et lumineuse, capturant les contradictions du rôle avec une spontanéité juvénile. Son jeu physique épouse les élans impulsifs de la soeur cadette. Ancien membre du Studio de la maison lyonnaise, le prometteur ténor américain Robert Lewis (Ferrando) dévoile un lyrisme touchant, naviguant l’étendue technique du rôle avec aisance, notamment dans les moments de désespoir feint ou réel. Son collègue russe Ilya Kutyukhin (Guglielmo) est un baryton au timbre clair et résonant, qui allie virtuosité vocale et assurance scénique, jouant avec brio l’arrogance masculine. La jeune Giulia Scopelliti (Despina), également issue du Studio de l’Opéra de Lyon, offre une Despina moins espiègle qu’avisée. Sa voix large et sonore habite les travestissements (notaire, médecin) sans caricature. Quant à l’italien Simone del Savio (Don Alfonso), loin du cynisme traditionnel, son Alfonso est un humaniste manipulateur. La voix chaleureuse et autoritaire, renforcée par des apartés parlés, impose une présence « doctorale »

Le chef d’orchestre britannique Duncan Ward, placé à la tête de l’Orchestre de l’Opéra national de Lyon, impulse une ouverture nerveuse et contrastée qui annonce d’emblée la vitalité du spectacle. Sa direction alerte épouse les revirements de l’intrigue : elle souligne l’ironie des ensembles comiques (comme le quatuor « La mano a me date »), tout en déployant une palpitation sensuelle dans les duos d’amour. Les instruments à vent répondent avec des couleurs rêvées, notamment le cor dans les arie de Fiordiligi, tandis que le chœur « maison » – excellemment préparé par Benedict Kearns – se fond avec naturel dans la foule estudiantine. Les récitatifs secs, soutenus par un clavecin inventif, gagnent en modernité grâce à des ponctuations de violoncelle en arrière-plan.

Cette production lyonnaise réinvente la farce de Lorenzo Da Ponte en laboratoire des émotions, où la scénographie innovante et les performances vocales exceptionnelles servent un propos universel : l’inconstance n’est pas trahison, mais bien d’essence humaine. Duncan Ward et Marie-Eve Signeyrole offrent un dialogue parfait entre orchestre et scène, tandis que les six solistes, portés par une jeunesse audacieuse, rappellent que Mozart reste un terrain de jeu inépuisable pour les artistes d’aujourd’hui.

 

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CRITIQUE, opéra. LYON, opéra de Lyon (du 14 au 24 juin 2025). MOZART : Cosi fan tutte. D. Johnny, R. Banjesevic, R. Lewis, I. Kutyukhin… Marie-Eve Signeyrole / Duncan Ward. Crédit photo © Paul Bourdrel

 

 

 

REPORTAGE – TEASER : 32ème Festival MUSIQUE & MÉMOIRE 2025 : du 18 juillet au 3 août 2025. Fondamentaux baroques… Résidence d’artistes, place de l’orgue, lieux emblématiques…

32è Festival MUSIQUE & MÉMOIRE 2025 : du 18 juillet au 3 août 2025 – Fidèle à son histoire singulière dans les Vosges du Sud, au Pays des 1000 étangs, Musique & Mémoire diffuse partout sur le territoire l’esprit d’ouverture, de partage, l’expérimentation et l’excellence en favorisant à travers les musiques baroques, les talents émergents et les ensembles engagés…

 

Il explore et poursuit l’aventure musicale en cultivant la proximité et la rencontre ; Fabrice Creux, directeur artistique et fondateur, compose chaque programmation selon les lieux, les artistes, les projets, un cycle estival parmi les plus passionnants de l’été – Focus sur les fondamentaux du Festival depuis 30 ans : résidence d’artistes, place de l’orgue, conjonction inspirante qui associe avec talent patrimoine, paysages et gestes artistiques – reportage teaser de la 32è édition du Festival Musique et mémoire – réalisation : Philippe-Alexandre Pham © 2025 — Durée : 7mn19

 

 

TEASER – REPORTAGE (7mn20) – la 32ème édition de MUSIQUE & MÉMOIRE

 

 

Quels sont les fondamentaux du Festival dans les Vosges du Sud, MUSIQUE & MÉMOIRE ? Résidence d’artistes, lieux et sites emblématiques, place de l’orgue, …

 

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présentation et temps forts

Au coeur des Vosges du Sud, 16 concerts événements, du 18 juillet au 3 août 2025 vous attendent et promettent un prochain été exceptionnel au cœur des Vosges du sud… La programmation est idéalement équilibrée, alternant récital chambriste et plateau collectifs… les grands génies du XVIIIè (Bach, Telemann, Rameau…) croisent un théâtre médiéval, et une célébration en percussion pour les 70 ans d’un fleuron architectural local : la Chapelle Notre-Dame du haut à Ronchamp (dessiné par Le Corbusier)…

LIRE aussi notre présentation du 32è Festival Musique & Mémoire 2025, du 18 juillet au 3 août 2025 : https://www.classiquenews.com/vosges-du-sud-32e-festival-musique-et-memoire-2025-18-juil-3-aout-2025-bruno-procopio-le-poeme-harmonique-les-traversees-baroques-les-timbres-francois-gallon-a-nocte-temporis-reinoud-van/

Fabrice Creux, directeur artistique et fondateur, invite à l’été 2025, une myriade d’ensembles et d’artistes de renommée internationale incarnent cette nouvelle épopée musicale ; les déjà venus et familiers : Les Traversées Baroques, a nocte temporis, Artifices, Ecco la Primavera, Les Musiciens de Saint-Julien, Le Poème Harmonique, Les Timbres, François Lazarevitch, François Gallon, Joël Grare, surtout le claveciniste (et chef d’orchestre) Bruno Procopio, Vincent Peiranin et François Salque…

 

(VOSGES du SUD) 32ème FESTIVAL MUSIQUE ET MÉMOIRE 2025 : 18 juil – 3 août 2025 – Bruno Procopio, Le Poème Harmonique, Les Traversées Baroques, Les Timbres, François Gallon, a nocte temporis (Reinoud Van Mechelen), François Salque…

 

CRITIQUE, concert. ALMADA (Portugal), 5e Festival de Musica dos Capuchos, le 15 juin 2025. « TELEMANN goes east » par l’Ensemble « Tra Noi »

Au lendemain d’un enthousiasmant récital Liszt par Filipe Pinto-Ribeiro, quelle nouvelle soirée envoûtante dans l’écrin de pierre et d’histoire qu’est la Chapelle du Couvent dos Capuchos ! Sous l’égide du Festival dos Capuchos, l’Ensemble Baroque « Tra Noi » (basé en Suisse) nous a offert avec « Telemann goes East » un concert d’une intelligence musicale et d’une énergie communicative absolument jubilatoires. Le pari était audacieux : explorer l’incroyable ouverture de Georg Philipp Telemann aux musiques d’Europe de l’Est, et le confronter à des sources authentiques de ces traditions. Pari réussi au-delà de toute espérance !

 

Dès les premières notes de la Suite TWV 42:h2 de Georg Philip Telemann, l’alchimie a opéré. La flûte pétillante de Silvia Berchtold, le violon agile et chaleureux de Daria Spiridonova, les lignes profondes et chantantes de la viole de gambe de Bianca Cucini, et le clavecin à la fois rythmique et coloré de Rafaela Salgado ont tissé une toile sonore d’une cohésion et d’une vitalité exemplaires. La musique respirait, dansait, conversait avec une complicité évidente entre les quatre musiciennes.

La plongée dans l’Est commença véritablement avec le premier Hungaricus 535 (manuscrit Uhrovska). L’anonymat de la pièce n’enlève rien à sa force ! L’ensemble « Tra Noi » en a révélé toute la saveur rustique et la rythmique entraînante, offrant un contraste fascinant et immédiat avec la sophistication telemannienne. Et quelle transition brillante vers les Polonaises de Telemann ! Ces danses, emblématiques du « goût polonais » cher au compositeur, ont littéralement pris vie sous leurs doigts. L’élégance du trait, la vivacité des tempi, et surtout, ce sens inné du rythme de danse, ont fait palpiter la chapelle. On y sentait l’âme populaire transcendée par le génie baroque !

Le deuxième Hungaricus 25 a confirmé la richesse du manuscrit Uhrovska, avant une découverte majeure : la Sonate de Stanisław Sylwester Szarzyński. Quelle œuvre puissante et contrastée ! Les mouvements enchaînés (Adagio | Allegro| Adagio | Allegro| Adagio | Allegro) ont permis à chaque musicienne de briller tour à tour dans des soli expressifs (le violon de Spiridonova particulièrement poignant dans les Adagios) et dans des dialogues endiablés (la flûte et le violon virtuoses dans les Allegros). L’ensemble a magistralement rendu la dramaturgie et la fougue de cette pièce rare.

Le retour à Telemann avec la Polonaise TWV 45:28 fut un moment de pur bonheur rythmique, avant une nouvelle incursion dans le trésor Uhrovska avec les pièces anonymes N.º C 91, C 160, C 298. Ces courtes danses, tour à tour gracieuses, énergiques ou rêveuses, ont été des petits bijoux d’interprétation, pleins de caractère et de couleurs.

Le final en apothéose avec la Sonate TWV 40:111 (d’une écriture brillante et serrée), la Polonaise TWV 45:17 (rythmiquement irrésistible) et surtout l’extraordinaire Sonate en trio TWV 42:a4 a clôturé le concert en feu d’artifice. Les quatre mouvements (Largo / Vivace / Affettuoso / Allegro) ont résumé tout l’art de l’ensemble : profondeur expressive, virtuosité éblouissante (le Vivace et l’Allegro !), dialogue constant et joyeux, et une énergie communicative qui a soulevé l’auditoire. L’Affettuoso, d’une beauté à couper le souffle, a montré la parfaite symbiose des timbres (flûte, violon, viole) portée par le clavecin.

L’Ensemble Baroque « Tra Noi » a offert au public venu en nombre bien plus qu’un concert : un véritable voyage sensoriel ! Si leur maîtrise technique est impeccable, c’est surtout leur engagement, leur joie de jouer ensemble et leur intelligence du programme qui ont conquis le public. Silvia Berchtold, Daria Spiridonova, Bianca Cucini et Rafaela Salgado ont illuminé la chapelle dos Capuchos de leur talent et de leur passion. Elles ont rendu avec brio toute la modernité, la curiosité et le génie de Telemann, dialoguant avec les traditions de l’Est de manière fascinante… Brave !

 

 

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CRITIQUE, concert. ALMADA (Portugal), 5e Festival de Musica dos Capuchos, le 15 juin 2025. « TELEMANN goes east » par l’Ensemble « Tra Noi ». Crédit photo © Emmanuel Andrieu

 

 

CRITIQUE, festival. 22ème LILLE PIANO(S) FESTIVAL 2025 (2), le 14 juin 2025. Jean-Claude Casadesus, Behzod Abduraimov, Duo Berlinskaia / Ancelle, Marie Vermeulin, Théo Fouchenneret…

C’est un bain musical superbement varié qui s’offre chaque printemps au Lille Piano(s) Festival ; varié… et aussi d’une rare pertinence. Les meilleurs pianistes de l’heure y présentent les œuvres qui les inspirent, en solo, avec orchestre,… Chaque tempérament pianistisque y déploie en bons arguments, la valeur des partitions qu’il a choisi de partager avec le public. Le festivalier peut y découvrir les projets les plus originaux et souvent les mieux défendus. Le festival créé à l’initiative de l’Orchestre National de Lille (et de son fondateur Jean-Claude Casadesus) met en lumière les réalisations les plus convaincantes nées de la rencontre entre une œuvre et un interprète. Et c’est bien le travail et la recherche spécifique d’un interprète en particulier, ou d’une coopération artistique que le mélomane attend : un projet artistique ainsi révélé qui a la capacité au moment du concert de révéler et des artistes éloquents et des œuvres qui les inspirent.

 

 

Notre parcours pendant la seule journée de samedi 14 juin en témoigne. D’un concert à l’autre, la sensibilité, l’engagement, l’aplomb des interprètes composent une série de découvertes surprenantes, parfois mémorables, toujours passionnantes à suivre ; d’autant que tendance forte et très appréciée, chaque interprète parle, explique, commente, éclaire ce que d’aucun n’aurait pas saisi ni vécu sur le moment, au moment de la réalisation des œuvres. Une expérience propice au rapprochement des artistes et du public et qui rend plus que jamais, irremplaçable, comme inestimable, la performance du concert et du spectacle vivant. Avec le recul, cette 22e édition est l’une des plus marquantes de l’histoire du Festival, une édition à inscrire d’une croix blanche après celle de l’an dernier qui avait offert l’opportunité de [re] découvrir et de vivre de l’intérieur la grâce mozartienne dont ses fabuleux Concertos avec orchestre, lors d’un Marathon exceptionnel (LIRE notre critique du LILLE PIANO(S) FESTIVAL 2024 ).

Cette année, l’intérêt est aiguisé d’autant plus après un programme inaugural magistral (la veille, vendredi 13 juin 2025), où l’Orchestre National de Lille réalisait une équation superlative, en associant la baguette de son fondateur, l’illustre Jean-Claude Casadesus et le pianiste ouzbek à la virtuosité percutante, Behzod Abduraimov
[lire notre compte rendu du concert inaugural du 13 juin 2025].

 

Journée du samedi 14 juin 2025

11h : dans l’auditorium de la Chambre de commerce, piano à 4 mains par le duo ARTHUR ANCELLE et LUDMILA BERLINSKAIA : le jeu des deux pianistes sait dialoguer, se répondre ; confirmant une belle complicité, d’abord dans le Bizet dont « Jeux d’enfants » (1871) est abordé avec une netteté percussive, droite, précise, soulignant l’espièglerie facétieuse, et la course endiablée dont sont capables de jeunes diablotins ; l’évocation de joutes enfantines n’empêche pas l’effusion tendre que libère en fin de cycle « Petit mari, petite femme », claire déclaration amoureuse et si tendre du compositeur à son épouse qui attendait alors leur fils, Jacques… De la Petite Suite » de Debussy, le duo inspiré exprime cette volupté heureuse, l’extase ondulante qui structure le flux musical, parfaitement au diapason de la métaphore océane et fluide du poème « En bateau » de Verlaine… sans omettre l’élégance ni la noblesse du « Menuet », ou de swing de « Ballet »… L’entente se pare d’accents plus délicats encore, et d’un onirisme ciselé, dans « Ma Mère L’Oye » dont les pianistes réalisent la version originelle pour piano ; dans le projet initial de Ravel, les deux enfants de ses amis Godewski, devaient eux-mêmes assurer la création du cycle génial… La Pavane inaugurale s’inscrit dans le mystère et la pureté onirique ; Poucet fait surgir toute la dimension fantastique d’une forêt enchantée et ses frémissements ténus dont le chant des oiseaux… en sortant du concert, l’esprit reste encore comme enveloppé par l’expérience onirique qu’il vient de vivre.

 

14h : Sensible et pertinente également, la pianiste française MARIE VERMEULIN lève le voile sur l’écriture fluide et grave de Fanny Mendelssohn, la sœur de Félix mais qui en raison même de son genre fut interdite de carrière musicale, dès ses 14 ans ; quand son frère fut a contrario encouragé et favorisé par leur père dans cette voie.
La pianiste a bien raison d’exhumer la partition intitulée « das Jahr », « l’année » ; précisément celle de 1839, quand elle découvre admirative l’Italie dont elle déduit ce carnet de voyage, ainsi composé de 12 pièces, chacune pour un mois de cette année exaltante, décisive. Le naturel du jeu porte la diversité des nuances émotionnelles ainsi librement exprimées ; Fanny a tout d’une compositrice accomplie en réalité comme l’atteste la justesse de l’écriture, son économie structurelle ; un flux continûment pudique, équilibré, jamais « bavard », mais spécifiquement profond et juste, qui sait fusionner l’énergie lumineuse de Félix et une intensité passionnelle qui souvent préfigure la densité brahmsienne, sa puissance allusive, emblème d’une sensibilité inédite. S’y déploie aussi une ligne chantante proche des lieder de Schubert dont Fanny semble comprendre tous les enjeux intimes et souterrains. L’engagement de la pianiste, sa sincérité renforcent la vivacité du cycle qui est une révélation.

 

À 15h : du clavier pianistique à l’accordéon, le Festival nous prépare une nouvelle surprise ; et de taille, c’est même une 2ème révélation que celle de l’accordéoniste ukrainien BOGDAN NESTERENKO dans la crypte de la Cathédrale Notre-Dame de la Treille. L’orgue à bretelles a bien toute sa place au Lille Piano(s) Festival ; l’accordéoniste confirme son aptitude unique à faire jaillir dans cette espace idéalement réverbéré, des sons pleins, vibrants, imprécatoires…. D’autant plus adaptés au lieu quand il s’agit comme ici en « ouverture », de la Chaconne en ré mineur de Bach. Une transcription saisissante exprimée avec un sens des phrasés, un rubato remarquable, un souffle qui accorde puissance, nuances, spiritualité. L’interprète vit la musique viscéralement, habité et même halluciné par le potentiel sonore de son instrument, dont il obtient absolument tout en couleurs, accents, timbres. C’est une prouesse que de produire une musicalité aussi juste avec un seul instrument. Même inspiration ensuite dans les Tableaux d’une exposition de Moussorgski où la maîtrise de l’interprète illustre la notion d’accordéon-orchestre (comme on parle de piano-orchestre), mais l’apport expressif des hanches ajoute dans la palette sonore déjà très étendue, une caractérisation particulière qui accuse davantage les prodigieux contrastes de la partition, ses séquences à l’imaginaire délirant conçu par le compositeur russe : à-coups surprenants, intervalles percutants, modulations inouïes… Le choc auditif est total et l’expérience esthétique, des plus convaincantes.

 

 

Le LILLE PIANOS FESTIVAL sait nous surprendre, investissant à raison les lieux emblématique de Lille ; pour preuve le programme de 17h30, où la Cathédrale Notre Dame de la Treille offre un programme sacré (avec orgue et quel orgue !) ; l’acoustique naturelle de l’ample nef et son orgue non moins fabuleux, sous les doigts d’Olivier Périn, favorisant en grande partie la réussite du concert. Après une entrée strictement chorale (« Nos autem » d’Alfred Desenclos, intérieure, profonde, lumineuse), l’Orchestre National de Lille sous la direction de Mathieu Romano joue l’irrésistible et envoûtant « Fratres » d’Arvo Pärt (1977), mantra pour cordes seules, scandé par 3 notes, une batterie énoncée comme un battement du coeur fervent (qui associe le woodblock et la grosse caisse)… le chef joue avec la réverbération naturel du lieu, sur les effets de distanciation aussi, pour une musique née de l’ombre, qui va crescendo pour s’effacer ensuite dans les premières mesures de « Flots lointains » de Koechlin, pièce tout aussi recueillie où s’affirme la somptueuse plénitude de l’harmonie ; puis c’est le Requiem de Fauré et sa prière bercée d’apaisement et de méditation. Chef, instrumentistes et choristes (chœur Septentrion d’où se détachent les solistes dont entre autres le baryton Christophe Gautier pour l’Hostias) sculptent la texture sonore dans une sérénité proche de la béatitude ; un sentiment général de ferveur confiante et suspendue qui prépare évidemment au « In Paradisum » de la fin : sorte d’éblouissement inscrit dans la douceur mystique la plus épanouie. C’est le degré le plus haut et la marche finale d’un Requiem parmi les plus sereins jamais écrits, que les interprètes hissent au sommet de la douceur, comme un bain sonore enveloppant et lénifiant. L’orgue requis pour ce dernier épisode en scande chaque palier de l’élévation, expérience unique qui fusionne joie et libération.

 

Enfin, le dernier concert et non des moindres, est une splendide performance qui se déroule à 19h dans l’auditorium ovoïde du Conservatoire de Musique : le pianiste THÉO FOUCHENNERET joue dans un cycle continu, l’intégrale des Nocturnes de Fauré, un Fauré qui contrairement au Requiem précédent, n’a plus rien d’apaisé ni de serein ; en prise avec les assauts de la vie, le compositeur y consigne ses espoirs, ses ressentiments aussi dans un cycle comme autobiographique, une autopsie de ses humeurs, une immersion en miroir qui révèle la transformation de la lumière à… la pénombre ; en particulier la perte des repères, l’émergence de tensions et une âpreté quasi panique, en particulier dans les 3 derniers. L’expérience est singulière et unique ; elle se rapproche du concert précédent de Marie Vermellen…
Jouant par cœur (une gageure déjà], Le pianiste embrasse tout le cycle avec un naturel fluide et articulé qui soigne constamment la tendresse du médium, ciselant le contrepoint en s’appuyant précisément sur une main gauche d’une exceptionnelle plasticité dynamique ; ce qui confère une clarté continue et donc une éloquence émotionnelle ardente et précise ; l’intelligence du flux narratif, l’assise technique, et la richesse de la palette expressive produisent un cycle continu que magnifie une esthétique musclée et une infaillible cohésion d’une pièce à l’autre. L’interprète maîtrise d’autant mieux son sujet qu’il vient de faire paraître l’enregistrement de ce cycle particulièrement éprouvant techniquement et émotionnellement.

 

 

On a déjà hâte de découvrir la programmation de la 23è édition du LILLE PIANO(S) FESTIVAL 2026 – en attendant, l’Orchestre National de Lille a communiqué sa prochaine saison 2025 – 2026, et donne rendez-vous au Casino Barrière pour le saisissant opéra de Kurt Weill : « Les 7 péchés capitaux », les 8 et 9 juillet prochains. Incontournable événement de cet été 2025.

 

Crédits photos © Droits réservés / On LILLE

CRITIQUE, concert. ALMADA (Portugal), 5e Festival de Musica dos Capuchos, le 14 juin 2025. Récital Franz Liszt. Filipe PINTO-RIBEIRO (piano)

Sur la scène intimiste de la salle principale (boisée) du Convento dos Capuchos, lieu emblématique du festival éponyme à Almada (Portugal), le pianiste Filipe Pinto-Ribeiro (également directeur de l’événement lusitanien) a offert un voyage transcendant dans l’univers de Franz Liszt. Dans une salle comble, baignée d’une lumière bleutée, le pianiste portugais a tissé un dialogue intime entre le piano et l’âme tourmentée du compositeur hongrois. Le thème du festival 2025 « Entre les Mondes » prenait ici tout son sens : entre terre et ciel, virtuosité et introspection, littérature et musique.

 

D’emblée, Pinto-Ribeiro a embrasé l’espace d’un feu d’artifice de folklores tziganes à travers la célèbre Rhapsodie hongroise n°12. Les mains du pianiste ont ciselé chaque variation avec une précision diabolique : des basses rugissantes évoquant le táncház, des passages perlés de la friska, et cette conclusion vertigineuse où la fureur rythmique s’est transformée en transe collective. Une entrée en matière électrisante, rappelant que Liszt, ce « citoyen européen avant l’heure », plonge ses racines dans une Hongrie mythique.

Après une brève présentation de Liszt et des morceaux retenus pour cette soirée, le pianiste a enchaîné quatre pièces brèves parmi les plus célèbres du répertoire du compositeur hongrois. Et avec le Sonnet n°123 de Pétrarque (extrait des Années de pèlerinage – Italie), changement radical d’atmosphère : le piano devient murmure, prière amoureuse. Inspiré par les sonnets de Pétrarque dédiés à Laure, ce fragment a révélé la palette poétique de Filipe Pinto-Ribeiro. Les phrases mélodiques, portées par un cantabile de pureté angélique, se sont élevées vers les hauteurs du couvent, tandis que les arpèges liquides imitaient le murmure des fontaines de la Villa d’Este : un moment de grâce suspendue. Avec le Liebestraum n°3, les auditeurs ont plongé dans l’apogée du lyrisme lisztien ! Le célèbre « Rêve d’amour » a surgi avec une intensité dramatique contenue, et les trois sections – tendresse rêveuse, passion tumultueuse, résignation sereine – épousaient le poème de Freiligrath. Le pianiste y a déployé un rubato subtil, laissant chaque note-clé irradier comme un battement de cœur. Le fortissimo central, d’une puissance jamais stridente, a soulevé l’auditorium avant de retomber dans un pianissimo éthéré.

La Valse oubliée n°1 qui suit est une valse fantôme, oscillant entre nostalgie et caprice. Pinto-Ribeiro a joué avec les silences, estompant les tempi pour évoquer une danse disparue. Les dissonances grotesques et les chromatismes fuyants y prennent un relief saisissant, soulignant le caractère « oublié » de cette pièce. La Consolation n°3 est un joyau d’introspection : cette page fut interprétée comme une méditation nocturne. Le chant simple et dépouillé, soutenu par des basses profondes, a transformé la salle du couvent en espace sacré. Le pianiste a privilégié une sonorité veloutée, presque intime, faisant de cette Consolation un instant de communion avec le public.

Point d’orgue de la soirée, la Fantasie quasi una Sonata « Après une Lecture de Dante » a clos la soirée. Œuvre-monstre du cycle Années de pèlerinage (Italie), cette sonate-fantaisie a résumé à elle seule le génie visionnaire de Liszt. Filipe Pinto-Ribeiro en a déployé l’architecture titanesque avec une maîtrise stupéfiante : un Enfer aux accords martelés comme des portes infernales, des gammes démoniaques en octaves, des clusters évoquant les damnés ; sous ses doigts, la Passion de Francesca s’est transformée en récitatif douloureux où le piano pleurait littéralement, tandis que le Paradis se révélait comme une ascension vers la lumière, par des trilles cristallins et un magnificat culminant en un fff éblouissant. Le finale en mode lydien irradiait telle une rédemption sonore, laissant la salle en état de choc. Emportée par l’intensité du jeu du pianiste, elle éclate en vivats ; il répond alors par deux bis : d’abord une transcription bouleversante d’un des Choral de Bach revisité par Ferruccio Busoni, puis la redoutable Etude en ré dièse mineur, Op. 8 n°12 (dite Pathétique) d’Alexander Scriabine.

En 70 minutes sans entracte, Filipe Pinto-Ribeiro a transcendé la pure virtuosité pour toucher l’essence même du romantisme : l’art comme expérience totale. Son interprétation a illustré la réflexion du festival sur « l’interculturalité, la diversité et le dialogue entre dimensions ». Liszt, ce médiateur « entre les mondes » (Hongrie/Europe, profane/sacré, piano/orchestre), y a trouvé un interprète inspiré, capable de mêler « rêve, amour et virtuosité ». L’ovation debout qui a suivi – longue et vibrante – fut un hommage au pianiste mais aussi au « citoyen européen avant l’heure » que fut Liszt, célébré ici en un lieu chargé d’histoire. Ce récital restera comme un jalon de l’édition 2025 du Festival dos Capuchos, où la musique s’est faite pont « entre les mondes – et au-delà » !…

 

 

 

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CRITIQUE, concert. ALMADA (Portugal), 5e Festival de Musica dos Capuchos, le 14 juin 2025. Récital Franz Liszt. Filipe PINTO-RIBEIRO (piano). Crédit photo © Emmanuel Andrieu

 

 

 

CRITIQUE, festival. 22ème LILLE PIANO(S) FESTIVAL 2025 (1), le 13 juin 2025. Concert inaugural. WEBER, TCHAIKOVSKY : Concerto pour piano n°1 [Behzod Abduraimov, piano], Orchestre National de Lille, Jean-Claude Casadesus [direction]

Le concert symphonique inaugural du 22ème LILLE PIANO(S) FESTIVAL célèbre ce soir au Casino Barrière, les noces réjouissantes d’un clavier impérial et d’une phalange immédiatement réactive, celle de l’Orchestre National de Lille [initiateur du présent festival] lequel, retrouvant son chef fondateur Jean-Claude Casadessus, redouble d’éloquence poétique.

 

 

Le clavier défendu ce soir est des plus engageants ; dès les premiers accords du piano, le jeu puissant, radical qui sait rugir [mais aussi bercer voire enivrer littéralement], affirme l’ardente sensibilité du pianiste ouzbek BEZHOD ABDURAIMOV ; sa virtuosité diabolique, lisztéenne, captive, ensorcèle même, dans de somptueux phrasés, réalisés par une digitalité éblouissante qui semble unir et Apollon et Jupiter, la grâce mozartienne, et l’assise impériale d’une conception remarquablement construite.

Le style est brut ; le geste sûr, solide, droit, mais aussi d’une subtilité souvent envoûtante ; en somme, il dévoile peu à peu les dons surprenants d’un tempérament manifeste : ceux d’une  finesse volcanique.

 

Ouverture du 22ème LILLE PIANO(S) FESTIVAL : Magistrale !

Le pianiste entame un dialogue des plus animés avec l’Orchestre lillois qui sous la baguette hypersensible et très allante de Jean-Claude Casadesus, cisèle toutes les séquences idéalement contrastées du premier concerto de Tchaikovsky, réalisées ce soir avec un feu millimétré… D’autant que le compositeur réserve plusieurs cadences infernales, rythmiquement puissantes, entraînant orchestre et piano dans une course échevelée, en particulier dans l’ample premier mouvement…

PIOTR illytch aime aussi colorer par les vents et les bois chaque épisode ; il en fait jaillir des élans de tendresse, des appels à la rêverie [solo du violoncelle amoureux voluptueux, repris ensuite par le hautbois dans le même premier mouvement], d’une prodigieuse effusion sous des doigts aussi souples et percutants, et dans une enveloppe orchestrale des plus complices.

On ne cesse de penser en particulier dans le mouvement central à la musique des ballets que Tchaikovsky a porté à un niveau inédit. Le jeu du pianiste y semble ciselé, perlé, d’une finesse en apesanteur.

Le chef sait instaurer comme rarement un dialogue passionnant entre le soliste et l’Orchestre qui répond, accompagne, amplifie, commente, favorise en somme du début à la fin, une saisissante entente entre les forces réunies, chacune porteuse selon le souhait de Tchaikovsky, d’une vie intérieure riche et continue.

En ouverture du festival 2025, on ne pouvait souhaiter meilleur lever de rideau : engagement orchestral total, aussi fin et articulé, que puissant et expressif ; un bain symphonique idéal d’autant plus convaincant que dans un jeu concertant d’une somptueuse intelligence, le pianisme de Bezhod Abduraimov, fusionne élégance virtuose, phrasés oniriques, puissance d’un jeu d’une rare intensité. Il a troqué le factice et l’artificiel pour une ardeur crépitante, un jeu félin et nerveux qui transforme le son en sentiment. De quoi poursuivre ainsi une belle carrière. Talent à suivre évidemment.

En début de programme, Jean-Claude Casadesus joue l’ouverture d’Oberon de Weber, un prodige de délicatesse qui immédiatement déploie une sonorité cohérente et voluptueuse, transparente et secrètement lumineuse… pour préparer au jaillissement de la valse et à l’explosion impérieuse de la fin. En conteur généreux, Jean-Claude Casadesus fouille et révèle chaque accent et nuance, le maestro inscrit Weber dans le sillon de Mozart, dans la lumière et l’élégance d’un Mendelssohn, autant de caractères qui ont suscité l’admiration du jeune Wagner [qui aurait même reconnu devoir à Weber sa vocation de musicien… c’est dire!].
De fait, Jean-Claude Casadesus en exprime le raffinement de l’écriture, mais aussi la séduction des mélodies et la construction véritablement opératique [qui suit précisément les enjeux du drame Shakespearien]. S’y déploient le caractère du rêve, les querelles amoureuses entre Titania et Oberon, l’atmosphère nocturne et féerique d’une nuit d’enchantement et de métamorphoses [cf MIDSUMMER NIGHT ‘S DREAM, l’ opéra de Britten et évidemment de Mendelssohn…],.. Le maestro exprime le flux séducteur qui prépare à l’explosion spectaculaire produisant une exaltation impérieuse, vrai feu d’artifice exprimé dans une jubilation explosive et pourtant toujours suprêmement élégante. Magistrale inauguration qui annonce une nouvelle édition du Festival, exaltante.

 

 

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SUITE du 22 ème LILLE PIANOS FESTIVAL, les 14 et 15 juin 2025 : LIRE notre présentation et nos coups de cœur ici : https://www.classiquenews.com/lille-pianos-festival-2025-les-12-13-14-et-15-juin-2025-orchestre-national-de-lille-jean-claude-casadesus-orchestre-de-picardie-antwerp-symphony-orchestra-bertrand-chamayou-dmytro-choni-lu/https://www.classiquenews.com/lille-pianos-festival-2025-les-12-13-14-et-15-juin-2025-orchestre-national-de-lille-jean-claude-casadesus-orchestre-de-picardie-antwerp-symphony-orchestra-bertrand-chamayou-dmytro-choni-lu/

Crédit photo (c) Droits réservés

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CRITIQUE, théâtre. PARIS, Théâtre de la Ville, le 12 juin 2025. BRECHT : « Mère Courage » (mise en scène de Lisaboa HOUBRECHTS)

Dans le cadre des Chantiers d’Europe, cette initiative audacieuse lancée en 2010 par Emmanuel Demarcy-Mota (l’heureux directeur des lieux) pour célébrer la création théâtrale européenne, le Théâtre de la Ville a accueilli une version de Mère Courage de Bertolt Brecht qui a marqué les esprits. Portée par la vision radicale de la metteuse en scène flamande Lisaboa Houbrechts, cette production dévoile une fresque à la fois poétique et brutale, où la guerre n’est plus seulement un contexte historique, mais une force corrosive qui dévore l’humanité même de ses protagonistes.

 

Une esthétique minimaliste et puissante

Lisaboa Houbrechts rompt avec les représentations traditionnelles de Brecht : adieu la carriole réaliste, place à une boule noire géante, symbole tour à tour de la Terre, d’un boulet de canon ou d’un utérus stérile. Cette sphère, poussée comme le rocher de Sisyphe par Mère Courage (et ses enfants), incarne l’absurdité d’un conflit sans fin. Le plateau, baigné d’un bassin d’eau miroitant, devient un miroir des désolations humaines, où se reflètent les lumières crépusculaires de Fabiana Piccioli. L’abstraction scénographique sert ici non pas à éloigner, mais à intensifier l’émotion, créant un choc visuel qui marque durablement.

Laetitia Dosch, en force tragique

Dans le rôle-titre, Laetitia Dosch selon les représentations) électrise la scène. Son Mère Courage est une anti-héroïne ambiguë, à la fois cynique et vulnérable, dont le commerce prospère sur les ruines de la guerre de Trente Ans. Houbrechts en fait une figure sans enfants biologiques, accentuant sa solitude et sa complicité avec la violence. Les scènes où elle perd ses « enfants adoptés » (dont la cadette muette interprétée par Lisi Estaras) sont d’une intensité déchirante, portées par des effets de stroboscopie et des chants kurdes, entrelacés à la musique de Paul Dessau. La pièce mêle français, néerlandais, hébreu et kurde, rappelant que les guerres contemporaines transcendent les frontières. Le surtitrage intelligent permet de saisir l’essence du texte sans altérer sa polyphonie. La présence du musicien Aydin Ìşleyen, chantant en kurde, ajoute une dimension organique à cette réflexion sur l’exil et la résistance.

Brecht réinventé, sans trahir son esprit

Si Houbrechts s’éloigne du didactisme brechtien, elle en conserve la rage politique. Sa mise en scène montre comment la guerre « déforme les êtres jusqu’au plus profond d’eux-mêmes », notamment à travers le corps des femmes, à la fois marchandises et victimes. Les chansons de Dessau, interprétées a cappella, résonnent comme des cris étouffés dans un monde sourd à leur souffrance. Le spectacle proposé par le Théâtre de la Ville valait d’être vu car est rare de voir une relecture aussi personnelle d’un classique, qui parvient à concilier beauté formelle et profondeur idéologique : Lisaboa Houbrechts confirme ici son statut de l’une des artistes les plus inventives de sa génération, capable de transformer une fable du XVIIe siècle en miroir glaçant de nos chaos contemporains.

 

 

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CRITIQUE, théâtre. PARIS, Théâtre de la Ville, le 12 juin 2025. BRECHT : « Mère Courage » (mise en scène de Lisaboa HOUBRECHTS). Crédit photo © Kurt Van der Elst

 

 

FESTIVAL DE SAINTES, du 12 au 19 juillet 2025 : Pulcinella (Ophélie Gaillard), Les Épopées, Il Caravaggio, La Sportelle, Amandine Beyer, Jeune Orchestre de l’Abbaye, Orchestre des Champs-Élysées, Orchestre Nouvelle Aquitaine, The Rare Fruits Council, Philippe Herreweghe, Jean-François Heisser, …

Excellence, beauté… la violoncelliste (et directrice artistique) Ophélie Gaillard sélectionne les tempéraments les plus inspirants, dans les répertoires les plus enivrants pour cette nouvelle édition du Festival de Saintes. Soit pour cet été 2025, 8 journées riches et denses qui électrisent le site patrimonial de l’Abbaye de Saintes dont sa fabuleuse Abbatiale, écrin des grands concerts du soir (entre autres)… Au programme, les fondamentaux de Saintes, piliers d’une programmation fastueusement baroque : PURCELL par Les Épopées, Il Caravaggio… ; ou JS BACH par Gli Angeli, Les Arts Florissants ; mais aussi vertiges romantiques avec Beethoven (Orchestre des Champs Élysées, Philippe Herreweghe), Dvorak (Orchestre Nouvelle Aquitaine, Jean-François Heisser)… Le Festival célèbre la vitalité de la nouvelle génération grâce à son cycle dédié aux jeunes talents (intitulé « Place aux jeunes ! »)…

 

 

 

QUELQUES COUPS DE CŒUR 2025

Vertiges orchestraux en ouverture dès le 12 juillet (21h) grâce au Jeune Orchestre de l’Abbaye (Philipp Von Steinaecker, direction / programme Mendelssohn) – puis, parmi de nombreux programmes événements, ne manquez pas le 13 juillet : le duo Maxim Emelyanychev (piano) et Aylen Pritchin (violon / Brahms, Schumnn, 11h) ; Pulcinella et Ophélie Gaillard (18h / Une nuit en Flandres, Fiocco / Dall’Abaco), Le Poème Harmonique (21h / Un Stabat Mater napolitain) ; le 14 juillet : « Fairest Isle » de Purcell par Les Épopées / Stéphane Fuget à 11h ; La Grande audition de Leipzig par Les Arts Florissants et Paul Agnew (21h) ; le 15 juil : « The Witch of Endor » de Purcell par Il Caravaggio et Camille Delaforge (18h), l’Académie d’Ambronay et Amandine Beyer (21h / « Miroirs vénitiens » : Dall’Abaco | Vivaldi | Albinoni | Hasse) ; le 16 juil : baroque anglais avec « Another Fancy Blow » par Le Caravensérail & Rachel Redmond (soprano) (18h), les Cantates de JS Bach par Gli Angeli / Stephan Macleod (21h) ; le 17 juil : La Sportelle (Alix Dumon-Debaeck, direction, 18h / Bach | Mendelssohn) ; le soir (21h), Symphonies n°4 et 7 de Beethoven, Orchestre des Champs Élysées (Philippe Hereweghe, direction) ; le 18 juil, Le Concert Spirituel et Hervé Niquet (21h / programme « Extravagances de la Renaissance et du Baroque italiens : Striggio » )…

Enfin, suite fastueuse pour la dernière journée du 19 juil, avec deux ensembles incontournables : The Rare Fruits Council, Manfredo Kraemer (direction / programme : « América, Música, Diferencia : Zipoli | Rosquellas | Tardío de Guzmán »), à 18h ; puis à 21h, l’Orchestre de chambre Nouvelle-Aquitaine (Jean-François Heisser, direction, dans un programme : Beethoven / Dvorak).

 

A noter : Saintes réserve en particulier une place privilégiée aux talents émergents, ainsi le cycle « Place aux jeunes ! », chaque journée à 15h, preuve que le talent n’attend pas le poids des années… parmi une moisson de jeunes tempéraments à l’affiche, ne manquez pas entre autres : The Poetical Consort (le 14 juil), Procris (le 15 juil), Olympe ensemble (le 17 juil), ou Synthèse Quartet (saxophones), le 19 juillet.

 

 

 

 

TOUTES LES INFOS, le détail des programmes, les artistes et les ensembles invités sur le site du Festival de Saintes :
https://musique.abbayeauxdames.org/le-festival-de-saintes/

 

 

TEASER VIDÉO Festival de Saintes 2025


 

 

infos pratiques
Festival de Saintes / Abbaye aux dames

Tél. : 05 46 97 48 48
[email protected]

Adresse : 11 place de l’Abbaye
17100 Saintes

 

 

 

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OPÉRA DE COLOGNE, OPER KÖLN. Philippe MANOURY : Die letzten Tage der Menschheit, création mondiale, les 27, 29 juin, 4, 6 et 9 Juillet 2025.

En première mondiale les 27, 29 juin puis 4, 6 et 9 juillet 2025, le prochain opéra de Philippe Manoury (né en 1952] :   » DIE LETZTEN TAGE DER MENSCHHEIT « , commandé par l’Opéra de Cologne / Oper Köln, est l’un des événements de cette fin de saison 24 – 25.

 

 

photo : © Anne Sofie von Otter © Sandra Then

 

 

Écrit entre 1915 et 1919 par le satiriste et polémiste viennois Karl Kraus (1874-1936),  » DIE LETZTEN TAGE DER MENSCHHEIT  » est une tragédie aux dimensions hors normes qui décrit un monde plongé dans la guerre totale, dévastatrice et barbare, dans laquelle il perd son humanité et qui le voue à la destruction.

Cinq actes (un pour chacune des cinq années de la Première Guerre mondiale) avec un prologue et un épilogue, portent ainsi le texte comptant plus de 700 pages ; le texte fleuve est parfois décrit comme mégalomaniaque et dans son adaptation pour le cadre opératique, permet de reconsidérer les limites du théâtre. Voilà une nouvelle production particulièrement attendue qui dans son déploiement annoncé, envisage de nouvelles formes et possibilités pour le genre opéra… La nouvelle partition de Philippe Manoury offrirait-elle en miroir de notre actualité, l’opéra d’aujourd’hui dont nous rêvions? Une œuvre poétique, un dispositif formel aussi innovant que juste, une partition à la fois dramatique et engagée, qui tout en captivant, questionne et dévoile… Réponse à partir du 27 juin prochain sur la scène de l’opéra de Cologne / Oper Koln…

 

 

 

CHRONIQUE DE L’APOCALYPSE

 

Photo © Sandra Then / Köln Oper / Opéra de Cologne

 

 

Le drame de Karl Kraus, DIE LETZTEN TAGE DER MENSCHHEIT (Les Derniers Jours de l’Humanité), dépeint le cataclysme mondial de 1914-1918, l’horreur absolue de la Première Guerre mondiale, perdant à jamais son humanité et condamnée au déclin.

Ce texte dramatique, parfois insaisissable, trouve ainsi sa saisissante « résolution » en opéra. Le compositeur français Philippe Manoury et le metteur en scène Nicolas Stemann, en collaboration avec la scénographe Katrin Nottrodt, en ont créé une interprétation puissante qui reprend à son compte la démesure du texte originel, sa force dystopique, son réalisme cynique visionnaire.

LES DERNIERS JOURS DE L’HUMANITÉ condense le matériau monumental de Kraus en un « Thinkspiel » mêlant opéra, théâtre, vidéo, électronique et orchestre.

 

 

 

 

 

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Philippe MANOURY : Die letzten Tage der Menschheit
Les derniers jours de l’Humanité – création mondiale
/ The Last Days of Mankind
Opéra de Cologne
StaatenHaus Saal 1

5 représentations événements

27 juin 2025, 18h
29 juin 2025, 16h
4 juillet 2025, 18h
6 juillet 2025, 18h
9 juillet 2025, 18h

RÉSERVEZ VOS PLACES directement sur le site de l’Opéra de Cologne / OPER KÖLN : https://www.oper.koeln/de/produktionen/die-letzten-tage-der-menschheit/1018

Ticket Hotline
+49 221 221 28400

 

 

MAKING OF
Sur le site de l’Opéra de Cologne plusieurs épisodes composent le « making-of », qui dévoile les coulisses de la production : comment a été élaborée la conception visuelle de l’espace ? Quel rôle jouent le son et l’électronique ? Comment a été traité le matériau textuel, oscillant entre document historique et satire ? Les vidéos documentent non seulement les processus techniques et artistiques, mais aussi la recherche collective d’une forme qui puisse rendre justice à l’esprit de Kraus… Elles expliquent la création d’un spectacle qui se tourne vers l’histoire pour interroger le présent, en en dénonçant la situation catastrophique. VOIR les reportages vidéo sur le site de l’Opéra de Cologne / Oper Köln : https://www.oper.koeln/en/blog/die-letzten-tage-der-menscheit/34 – entretiens avec Philippe Manoury, Nicolas Stemann, Katrin Nottrodt, …

 


Photo visuel affiche  ©  Teresa Rothwangl

 

 

 

 

 

PLUS D’INFOS
Reportage et coulisses sur le site de l’Opéra de Cologne / Oper Köln : https://www.oper.koeln/en/blog/die-letzten-tage-der-menscheit/34#video-module-799

Figure implorante, imprécatrice, déclamatoire, Anne Sofie von Otter éblouit comme un phare prophétique et clairvoyant, le dernier rempart avant l’apocalypse final…
Photo : © Anne Sofie von Otter © Sandra Then / Köln Oper / Opéra de Cologne

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CRITIQUE, danse. PARIS, Palais Garnier, le 11 juin 2025. Ballet de l’ONP. Hofesh SHECHTER : « Red Carpet » (création française)

Depuis le 10 juin 2025, le Palais Garnier vibre au rythme de « Red Carpet« , la nouvelle création du chorégraphe israélien Hofesh Shechter spécialement conçue pour les 13 solistes du Ballet de l’Opéra National de Paris. Cette œuvre, présentée pour la première fois hors de sa compagnie londonienne, marque un tournant dans l’histoire de la danse contemporaine à l’Opéra National de Paris. Dans un écrin de rideaux cramoisis et de lumières pulsées, Shechter plonge le public dans un cabaret surréaliste où glamour et anarchie se conjuguent avec une grâce troublante.

 

La magie de la scénographie opère d’emblée, avec ce labyrinthe textile de velours rouge, évoquant le célèbre rideau d’avant-scène du Palais Garnier, encadre les danseurs et quatre musiciens nichés dans des alcôves lumineuses. Image marquante également, ce lustre monumental descendant des cintres au cours de spectacle, clin d’œil au Foyer de la Danse, crée un choc visuel symbolisant la rencontre entre tradition et subversion. L’absence de tapis rouge – seulement suggéré dans l’imaginaire – renforce la dimension métaphorique du spectacle : « Qu’est-ce que la célébrité dans un monde en crise ? » semble interroger Shechter.

Du côté de la chorégraphie, Shechter, tel un alchimiste, fusionne son langage viscéral et électrique avec la technique impeccable des danseurs de l’ONP. Le résultat montre une tension dramatique portée par des mouvements explosifs, mêlant chutes libres, contractions torsadées et envolées lyriques ; des séquences collectives galvanisées par une musique techno (interprétée en live par un quatuor de violoncelle, contrebasse, batterie et bois), où les corps semblent chargés d’électricité ; et des duos sensuels aux accents presque combatifs, notamment portés par Loup Marcault-Derouard et Adèle Belem, dont la connexion scénique électrise la salle.

Pour la première fois, Chanel (Grand Mécène de l’Opéra) signe des costumes originaux inspirés du soir : des robes moulantes aux reflets métallisés pour les femmes, se déchirant progressivement sous l’effort physique, et des costumes masculins en soie écrue, transformés en seconde partie en tenues déstructurées, symbolisant la vulnérabilité sous le vernis social. Ces choix stylistiques incarnent parfaitement la thématique du spectacle : « Le glamour comme armure et comme prison ».

Shechter, également compositeur, livre une partition hybride et envoûtante, avec des percussions tribales fusionnant avec des nappes électroniques ou des silences brusques où le souffle des danseurs devient partition. Le quatuor de musiciens, visible au fond de la scène, amplifie l’immersion dans ce « café-théâtre décalé » cher au chorégraphe. « Red Carpet » n’est pas un ballet : c’est une expérience sensorielle totale qui pulvérise les codes du genre. Shechter, en chaman moderne, révèle l’humanité crue derrière les paillettes, porté par des danseurs de l’ONP en état de grâce. À voir absolument avant la fin des représentations ou sur écran — mais rien ne remplacera l’énergie électrisante du live au Palais Garnier, où chaque vibration de tambour résonne dans tout le corps des spectateurs…

 

 

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CRITIQUE, danse. PARIS, Palais Garnier, le 11 juin 2025. Ballet de l’ONP. Hofesh SHECHTER : « Red Carpet » (création mondiale). Crédit photo © Julien Benhamou

 

 

44ème FESTIVAL DE LA VEZERE : Du 8 juillet au 10 août 2025. Jean-François Zygel, Adam Laloum, Lucienne Renaudin Vary, Orchestre de l’Opéra de Versailles, Don Pasquale, Les Noces de Figaro…

Le 44ème Festival de la Vézère suit son cours, fidèle à son histoire, dans un geste magicien, proche de la Nature, accordant musique et paysages, concerts et sites enchanteurs. Directrice artistique inspirée,  Diane du Saillant orchestre chaque été, un cycle poétique qui sait accorder musique et qualité, exigence et accessibilité, diversité et intensité… Tout concorde à l’éveil des sens, le long de la Vézère et autour du Château du Saillant, emblème fédérateur de la manifestation qui, nichée au cœur de la Corrèze, revitalise le temps du festival estival, les plus jolis sites du patrimoine corrézien (Brive la Gaillarde, le Château du Saillant, Malemort, Varetz, Collonges la rouge, Saint-Ybard.…entre autres).

 

 

QUELQUES TEMPS FORTS

Comme une partition qui va crescendo, la programmation 2025 sait cultiver un rythme des plus séducteurs, variant d’abord les récitals et les offres chambristes, pour conclure en beauté au Château du Saillant, pour 2 soirées lyriques (Don Pasquale, sam 9 août, puis Les Noces de Figaro, dim 10 août). Auparavant dès le 8 juil, le piano de l’improvisateur pédagogue Jean-François Zygel raconte son « fabuleux Fablier » ; le 10 juil : carte blanche au jeune violoniste Léo Couralet, puis récitals des pianistes Adam Laloum (Schubert, Brahms,…le 10 également), sans omettre à l’affiche du 28 juil, : Pascal Amoyel (« Leçon de piano : Chopin / Bach »), Arielle Beck (Bach, Schubert, Schumann,…) ; les dialogues d’instruments sont aussi à la fête grâce au duo violon / harpe (Iris Scialom et Alexandra Bidi, les 12 et 13 juil) ; le Janoska ensemble (programme Vivaldi, le 22 juil) ; Lucienne Renaudin Vary (trompette) et Emanuel Pélapart (orgue, le 24 juil), … Grands vertiges orchestral puis choral, avec l’Orchestre de l’Opéra Royal de Versailles et Justin Taylor (œuvres de Johann Bernhard Bach, le 4 août), puis le chœur Les Éléments de Joël Suhubiette (« Comme Bach ! », le 6 août)…

 

 

TOUTES LES INFOS sur le site du Festival de la Vézère 2025 :
https://www.festival-vezere.com/musique-classique-et-opera-en-correze

 

 

 

 

infos pratiques

CONTACT
contact(@)festivaldelavezere.com / 05 55 23 25 09

HORAIRES
Toute l’année du lundi au vendredi de 13h30 à 17h (les soirs de concert, les bureaux ferment à 16h).

ADRESSE
10 boulevard du Salan – 19100 Brive (entre le Conservatoire et l’Hôtel de Police sur le boulevard circulaire ; à 5 minutes à pied du parking de la Guierle)

Les réservations en ligne sont à privilégier /
BILLETTERIE EN LIGNE, ICI :
https://indiv.themisweb.fr/0553/fListeManifs.aspx?idstructure=0553&EventId=0

 

 

 

 

entretien

LIRE aussi notre ENTRETIEN avec Diane du Saillant, directrice du Festival de La Vézère à propos de l’édition 2025 du festival au cœur de la Corrèze : lien à venir ici

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GENEVE, La Cité Bleue – saison 2025 – 2026. Pompeo Magno de Cavalli, Alfonsina par Marianna Flores, Graals (Purcell / Kevin Juillerat), Les Dinos et l’Arche de Thomas Leininger, Cédric Pescia…

Dans un édito lumineux et aussi poétique, Leonardo Garcia Alarcon (directeur général et artistique de La Cité Bleue à Genève) présente la nouvelle saison 2025 – 2026. Le chef avoue, dans le sillon de son compatriote argentin Jorge Luis Borges, sa fascination pour LE MIROIR, son reflet qui agit comme le révélateur de notre réalité ; le miroir dévoile ce qui est, ce qui pourrait être, ce qui devrait être….

 

 

MIROIR ENCHANTEUR

Ainsi en est-il aussi du spectacle… qui loin d’être un double, une copie de notre monde, agirait comme le miroir qui « ne se contente pas de refléter mais révèle, surprend, interroge ». La nouvelle saison 2025 – 2026 est construite dans le sens de cette capacité critique, cet élan pour le dialogue entre époques et cultures, entre l’émerveillement poétique et une lumineuse clairvoyance. C’est un nouveau cycle qui réinvente la notion de métissages et de croisements propres à construire notre mémoire sonore, de nouvelles racines créatives, un geste artistique qui se meut et nourrit nos identités. Photo : portrait de Leonardo Garcia Alarcon DR.

Plus que jamais le chant des instruments, le sens de la parole et du verbe lyrique, la puissante arabesque des corps dansants s’inventent dans cette mosaïque de  » miroirs en éclats « , à laquelle l’exigence et la vision de Leonardo Garcia Alarcon apportent une puissante cohésion continue, ainsi de fin août 2025 au printemps 2026.

A travers une programmation dense et équilibrée qui compte concerts, opéra, ballets, récitals et performances atypiques… s’y déploient entre autres, l’imaginaire magique des métamorphoses, la voix des femmes et le regard primitif, fondateur de l’enfance… sans omettre la puissance des instants intercalaires, « rares », suspendus « au seuil du sommeil ou du jour », ou la singularité convoquée du « miroir grand écran », le cinéma célébré « comme un théâtre de l’intime et du collectif »…

 

 

Parmi les temps forts de la nouvelle saison 2025 – 2026 de La Cité Bleue,
à ne pas manquer :

 

2025

L’été 2025 accueille le concert hommage de la soprano Claron McFadden qui célèbre la figure mythique de Nina Simone (les 29 et 30 août 2025).

La rentrée s’incarne d’abord par le nouvel opéra abordé par Leonardo Garcia Alarcon, signé Cavalli, un compositeur du XVIIè qu’il a particulièrement abordé et défendu : « Pompeo Magno » (après  Elena, Il Giasone, Eliogabalo et Erismena…), le 28 sept ;

Une journée particulière, hommage à Sophia Loren
Sam 4 octobre 2025 / 16h : hommage à l’actrice SOPHIA LOREN
Une journée particulière à La Cité Bleue : Leonardo García-Alarcón propose de décrypter les motifs cultes de Nino Rota, Ennio Morricone et Charles Chaplin, extraits des musiques de films dans lesquels a joué Sophia Loren. En complément, une exposition dédiée présente les photographies emblématiques de Gianfranco Lelj, mettant en lumière son travail avec de grands réalisateurs tels que Visconti, Fellini et Zeffirelli, ainsi que son activité de portraitiste. Pour ce faire Gianfranco Lelj , en présence de Sophia Loren, évoque en une perspective unique, leur collaboration exceptionnelle. La journée hommage se conclut à 20h avec la projection du film « Une journée particulière » d’Ettore Scola. VOIR le teaser vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=NVi2KPiQJMo&t=1s
PLUS D’INFOS sur le site de la Cité Bleue à Genève : https://lacitebleue.ch/evenement/une-journee-particuliere/

 

Sufi’s Saraband, spectacle de musique persan et baroque avec Keyvan Chemirani ;
Les 28 et 29 octobre 2025 à 19h30 – Création événement, le spectacle SUFI’S SARABAND est un voyage mystique où musique, poésie et danse soufie fusionnent, évoquent l’extase spirituelle et la quête d’absolu. L’ensemble The Modal Experience explore les liens profonds entre traditions musicales orientales et héritage baroque occidental ;la trame sonore qui en découle, permet un dialogue unique entre modalité persane et ornementation baroque. Les instruments orientaux et occidentaux se mêlent : archiluth, clavecin, lyra, santour, zarb et daf… Les vers enflammés de Jalāl al-Dīn Rūmī, poète soufi du XIIIe siècle, rencontrent les écrits engagés et sensuels de Forough Farrokhzad, figure majeure de la poésie contemporaine iranienne. Deux sensibilités qui célèbrent la puissance du désir, de l’amour et de la transcendance. La danse, inspirée de l’art du samâ, la danse des derviches tourneurs, se fait prière, méditation en mouvement.

Sous la direction de Keyvan Chemirani, les interprètes s’entendent, s’écoutent, se complètent ; ils déploient un langage libre, où improvisation et rigueur se rejoignent entre ivresse et extase. Entre feu et recueillement, entre Orient et Occident, entre sensualité sonore et mystique spirituelle, Sufi’s Saraband est une célébration de la beauté mystique, une sarabande envoûtante, irrésistible. PLUS D’INFOS sur le site de la Cité Bleue à Genève : https://lacitebleue.ch/evenement/sufis-saraband/

 

puis le 15 nov, récital de Mariana Flores (« Alfonsina », Hommage aux femmes d’Amérique latine) ;
Second rv lyrique en novembre 2025, avec « Graals » du 9 au 12 nov : ce « mystère lyrique en trois actes », comprend des extraits du King Arthur de Henry Purcell (1659 – 1695) et les compositions de Kevin Juillerat (*1987) pour instruments baroques et électroniques live ; en décembre, fêtes de fin d’année oblige, deux programmes festifs s’annoncent prometteurs : « Fiesta Barroca » (le 13 déc) puis « Pequeña Fiesta » (le 14 déc).

 

 

 

2026

L’année 2026 s’ouvre avec un ouvrage poétique, pour tous les âges, entre satire et tendresse : « Les Dinos et l’Arche », opéra darwiniste et fable dystopique (musique de Thomas Leininger), dirigé par Leonardo Garcia Alarcon (du 3 au 7 février 2026).

En mars 2026, place au dialogue parole et musique avec le metteur en scène Omar Porras et le pianiste Cédric Pescia dans un spectacle intitulé « Bach et la Bible » (du 4 au 6 mai 2026).

En juin et juillet 2026, la Cité Bleue affiche une diversité de gestes, de cultures, de styles (8 sonneurs pour Philip Glass, le 9 juin ; « la Nuit bleue orientale » les 4 et 5 juillet) ; en privilégiant aussi ces instants rares, suspendus, portes vers l’émerveillement sonore (« L’Heure bleue » à 4h30, le 13 juin puis le 14 juin : soit deux concerts à l’aube, imaginés par le pianiste et compositeur Alain Roche)…

 

 

et aussi…

Côté RÉCITALS SOLOS, vous ne manquerez pas le claveciniste Jean Rondeau (le 26 nov / œuvres de Louis Couperin) ; les Suites Françaises de Bach par Cédric Pescia (le 21 mars 2026) ; le contre-ténor Jakub Józef Orlinsky, interprète des chefs d’œuvres Baroques (le 5 juin 2026, concert en soutien à l’association Innocence en Danger Suisse, pour la protection de l’enfance)…

Dans le registre de la DANSE, une grande diversité d’écritures et de dispositifs sont à l’affiche, soulignant la place de la Cité Bleue au sein des scènes majeures pour la création et la diffusion de l’art chorégraphique : pas moins de 3 spectacles incontournables s’annoncent ainsi ; d’abord, « Boxe Boxe Brasil », les 17 et 18 nov (création de Mourad Merzouki ; le spectacle revisite l’emblématique Boxe Boxe de la Compagnie Käfig et du Quatuor Debussy) ; puis « Choreia », le 24 avril 2026, « polyballet » fusionnant idéalement chant (choral), parole, danse (par les 8 danseurs de la CocoonDance Company) ; enfin, « R.ONDE.S » (le 17 juin), referme le banc de ce cycle chorégraphique événement à la Cité Bleue… ou comment, en célébrant la puissance du geste collectif, Pierre Rigal transforme un geste de danse ancestral – la ronde –, en une expérience chorégraphique et collective, à la croisée de la danse contemporaine, du rituel, de la fête électronique… transe fascinante.

 

 

TOUTES LES INFOS, LA BILLETTERIE, le détail des programmes, des artistes et des ensembles invités, sur le site de La Cité Beu, Genève, saison 2025 – 2026 :
https://lacitebleue.ch/

 

 

 

 

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BORDEAUX. Festival PULSATIONS, du 20 juin au 5 juillet 2025. Les Indes Galantes de Rameau, Mozart l’Enchanteur, La Passion Grecque de Bohuslav Martinů, Symphonie n°3 de Górecki… Pygmalion, Raphaël Pichon, Leonardo Garcia Alarcon, Orchestre National Bordeaux Aquitaine, Nicolas Ellis…

Le Festival Pulsations revient à Bordeaux, du 20 juin au 5 juillet 2025, pour sa déjà 4ème édition. Le nouveau cycle confirme l’intention originelle, jamais démentie : « Inscrire la musique classique au cœur de notre vie en résonance avec les défis et les espoirs qui la traversent ».

 

 

Lancement avec l’Ensemble Néréide (les 5 et 6 juin), puis programmes « Les Sonneurs de ville » (Ensemble InAlto, le 19 juin) ; Rameau insolite et révivifié, le 20 juin : « Les Indes galantes de Rameau / De la voix des âmes », par Leonardo Garcia Alarcon… quand l’opéra ballet baroque est confrontée à l’énergie brute du hip-hop et du krump, mise en scène et chorégraphiée par Bintou Dembélé / Auditorium Opéra de Bordeaux; puis le 22 juin « Mozart, l’Enchanteur », par l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine (Nicolas Ellis, direction / Jardin public, Bordeaux / entrée libre).

Au cœur du festival, de retour dans l’extraordinaire Halle 47 de Floirac révélée en 2023, un événement lyrique inédit sous la baguette de Raphaël Pichon : la recréation française de l’opéra de Bohuslav Martinů, « La Passion grecque », chef-d’œuvre oublié, méconnu (4 représentations événements : 24, 26, 28 et 29 juin 2025 – 1h50 sans entracte) ; adaptée du « Christ crucifié » de Nikos Kazantzakis, l’ouvrage en 4 actes, est né en France au sortir de la Seconde Guerre mondiale. A la fois terrible et subversif, l’opéra est mis en scène par Juana Inés Cano Restrepo. Lorsque des réfugiés, chassés de leurs terres, demandent asile, les habitants se retrouvent face à un dilemme. Les valeurs qu’ils proclamaient – charité, compassion, fraternité – vacillent sous la pression des peurs et des intérêts personnels. La méfiance et les rumeurs s’installent, jusqu’à l’irréparable. Les grands ouvrages du répertoire sont toujours étrangement actuels ; de fait, « La Passion grecque » de Bohuslav Martinu fait directement écho, en miroir, à nos oreilles contemporaines ; son sujet interroge avec force la manipulation des populations : le mensonge, la haine, la peur de l’autre…

Le 28 juin, Caroline Arnaud, soprano et Etienne Galletier, théorbe évoque le génie d’Artemisia Gentileschi (1593-1653), génie de la peinture à travers un choix de compositeurs/trices de son époque (Conservatoire Jacques Thibaud, le 28 juin à 14h30 puis 16h, le 29 à 17h) ; ne manquez non plus, le spectacle « SMILE! » avec Sabine Devieilhe & I Giardini, immersion facétieuse et élégante dans l’univers inattendu du music-hall, de la chanson française et de la comédie musicale ! (les 3 et 4 juillet, Théâtre Trianon – Bordeaux).

Enfin, apothéose finale dans la Halle 47 de Floirac : « Stabat Mater / Henryk Górecki » expérience inédite qui réunit l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine, les élèves des Pôles d’enseignement supérieur de musique et de danse de Bordeaux et de Poitiers, les voix du chœur de Pygmalion et la soprano Elsa benoit, dans un programme prometteur, onirique : la 3e symphonie d’Henryk Górecki (1933-2010), composée en 1976, également connue sous le nom de Symphonie des chants plaintifs, adossée à l’impressionnant Totus tuus pour chœur a capella … avec pour certains spectateurs désireux de vivre une nouvelle expérience sensorielle et musicale : la possibilité d’être allongé s’il le désire au cœur de l’orchestre et du chœur, pour ressentir pleinement l’intensité et la profondeur d’une musique tournoyant inlassablement sur elle-même…

 

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Festival PULSATIONS  à BORDEAUX, du 20 juin au 5 juillet 2025 : Leonardo García-Alarcón et Bintou Dembélé, l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine, Hyoid Voice, Kat Frankie, Erwan Keravec et ses 20 sonneurs, Sabine Devieilhe et I Giardini, l’ensemble La Néréide, l’ensemble InAlto, Elsa Benoit …

 

 

 

 

 

 

TOUTES LES INFOS, le détail des programmes, les artistes invités sur le site du Festival PULSATIONS / BORDEAUX 2025 :
https://pulsations-bordeaux.com

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CRITIQUE, opéra. PARIS, Opéra Bastille, le 10 juin 2025. ROSSINI : Le Barbier de Séville. L. Sekgapane, I. Leonard, M. Olivieri, L. Pisaroni… Damiano Michieletto / Diego Matheuz

Dans cette production du Barbier de Séville de Gioachino Rossini, reprise à l’Opéra Bastille, le metteur en scène italien Damiano Michieletto a la bougeotte. Il ne tient pas en place, et même ne s’accorde pas une seconde de répit. Tout s’agite, tout bouge. On voit sans cesse des chanteurs monter et descendre des escaliers, traverser des appartements, rentrer et sortir, revenir sur leurs pas, remonter les escaliers, les redescendre, les remonter encore. Leurs mollets sont autant sollicités que leur voix. Le décor tourne. Il présente d’un côté la façade d’un immeuble aux murs lépreux et aux balcons conviviaux et de l’autre l’intérieur des appartements, ouverts sur leur indiscrète intimité. Ce décor tourne de face et de dos. Est-ce cela qu’on appelle le tournedos Rossini ?

 

Tout cela engendre la bonne humeur et convient à la gaieté rossinienne. On en a besoin par les temps qui courent. Et l’humeur est d’autant meilleure que la distribution vocale est bonne. Elle est dominée par le Figaro de Mattia Olivieri. Une belle puissance vocale, de la présence, de l’abattage. Avec, ce Figaro, on est à la noce ! La Rosine d’Isabel Leonard a une voix corsée comme un fruit d’été, gorgée de saveur et d’éclats. Dans « Una voce poco fa », qu’elle chante dans sa cuisine et non sur son balcon — romantisme domestique ! — elle retient les tempos, alanguit ses ornements, torsade les rythmes… et cela a belle allure. De son côté, le ténor sud-africain Levy Sekgapane est un vrai ténor rossinien. Le timbre est coloré, agréable, son phrasé élégant. Sa voix s’enroule avec la souplesse d’un lierre grimpant. Son chant a cependant tendance à se raidir lorsqu’il force les nuances. Dans le mezzo forte, il est idéal. Grâce à Carlo Lepore, le docteur Bartolo se porte bien, merci ! Et même très bien. Il donne à son personnage de vieux tuteur râleur un aspect plus sympa que méchant. Très bon également, le Basile de Luca Pisaroni, même si son air de la calomnie, pris à un tempo plutôt lent, traîne un peu les pieds. La Berta de Margarita Polonskaya a eu, à juste titre, sa part de succès. Ainsi qu’Andres Cascante, dans ses courtes mais belles interventions de Fiorello.

Le Chœur de l’Opéra national de Paris est très bon, comme à son habitude. Quant à l’Orchestre de l’Opéra national de Paris, il excelle sous la direction souple et vive de Diego Matheuz. Pour commencer, il nous donne une leçon : l’Ouverture étant donnée rideau fermé, on s’aperçoit qu’on n’a pas besoin de décor, tournant ou pas, pour se laisser envoûter par la musique de Rossini. Dans ses propres tours, détours, retours et dans ses fameux crescendi, elle suffit à elle seule à nous entraîner dans le plus beau des vertiges.

 

 

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CRITIQUE, opéra. PARIS, Opéra Bastille, le 10 juin 2025. ROSSINI : Le Barbier de Séville. L. Sekgapane, I. Leonard, M. Olivieri, L. Pisaroni… Damiano Michieletto / Diego Matheuz. Crédit photographique © Sébastien Mathé

 

 

CRITIQUE, opéra. ROUEN, Théâtre des Arts (du 10 au 14 juin 2025). ROSSINI : Semiramide. K. Deshayes, F. Fagioli, G. Manoshvili, A. Kent… Pierre-Emmanuel Rousseau / Valentina Peleggi

Dans cette nouvelle production de Semiramide de Gioacchino Rossini à l’affiche de l’Opéra de Rouen Normandie, le metteur en scène normand Pierre-Emmanuel Rousseau transpose le mythe babylonien dans un univers contemporain et cinématographique – inspiré à la fois du cinéma de Tony Scott (Les Prédateurs) et de Stanley Kubrick (Eyes Wide Shut).

 

Les décors monumentaux, dominés par des murs de marbre noir mobiles, des sarcophages et des néons bleutés, créent une atmosphère de luxe macabre et de décadence. Les costumes mêlent tailleurs à épaulettes pour Sémiramis (évoquant une « executive woman » impitoyable) et attributs mafieux pour Assur, tandis que les éclairages de Gilles Gentner sculptent l’espace en clairs-obscurs dramatiques. La chorégraphie de Carlo d’Abramo, parfois jugée audacieuse, ajoute une dimension rituelle aux scènes de foule, avec des figurants évoquant des spectres ou des victimes sacrificielles. Pierre-Emmanuel Rousseau ose des images chocs, telles cette danseuse sacrifiée, égorgée en maillot de bain, qui rappelle la violence du pouvoir ; le spectre de Ninus, incarné par un danseur couvert de « paillettes sanglantes », qui plane comme une menace hallucinatoire ou encore la scène finale (réinventée) qui voit Azema (Natalie Pérez) poignarder Idreno et Arsace, ajoutant trois morts au livret original pour un climax aussi sanglant qu’inattendu.

Karine Deshayes incarne une Sémiramis électrisante, passant de la mante religieuse sanguinaire à la mère éplorée avec une maîtrise technique époustouflante. Son « Bel raggio lusinghier » fuse avec une projection rayonnante et des coloratures ciselées, tandis que ses duos avec Arsace révèlent une fusion d’or et de velours dans le timbre. Sa présence scénique, magnifiée par une robe à paillettes captant la lumière, domine la tragédie jusqu’au pathétique final. De son côté, le contre-ténor argentin Franco Fagioli assume un choix vocal radical. Son timbre androgyne et ses sauts de registre audacieux servent un personnage déchiré entre amour et vengeance. Malgré certaines ruptures dans la ligne de chant, son agilité dans les ornementations et son engagement scénique (avec sa perruque blond platine !) sont incontestables. La basse géorgienne Giorgi Manoshvili (Assur) est assurément la révélation de la soirée ! Il combine puissance noirâtre, souplesse belcantiste et nuances subtiles. Son air « Deh ti ferma » au finale est un sommet d’intensité dramatique, mêlant fureur et folie, qui a glacé le sang des spectateurs. Dans le personnage d’Oroe, Grigory Shkarupa impose une autorité vocale toute sacerdotale, tandis que la ténor australien Alasdair Kent, bien que privé de son air à l’acte I, séduit par ses suraigus pyrotechniques dans sa seconde aria, « La speranza piu soave ».

En fosse, la jeune chef italienne Valentina Peleggi dirige l’Orchestre de l’Opéra Rouen Normandie avec une approche puissante et charnue. Si certains tempi, comme dans l’ouverture, manquent parfois de panache, les crescendi gardent une tension dramatique palpable, tandis que le Chœur accentus livre une performance remarquable, notamment dans les grandes scènes dramatiques où sa cohésion et sa force lyrique amplifient l’ambiance fantomatique.

Une grande soirée rossinienne !

 

 

 

 

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CRITIQUE, opéra. ROUEN, Théâtre des Arts, le 10 juin 2025. ROSSINI : Semiramide. K. Deshayes, F. Fagioli, G. Manoshvili, A. Kent… Pierre-Emmanuel Rousseau / Valentina Peleggi. Crédit Photo © Caroline Doutre

 

 

 

CRITIQUE, opéra. PARIS, Opéra Bastille, le 9 juin 2025. MASSENET : Manon. Amina Edris / Roberto Alagna… Vincent Huguet / Pierre Dumoussaud

L’Opéra Bastille clôt sa saison avec une production de Manon de Jules Massenet, dirigée avec fougue et brio par Pierre Dumoussaud et mise en scène par Vincent Huguet. Si cette reprise de la production (créée en 2019) a déjà séduit le public parisien, la représentation du 9 juin 2025 restera marquée par l’entrée en scène magistrale de Roberto Alagna dans le rôle du Chevalier Des Grieux – reprenant le flambeau de son jeune collègue Benjamin Bernheim (lire ici notre première chronique) pour les 5 dernières représentations. Une performance qui a électrisé la salle !

 

Dès son « Je suis seul ! » lancé dans l’acte II, Roberto Alagna a captivé l’auditoire par sa présence vocale et dramatique. Son timbre toujours aussi solaire et immédiatement reconnaissable, son aisance dans les nuances (le chanteur a multiplié les pianissimi et des demi-teintes envoûtantes !) et son engagement physique ont offert un Des Grieux d’une intensité rare. Son « En fermant les yeux » (rêverie de l’acte II) fut un moment de grâce absolue, tandis que son rayonnement vocal dans l’acte « de Saint-Sulpice » et sa fureur désespérée dans le dernier acte ont montré l’étendue de son art. À 61 ans, le ténor prouve une fois de plus qu’il incarne les rôles lyriques français avec une maîtrise inégalée !

 

 

À ses côtés, la soprano égyptienne Amina Edris a déployé une voix souple et plutôt charnue pour camper l’héroïne fragile et capricieuse qu’est Manon. Son interprétation manque cependant de la profondeur psychologique requise (notamment dans la scène de la mort), tandis que la voix manque également de toute la puissance nécessaire pour remplir le vaste vaisseau qu’est l’Opéra Bastille. Le Lescaut du baryton polonais Andrzej Filonczyk possède, en revanche tout, ce qu’il faut pour affirmer ce rôle au cynisme sympathique : la voix est pleine, rayonnante, le personnage puissant. Tout comme l’excellentissime Comte Des Grieux de Nicolas Cavallier, décidément une des meilleures basses françaises, dont le personnage s’affirme en quelques mesures. Un bon Guillot (Nicholas Jones) et un excellent Brétigny (Régis Mengus) un exquis trio de péronnelles (d’où le timbre de Marine Chagnon ressort particulièrement), toute la distribution est soignée, jusqu’aux plus petits rôles, marque de la première maison lyrique de France.

À la tête d’un Orchestre de l’Opéra national de Paris des grands soirs, Pierre Dumoussaud livre une lecture dynamique et colorée de la partition, privilégiant les tempi vifs et les contrastes. La phalange parisienne offrent à entendre des sonorités riches et goûteuses, des bois savoureux, des cordes soyeuses et bien projetées, l’ensemble étant mené avec un brio soutenu par le jeune chef Français. De son côté, la mise en scène de Vincent Huguet s’avère à la fois minimaliste et élégante, transposée dans les Années 30 de Joséphine Baker -jouant sur des décors épurés (signés Aurélie Maestre), et des jeux de lumières (signés par Christophe Forey) pour souligner le drame intime. Si certains pourraient regretter un manque de folie dans l’acte de l’Hôtel de Transylvanie, la sobriété des choix renforce la centralité des personnages. Et le public n’a en tout cas pas boudé son plaisir… en faisant une fête particulièrement appuyée à l’ensemble des protagonistes de la soirée !

 

 

 

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CRITIQUE, opéra. PARIS, Opéra Bastille, le 9 juin 2025. MASSENET : Manon. Amina Edris / Roberto Alagna… Vincent Huguet / Pierre Dumoussaud. Crédit photographique  © Sébastien Mathé 

 

STREAMING, ARTE.TV : « ERIK SATIE entre les notes », mardi 1er juillet 2025 (puis dimanche 13 juillet 2025 sur ARTE). Spéciale centenaire d’Erik Satie 2025

Marginalisé de son vivant, le compositeur et pianiste Erik Satie est l’un des auteurs les plus joués aujourd’hui. 100 ans après sa disparition, le documentaire ressuscite l’auteur des Gymnopédies à travers ses écrits autobiographiques, de savoureuses archives, les interventions des interprètes instrumentistes, chefs, chanteurs, amoureux de son œuvre inclassable qui témoignent chacun de son génie singulier.

 

 

Deux pianos à queue sans cordes empilés l’un sur l’autre, des montagnes de linge sale, des paquets de lettres non ouvertes… ainsi le désordre indescriptible de son petit appartement d’Arcueil, dans lequel ses amis pénétrèrent pour la première fois au lendemain de sa mort, le 1er juillet 1925, révèle le quotidien d’un génie mésestimé de son vivant, la misère tragique de sa vie. Une existence dissimulée aux regards, et dont la misère solitaire marque la fin de sa vie, à 59 ans.

S’il fut mal-aimé de ses contemporains en raison de son goût avant-gardiste pour l’extravagance et le minimalisme, ERIK SATIE, né à Honfleur en 1866, laisse derrière lui une production jalonnée de pièces majeures : les « Gymnopédies » et les « Gnossiennes », œuvres de jeunesse écrites dans la foulée de son installation montmartroise ; les « Vexations », fruit amer de sa rupture avec Suzanne Valadon, dont le motif à exécuter 840 fois, a influencé la musique répétitive ; les « Trois morceaux en forme de poire », réponse espiègle à son ami Debussy, qui lui recommanda un jour de « plus songer à la forme » ; sans oublier le ballet surréaliste « Parade », conçu avec Picasso et Cocteau, et hué à sa création, qui lui valut d’être attaqué en justice par le critique Jean Poueigh, copieusement traité de « cul » dans une carte postale devenue mythique.

 

 

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ARTE.TV, « ERIK SATIE entre les notes », mardi 1er juillet 2025
VOIR sur ARTE.TV : https://www.arte.tv/fr/
Diffusion dimanche 13 juillet à minuit
Disponible dès le 1er juillet sur arte.tv ;
« Erik Satie, entre les notes », un documentaire inédit en hommage au compositeur disparu il y a 100 ans

 

 

 

Clown triste
« Je me suis toujours efforcé de dérouter les suiveurs par la forme et par le fond à chaque nouvelle œuvre. » Pour le centenaire de sa disparition, Gregory Monro (Chaplin et « Les temps modernes » – La voie du silence) fait revivre Erik Satie, génie facétieux et tourmenté, qui refusa obstinément de se fondre dans les canons de l’époque. Un réfractaire fantaisiste, un rebelle polissé aux audaces créatives uniques à son époque.

S’appuyant sur ses écrits autobiographiques, truffés d’humour comme de désespoir, et les anecdotes en archives, souvent savoureuses, de ses compagnons de route (Jean Cocteau, les compositeurs Georges Auric et Jean Wiéner…), le documentaire déroule le fil d’une vie singulière, ses expérimentations annonciatrices des courants modernistes du XXè, de dada au surréalisme…

Face à la caméra, de fervents admirateurs – musicologues, critiques, mais aussi artistes, (entre autres les pianistes Alice Sara Ott et Nicolas Horvath, la harpiste Kety Fusco ou le compositeur électro Thylacine…) se penchent sur ses partitions, constellées de dessins fantasques et d’indications énigmatiques (« Enfouissez le son ») ; plusieurs les interprètent avec passion. Ponctué d’interludes poétiques, le portrait à la fois érudit et enlevé, témoigne de l’influence profonde de Satie sur les générations suivantes, et jusque dans la pop culture. Satie laisse une œuvre, surtout un esprit : l’esprit de l’audace et de l’irrévérence poétique.

 

Documentaire inédit « Erik Satie, entre les notes »
Réalisé par Grégory Monro – (2025 – 60 min)

 

approfondir

D’AUTRES ARTICLES  » ERIK SATIE  » sur CLASSIQUENEWS : https://www.classiquenews.com/?s=satie
LIVRES, annonce. Stéphanie Kalfon, Les Parapluies d’Érik Satie, (Éditions Joëlle Losfeld, 2017). A partir de l’inventaire des objets de son « antre » à Arcueil, laissés intacts après sa mort (dont 2 pianos inopérant et les fameux 14 parapluies identiques), catalogue… : https://www.classiquenews.com/livres-annonce-stephanie-kalfon-les-parapluies-derik-satie-editions-joelle-losfeld-2017/

LIVRES, annonce. Stéphanie Kalfon, Les Parapluies d’Érik Satie, (Éditions Joëlle Losfeld, 2017)

 

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CRITIQUE, récital lyrique. PARIS, Théâtre des Champs-Elysées, le 8 juin 2025. Pretty YENDE (soprano), Orchestre national d’Île de France, Pablo Mielgo (direction)

Quelle soirée envoûtante au Théâtre des Champs-Elysées – et grâce à la série des « Grande Voix » ! Pretty Yende, la soprano sud-africaine au timbre d’or, a illuminé la fameuse scène parisienne, portée par l’excellence de l’Orchestre National d’Île-de-France sous la direction énergique et sensible du chef espagnol Pablo Mielgo. Entre grands airs d’opéra et escapades légères, son programme a démontré l’étendue prodigieuse de son art, chaque pièce sublimée par une technique irréprochable et une expressivité bouleversante.

La soirée s’ouvre avec l’ouverture de La Forza del Destino (Verdi), où l’orchestre déploie une tension dramatique magnifique, annonçant une soirée sous le signe du grand opéra. Puis, Pretty Yende entre en scène pour « D’amor sull’ali rosee » (Il Trovatore), où sa voix, d’une pureté cristalline, se pare de pianissimi envoûtants et de nuances infinies. Son souffle semble inépuisable, chaque phrase portée par un legato d’une élégance souveraine. Le « Casta Diva » (Norma) qui suit est un moment de grâce absolue. La soprano domine les vocalises avec une aisance déconcertante, mêlant finesse belcantiste et puissance romantique, tandis que le « Ah! bello a me ritorna » explose en une déclaration passionnée, couronnée par des aigus d’une luminosité à couper le souffle. Après l’ouverture de Nabucco (Verdi), jouée avec une fougue électrisante, Yende enchante avec « Mercé, dilette amiche » (I Vespri Siciliani), où sa coloratura étincelante et son sens inné de la comédie font mouche.

Puis, changement d’ambiance avec « Depuis le jour » (Louise, Charpentier) : son timbre prend des teintes veloutées, caressant chaque note avec une tendresse qui arrache des frissons. L’ouverture de La Vie Parisienne (Offenbach) entraîne ensuite la salle dans un tourbillon joyeux, avant que « Suis-je gentille ainsi ? » (Manon, Massenet) ne révèle toute la coquetterie espiègle de la soprano. Son interprétation de « Obéissons quand leur voix appelle » est un festival de nuances espiègles et de vocalises impeccables, salué par des applaudissements nourris. La « Chanson à la lune » (Rusalka, Dvořák) s’avère comme un moment de pure poésie. Sa voix, d’une transparence lunaire, flotte avec une douceur surnaturelle, tandis que l’orchestre brosse un écrin orchestral envoûtant. Puis, après l’ouverture de La Chauve-Souris (Strauss), Yende s’empare du Csárdás avec une autorité dramatique et une virtuosité époustouflante, terminant sur un suraigu explosif qui déclenche des d’applaudissements nourris d’un public parisien quasi entré en transe.

Mais la magie ne s’arrête pas là ! En guise de finale, Pretty Yende offre un medley de chansons américaines qui fait fondre la salle, conclu par « Over the Rainbow » (Arlen), clou du spectacle, où son aigu final, suspendu dans un fil de voix, laisse la salle en apesanteur. Elle offre ensuite, à un public toujours plus conquis, deux bis : « Paris, Paris, Paris » de Joséphine Baker – et ce qui est désormais son refrain dans chacun de ses récitals, « I feel Pretty » (extrait de West Side Story de Bernstein). Entre chaque bis, elle lance, rayonnante : « I love you, Paris ! , provoquant des manifestations de plus en bruyantes et hystériques de la part d’un public parisien tombé une nouvelle fois amoureux d’elle…

Et pour les aficionados, Pretty Yende sera de retour la saison prochaine au TCE dans le cadre des « Grandes Voix » à deux occasions : le 4 octobre 2025 pour le Gala Joséphine Baker, puis le 16 décembre pour un programme « Noël en chansons » !

 

 

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CRITIQUE, récital lyrique. PARIS, Théâtre des Champs-Elysées, le 8 juin 2025. Pretty YENDE (soprano), Orchestre national d’Île de France, Pablo Mielgo (direction). crédit photo (c) Emmanuel Andrieu

 

 

 

CRITIQUE, concert. LA SEINE MUSICALE (Auditorium Patrick Devedjian), le 7 juin 2025. BONIS / BRUCH / SEVERE / MOUSSORGSKI. Adrien La Marca (alto), Raphaël Sévère (clarinette), Orchestre Lamoureux, Adrien Perruchon (direction)

Belle entrée en matière que cette Valse de Mel Bonis en ouverture qui intègre au sein des pupitres de cuivres, de jeunes musiciens dans le cadre d’élèves d’Orchestre à l’école, tremplin pour les futurs instrumentistes. Transmission, professionnalisation sont concrètement mis en œuvre. A l’instar de ce soir, chaque concert devrait réaliser ce dispositif exemplaire.

 

photo : l’Orchestre Lamoureux, concert Sévère, Bruch, Moussorgski © classiquenews TV

 

 

Puis l’Orchestre Lamoureux accueillent deux solistes aux tempéraments accomplis et ce soir très complémentaires, dans deux œuvres associant l’alto et la clarinette : Adrien La Marca et Raphaël Sévère ; d’abord le double concerto de Max Bruch, aux élans passionnels Brahmsiens, entre gravité et classicisme ;  la ductilité expressive, l’écoute en partage entre les deux solistes, leur souci d’une articulation fluide et naturelle produisent un remarquable flux sonore et expressif dont de magnifiques phrasés.

Après la pause, le clarinettiste Raphaël Sévère crée ensuite en complicité avec le même altiste sa propre partition « Phoenix », splendide immersion dans des univers plutôt sombres voire énigmatiques et suspendus auxquels les musiciens de l’Orchestre Lamoureux apportent couleurs et accents ciselés.

La pièce phare du programme de ce dernier concert de la saison 2024 – 2025 sont les 10 séquences des Tableaux d’une exposition de Moussorgksi (« Promenades » exceptées) auxquels l’orchestration de Ravel apporte le raffinement espéré, entre ampleur, expressivité, là aussi et d’une conception superlative, en couleurs et timbres associés. Élaboré en 1922 à la demande du chef américain Serge Koussevitzki, la version conçue par Ravel est de l’or et du miel pour tout orchestre, un véritable coup de génie qui fait passer les pièces originelles (laissées par Moussorgski dans leur version piano), d’un canevas brut mais hyperexpressif déjà, à un sommet de souffle et de caractérisation orchestrale ; les climats contrastés, la plasticité ininterrompue des séquences jonglent avec les caractères les plus variés : poétique et terrifiant, intime et sombre, murmuré et lugubre, féerique puis terrifiant, animé insouciant et grimaçant démoniaque… A travers des épisodes aussi dramatiques, auxquels Ravel apporte le sublime raffinement de sa parure instrumentale, la partition permet à l’Orchestre d’exprimer tour à tour une palette d’accents et d’ambiances d’une grande originalité laquelle ne s’explique que par la propre fascination de Moussorgski, d’autant plus que le compositeur russe, visiblement très inspiré par les tableaux de son ami peintre et architecte Viktor Hartmann, réalise aussi un agencement et une succession riche en surprises, distorsions hallucinées, contrastes âpres voire brutaux.

Avec une baguette de plus en plus précise et ferme, Adrien Perruchon sculpte la matière orchestrale et ses brillants effets en s’appuyant sur toutes les ressources des musiciens de l’Orchestre Lamoureux. On suit le parcours de l’exposition hommage en ne perdant aucune tension ni aucune subtilité expressive ; chaque tableau produisant chez Moussorgski, une manière de vision puissante, souvent saisissante qui exige de chaque instrumentiste ; le tout dans un cadre dramatiquement percutant qui traverse les sujets et leur atmosphère dans la caractérisation requise…

Les instrumentistes font chanter leurs instruments délivrant le formidable livre d’images attendu : des rictus du gnôme boiteux et sarcastique (le casse-noisette Gnomus), au chariot de Bydlo qui se meut tel un pachyderme monstrueux (superbe solo de Tuba), comme une marche aux couleurs militaires (les 2 caisses claires), sans omettre ce terrifiant féerique des « Catacombes » où brillent les instruments d’une fanfare percutante et large (trombones, cors, …) à laquelle répond les appels célestes, suspendus de la harpe. Même dans le tendre facétieux et insouciant (« Ballet des poussins dans leurs coques »), l’agilité trépidante et espiègle (« Tuileries »), le truculent délirant emporté dans un grand crescendo impérieux (« la Cabane sur des pattes de poules » qui est la demeure de la sorcière Babayaga), chef et instrumentistes déploient une sensibilité expressionniste en phase avec les défis de l’écriture de Moussorsgki comme de l’orchestration de Ravel.

Outre sa générosité et l’équilibre dans le choix des œuvres jouées, le programme s’inscrit idéalement dans l’histoire même de l’Orchestre Lamoureux en créant une pièce contemporaine, ce soir signée du clarinettiste Raphaël Sévère. On sait combien la phalange (à l’époque « les Concerts Lamoureux ») a œuvré pour la création musicale à commencer par … Ravel justement dont l’Orchestre parisien a créé plusieurs œuvres (dont le Concerto en sol en 1932) ou Wagner dont l’Orchestre crée le premier acte de Tristan (en mars 1884), suscitant alors l’admiration de Debussy… puis Lohengrin (en version de concert en mai 1887, sous la direction de Charles Lamoureux). Suivra entre autres pièces majeures, L’Apprenti sorcier de Dukas en 1899 sous la direction de Camille Chevrillard…

Au moment où nous concluons cet article, l’Orchestre Lamoureux vient de mettre en ligne sa nouvelle saison 2025 – 2026, incontournable cycle à venir dans lequel s’inscrit entre autres, les célébrations du 150ème anniversaire Ravel (et à la clé une expérience immersive dans l’orchestre)… : https://orchestrelamoureux.com/~orchestrgy/site/wp-content/uploads/2025/06/OL-brochure2025-26.pdf

 

photo © classiquenews TV 2025

 

 

 

 

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CRITIQUE, concert. La Seine Musicale (Auditorium Patrick Devedjian), Ile Seguin – 92100 Boulogne-Billancourt, le 7 juin 2025. Bonis, Bruch, Sévère (Adrien La Marca, alto / Raphaël Sévère, clarinette), Moussorgski (Tableaux d’une exposition, version Ravel), Orchestre Lamoureux, Adrien Perruchon (direction).

 

 

Programme
Mel Bonis, Valse
Ouverture du concert avec les élèves d’Orchestre à l’École
Raphaël Sévère, Phoenix, pour clarinette, alto et orchestre (création française)
Max Bruch, Double concerto pour clarinette, alto et orchestre
Modest Moussorgsky, Les Tableaux d’une exposition (Orchestration de Maurice Ravel)

(ESPAGNE) FESTIVAL CASTELL DE PERELADA : 3 – 18 juillet 2025 : Joyce DiDonato, Sonya Yoncheva, William Christie, Julian et Christoph Prégardien, Angel Blue…

Chaque été, en Catalogne espagnole, le domaine du Château de Peralada est l’écrin enchanteur du Festival Castell de Peralada fondé depuis 1987. L’Auditorium, situé dans les jardins du Parc du Château, et sous la voûte étoilée, offre le vertige inoubliable de spectacles magiciens lors des nuits d’été : opéras, ballets… L’Église et le Cloître, à quelques pas de là, accueillent les récitals, les concerts de chambre, les opéras en petit format. Histoire et prestige identifient le Festival : ses propositions artistiques, la singularité de son parc et de ses bâtiments composant un cadre exceptionnel, font de Perelada, un haut lieu culturel de la Costa Brava.

 

 

Information et vente de billets sur
www.festivalperalada.com
et par téléphone au 972 538 292.

 

En 2025, les fondamentaux du Festival sont renforcés, accordant depuis toujours, une place privilégié, au chant lyrique et à la danse… Outre les grandes voix actuelles, le Festival favorise les nouveaux créateurs, soutient les compositeurs, invite les grands interprètes comme les grandes compagnies et les ensembles instrumentaux de la scène européenne et internationale.

 

Du 13 au 18 juillet 2025
12 programmes événements
sur la Costa Brava

 

Du 3 au 18 juillet 2025, la crème de la musique classique et de l’opéra, les grands créateurs de la danse tiennent l’affiche de Perelada ; soit 12 rendez-vous artistiques et musicaux… parmi les temps forts et les programmes à ne pas manquer cet été : le récital de JOYCE DIDONATO (Craig Terry, piano), le 3 juillet ; la création signée de la chorégraphe et danseuse LORENA NOGAL: « Le Terroir », inspiré par la métamorphose du raisin en vin… ( le 4) ; spectacle onirique dans l’esprit d’un jardin perdu… « Genius Loci », inspiré du fascinant livre The Lost Garden (Elba, 2018) de Jorn de Précy (Xavier Sbata, contre ténor et Jonas Nordberg, théorbe, le 5) ;  le duo de chanteurs, père et fils, Julian et Christoph PRÉGARDIEN (« In paradisum », lieder de Schubert et Liszt, le 6) ; L’Opera (forse) de Filidei par l’ensemble FRAMES PERCUSSIONS (le 9) ; Danse et musique baroque par le Ballet Flamenco de Andalucía et l’Accademia del Piacere (« Origen / La Semilla de los tiempos », le 10) ; le sublime oratorio « Il Trionfo del Tempo e del Disinganno » du jeune Händel, alors en Italie (1707), par WILLIAM CHRISTIE et ses Arts Florissants (église du Carmen, le 12) ; récital de la soprano ANGEL BLUE (programme : airs de Verdi, jazz et zarzuela, …Bryan Wagorn, piano, le 13) ; « Melodies compartides », évocation d’un duo catalan mythique : Pau Casals et la cantatrice Conxita Badia (au programme : Enrique Granados, Gottfried Heinrich Stölzel, Schubert, Fauré, Strauss, Schumann et Massenet…, le 17) ; enfin, apothéose pour le final, avec le récital de la soprano SONYA YONCHEVA, au timbre sensuel envoûtant, le 18 juillet : « Hommage à George Sand », à travers des textes de Pauline Viardot entre autres…

 

 

 

 

TOUTES les infos, les programmes, les artistes invités, la BILLETTERIE et les offres spéciales (abonnement « Mirador ») sur le site du Festival de Perelada : https://www.festivalperalada.com/fr/

Festival de Peralada
(+34) 972 53 81 25
[email protected]

 

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CRITIQUE, opéra. BRUXELLES, Théâtre Royal de La Monnaie (du 3 au 25 juin 2025). BIZET : Carmen. E-M. Hubeaux, M. Fabbiano, A-C. Gillet, E. Crossley-Mercer… Dmitri Tcherniakov / Nathalie Stutzmann

La production de Carmen au Théâtre Royal de La Monnaie de Bruxelles (à l’affiche jusqu’au 25 juin 2025) confirme la puissance intemporelle de la partition de Georges Bizet, tout en butant sur une conception scénique de Dmitri Tcherniakov qui déroute par son artifice. Transplantant l’action dans un hôtel des années 1980 transformé en cadre thérapeutique, Tcherniakov fait de Carmen (Ève-Maud Hubeaux) une « thérapeute » et de Don José (Michael Fabiano) un patient dépressif. Ce dispositif de mise en abyme – où les personnages « jouent » leur propre drame – alourdit la narration et prive l’œuvre de sa sauvagerie romantique. Les dialogues réécrits, l’absence de toute référence à l’Espagne et la fin transformée en simulacre (avec meurtre factice célébré au champagne !) diluent la tragédie originelle. Heureusement, cette fable « psychologisante » ne parvient pas à entamer la splendeur musicale déployée sur scène et à la fosse.

 

Dans le rôle-titre, la mezzo franco-suisse Eve-Marie Hubeaux domine le plateau par un charisme animal et une voix envoûtante. Son Habanera fuse avec une liberté provocante, mêlant graves veloutés et aigus percutants. Son timbre nasalisé – parfois forcé dans le registre de poitrine – sert paradoxalement une Carmen distanciée, plus actrice que magicienne, parfaitement adaptée au cadre conceptuel. Sa présence scénique, tantôt joueuse, tantôt farouche, électrise chaque interaction. Face à elle, le ténor étasunien Michael Fabiano livre un Don José déchirant, loin du cliché du brute primaire. Son « La fleur que tu m’avais jetée » est un modèle de nuance dramatique : la voix passe de la fragilité pianissimo à une fureur sonore maîtrisée. Son évolution – du mari dépressif à l’homme consumé par la passion – est rendue avec une vérité psychologique saisissante. L’équilibre entre engagement scénique et intégrité vocale est remarquable.

Transformant l’ingénue en épouse bourgeoise désemparée, la belge Anne-Catherine Gillet réinvente le rôle. Son soprano argenté et précis (notamment dans « Je dis que rien ne m’épouvante ») apporte une lumière émouvante. Le timbre, d’une clarté cristalline, transcende le parti pris scénique pour incarner une humanité bouleversante. Si sa diction est parfois cotonneuse, Edwin Crossley-Mercer assume un Escamillo en « vieux beau » charismatique (costumé en Colonel Sanders !), où l’ironie du personnage-miroir est soulignée. Son « Toréador », moins conquérant qu’inquiétant, prend une résonance funèbre prophétique : une interprétation intelligente dans ce cadre décalé. Louise Foor (Frasquita) et Claire Péron (Mercédès) forment un duo complice, aux timbres parfaitement complémentaires. Foor, surtout, illumine les ensembles par des aigus étincelants. Pierre Doyen (Moralès) et Christian Helmer (Zuniga) offrent des incarnations vocales solides, alliant souplesse et autorité. Le duo des contrebandiers formé par Guillaume Andrieux (Le Dancaïre) et Enguerrand De Hys (Le Remendado) offre un véritable feu d’artifice de complicité et de virtuosité comique ! Leur alchimie sur scène est palpable, apportant la dose parfaite d’humour, de ruse et de rythme endiablé à l’acte II.  Enfin, les Chœurs de La Monnaie (préparés par Emmanuel Trenque) distillent énergie militaire chez les hommes et grâces aériennes chez les femmes. Malgré une direction scénique hyperactive (qui complique la synchronisation !), ils offrent une prestation puissante et nuancée, notamment dans les chœurs d’enfants, délicieusement ironisés.

En fosse, Nathalie Stutzmann, cheffe passionnément analytique, révèle les sortilèges de la partition avec une intelligence dramaturgique rare. Son approche fusionne rythmes incisifs (danseurs endiablés dans les préludes), couleurs chaleureuses (bois enveloppants) et transparence des textures. L’ouverture, traitée avec une tension novatrice (timbres unifiés dans un même plan sonore), annonce une lecture où chaque détail orchestral sert le drame. Sous sa baguette, l’Orchestre Symphonique de La Monnaie atteint un punch mélodique et une précision rythmique étourdissants : les cuivres éclatants, les cordes souples et les percussions minutieuses magnifient l’invention orchestrale de Bizet sans sacrifier sa légèreté.

Malgré un concept scénique intellectuellement alambiqué et émotionnellement aseptisé – où Carmen en thérapeute et José en patient désorientent plus qu’ils n’émeuvent – cette production s’impose par son excellence musicale absolue. Hubeaux et Fabiano forment un couple tragique inoubliable, porté par une direction Stutzmann électrisante et un orchestre-chœur au sommet. À voir d’urgence pour les voix et la fosse, en fermant les yeux sur le décor clinique…

 

 

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CRITIQUE, opéra. BRUXELLES, Théâtre Royal de La Monnaie (du 3 au 25 juin 2025). BIZET : Carmen. E-M. Hubeaux, M. Fabbiano, A-C. Gillet, E. Crossley-Mercer… Dmitri Tcherniakov / Nathalie Stutzmann. Crédit photo (c) Bernd Uhlig

 

 

 

CRITIQUE, concert. PARIS, Philharmonie, le 5 JUIN 2025. GESUALDO. Compagnie Amala Dianor, Les Arts Florissants, Paul Agnew (direction)

Dans l’ardent printemps qui s’achève humide au creux de la cité luisante de lueurs éclatantes, les immenses vaisseaux de la musique étincelants de pluie enhardissent leur proue musicale aux limbes de Paris. Dans la salle des concerts de la Philharmonie de Paris, cette nef conçue par Christian de Portzamparc, une ambiance brumeuse et mystérieuse accueillit le spectateur comme l’encens dans une cérémonie secrète digne des proto-chrétiens. 

 

Poursuivant son exploration du répertoire madrigalesque, Paul Agnew à la tête des Arts Florissants nous promettait une nouvelle manière d’être immergés dans l’univers sacré de Carlo Gesualdo. Entendre les Tenebrae responsoria en dehors de la liturgie parait une exploration dans un univers tellement éloigné de la sensibilité de notre temps qu’il était nécessaire de nous apporter un éclairage qui permette à cette musique drapée de toutes les nuances de jais du crêpe et du satin de faire surgir les fulgurantes nuances de l’ostensoir. C’est en réunissant d’emblée un plateau vocal de haute teneur que Paul Agnew a rendu ces pages inoubliables de couleurs et de nuances. Autour du chef et ténor, on a pu entendre Miriam Allan, Hannah Morrison, Mélodie Ruvio, Sean Clayton et Edward Grint. Toutes et tous d’une précision et d’un abattage parfaits, de plus qu’ils ont figuré, tels les retables d’antan, les différentes stations du Chemin de Croix et de la Passion du Christ. 

Associés étroitement à ces Répons de Gesualdo les sublimissimes danseuses et danseurs de la Compagnie Amala Dianor ont rendu à cette musique nocturne et sacré, une théâtralité hors du commun. Nous avons particulièrement remarqué, dans le rôle christique, Damiano Bigi, d’une présence ahurissante. Outre la puissante et superbe chorégraphie, signée Amala Dianor, Damiano Bigi est sculptural dans l’intention mais débordant d’une sensualité naturelle qui figure les plus belles toiles de maîtres anciens. Les lumières de Xavier Lazarini sont autant de pinceaux qui sculptent l’ineffable pour concevoir l’espace de cette cérémonie où nous avons toutes et tous communié, initiés à nouveau dans les rites humains de la mort et de la promesse de la régénération.  

Gesualdo, éternel repenti d’un crime passionnel, a su chanter mieux que quiconque la souffrance de la perte irréparable, le deuil languissant et l’espoir infime d’une rémission et du pardon. Ce bon soir de juin, on entend les bruits de la ville en pluie, des larmes dont la douleur soulage les passions les plus ardentes.

 

 

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CRITIQUE, concert. PARIS, Philharmonie, le 5 JUIN 2025. GESUALDO. Compagnie Amala Dianor, Les Arts Florissants, Paul Agnew (direction).

 

 

(HAUTE-SAÔNE, 70), MARAST : Piano au Prieuré, les 13, 14 et 15 juin 2025 (1ère édition). Ferenc Vizi, Dany Rouet, Elsa Grether…

L’église prieurale de Marast, propriété du Département de la Haute-Saône, accueille un nouveau festival 100% piano les 13, 14 et 15 juin 2025. A l’initiative de Culture 70, le nouveau projet artistique se déploie en 3 concerts événements ; il exploite idéalement l’acoustique exceptionnelle du site…

 

Pour ce premier opus d’un festival prometteur, l’église de Marast, bijou d’art roman en Vallée de l’Ognon, à l’incroyable charpente en châtaignier, inspire ainsi les imaginaires des pianistes Dany Rouet et Ferenc Vizi, de la violoniste Elsa Grether, de la danseuse Veronica Vallecillo… Salzbourg, Vienne, Paris, Moscou, Grenade… des étapes magiciennes pour une féérie d’ambiances….

 

 

 

 

Vendredi 13 juin, 20h30
Ferenc Vizi, piano

Mozart, … l’enfant prodige du piano, est aussi un auteur de théâtre doué d’un sens dramaturgique hors normes, avec une utilisation de la voix qui confine au sublime. Cette vocalité, ce sens inné de la mélodie comme de l’improvisation, se déploient dans ses sonates pour piano.
INFOS : https://saisonculture70.vostickets.fr/Billet/FR/representation-SAISON_CULTURE70-29777-0.wb?REFID=As0OAAAAAAAuAA

 

 

Samedi 14 juin, 20h30
Dany Rouet, piano

Clair-obscur… Le récital explore l’esthétique du mouvement « Sturm und Drang » (tempête et passion), courant artistique allemand du XVIIIe siècle qui a influencé la création musicale à l’aube du romantisme. Complété par 3 Préludes et fugue de J.S. Bach qui forment son fil conducteur, le parcours s’ouvre sur la dramaturgie de la Sonate de Haydn, parfaite incarnation de l’expression théâtrale du « Sturm und Drang ». Puis la visionnaire Sonate n°2 de Scriabine, comme l’immense fresque des « Kreisleriana » de Schumann, expriment les fluctuations de l’humeur en jeux de couleurs entre ombre et lumière, tension et contemplation, lutte et résignation, passion et renoncement… Chaque écriture exalte une irrésistible liberté formelle, un souffle narratif qui embarque l’auditeur dans une traversée sonore poétique et captivante.
PLUS D’INFOS : https://saisonculture70.vostickets.fr/Billet/FR/representation-SAISON_CULTURE70-29780-0.wb?REFID=As0OAAAAAAAuAA

 

 

Dimanche 15 juin, 17h
Elsa Grether, violon
Ferenc Vizi, piano

Veronica Vallecillo, danse flamenco contemporaine

Grenade Passion / Parfums d’Espagne… le programme plonge l’auditeur au cœur de l’Espagne musicale. Chefs-d’œuvre emblématiques et perles rares font dialoguer folklore ibérique et modernité du XXe siècle. De de Falla à Granados, de Rodrigo à Turina, chaque pièce révèle une facette sensible, fougueuse, mystérieuse de l’âme espagnole — portée par l’élan et la complicité de trois artistes inspirés, entre instruments et danse…
PLUS D’INFOS : https://saisonculture70.vostickets.fr/Billet/FR/representation-SAISON_CULTURE70-29781-0.wb?REFID=As0OAAAAAAAuAA

 

 

 

 

 

Réservations au 03 84 75 36 37 ou [email protected]

 

Tarifs/concert : 12€ – 10€ (réduit *) – gratuit (-16 ans)

* adhérents Culture 70 et Amis du Prieuré de Marast, demandeurs d’emploi, allocataires RSA, étudiants

Les billets sont tenus à votre disposition au plus tard 20 mn avant le début du concert. Les billets non retirés dans ce délai seront remis en vente.
Billetterie à l’entrée du concert : Les billets sont mis en vente, dans la limite des places disponibles, 1 h avant le début des concerts.

Toutes les infos et la Billetterie en ligne sur le site Culture 70 :
https://saisonculture70.vostickets.fr/Billet/FR/catalogue-SAISON_CULTURE70.wb?REFID=As0OAAAAAAAuAA

 

 

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CRITIQUE, festival. PARIS, 6ème Festival « Résonances » (Sainte-Chapelle), le 7 juin 2025. SATIE / POULENC / RAVEL. Aya Okuyama (piano)

Hier soir 7 juin, dans le cadre somptueux de la Sainte-Chapelle de Paris, joyau gothique aux vitraux millénaires, le 6ᵉ festival « Résonances » a offert une superbe expérience musicale aux nombreux touristes étrangers (et quelques parisiens…) qui sont venus applaudir avec la talentueuse pianiste japonaise Aya Okuyama. Sous les voûtes sacrées baignées de lueurs bleutées, son programme sensible – hommage à Erik Satie (100ᵉ anniversaire de sa disparition) et Maurice Ravel (150ᵉ anniversaire de sa naissance), enrichi de pépites de Francis Poulenc – a démontré l’universalité intemporelle du piano.

 

Ouvert par les Trois Gnossiennes, le récital a plongé le public dans une contemplation mystique. Okuyama a ciselé chaque silence, chaque note suspendue avec une délicatesse quasi liturgique. Dans la pénombre sanctifiée de la Sainte-Chapelle, les accords dépouillés de Satie résonnaient comme des prières laïques, épurées jusqu’à l’essentiel. Son toucher délicat, allié à une maîtrise exemplaire du rubato, a transformé ces miniatures en instants d’éternité – un dialogue parfait entre l’âme de Satie et la spiritualité des lieux.

Intercalées entre Satie et Ravel, les Trois Novelettes et les trois Improvisations de Poulenc ont ravi l’auditoire. La 3ème Novelette est basée sur un thème de Manuel de Falla (El amor brujo), transformée en 3/8 fluide – un clin d’œil à l’Espagne de Ravel, interprété avec une fluidité d’arpèges étourdissante, tandis que dans la 3ème Improvisation (« en hommage à Edith Piaf« ), Aya Okuyama a fusionné élégance classique et esprit de la rue – accords « banals » transformés en or, pédale généreuse, et un swing discret évoquant la Môme.

Avec Jeux d’eau de Ravel, Okuyama a révélé sa virtuosité poétique. Les arpèges scintillants jaillissaient sous ses doigts tels des gouttes dansantes, mêlant clarté classique et audace harmonique. La résonance des voûtes amplifiait les nuances aquatiques, créant une atmosphère onirique où chaque cascade sonore semblait épouser la lumière des vitraux. Puis vinrent les Valses nobles et sentimentales – un contraste saisissant ! Tour à tour passionnées, ironiques ou nostalgiques, ces valses ont déployé une palette émotionnelle prodigieuse. Okuyama a joué avec les tempi comme un peintre avec ses couleurs, soulignant la modernité ravélienne qui oscille entre tendresse et désinvolture. Le Presque lent (n°5), d’une mélancolie envoûtante, a particulièrement captivé l’auditoire.

Le lieu n’a pas été un simple décor, mais un partenaire acoustique actif. Les vitraux semblaient vibrer aux éclats de Jeux d’eau, tandis que les voûtes renvoyaient les murmures de Satie en échos célestes. Le festival « Résonances », centré sur le piano comme « architecture du temps« , a trouvé ici son incarnation parfaite : chaque note dialoguait avec les pierres, créant une expérience sensorielle totale où passé et présent fusionnaient !

 

 

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CRITIQUE, festival. PARIS, 6ème Festival « Résonances » (Sainte-Chapelle), le 7 juin 2025. SATIE / POULENC / RAVEL. Aya Okuyama (piano). Crédit photo (c) Emmanuel Andrieu

 

 

VIDEO : Aya Okuyama interprète le Nocturne op. 48 n°1 de Frédéric Chopin à la Sainte Chapelle de Paris.

 

CRITIQUE, festival. ANGERS (3ème Festival Pianopolis), Greniers St-Jean, le 30 mai 2025. CHOPIN. Elisso Virsaladze (piano)

Angers Pianopolis continue de s’imposer comme l’un des rendez-vous immanquables de la saison pianistique. Cette année, un événement faisait figure de sommet : un récital d’Elisso Virsaladze. La pianiste géorgienne est auréolée d’une aura presque mystique, renforcée par sa rareté sur les scènes. Il y a de grands pianistes dans le monde, mais peu imposent une présence scénique aussi hors norme. Si l’on sort, par exemple, d’un grand récital de Leonskaja dans une sorte d’état béat de félicité et de gratitude pour ce que l’on vient d’entendre, l’état dans lequel nous laisse Virsaladze correspond davantage à une sidération tendue, faite d’exigence, d’intégrité, et d’une sévérité qui élève les œuvres.

 

On se retrouve au Grenier à Sel d’Angers, au-dessus d’une petite place animée organisée par le festival : food trucks et bars gravitent autour d’un piano où se succèdent spontanément de petites formations musicales qui se font et se défont, en attendant l’entrée de la légende Virsaladze sur scène pour son programme 100 % Frédéric Chopin. Le public angevin découvre, dès les premières notes de la Polonaise-Fantaisie op. 61, ce piano brut, tenu avec une solidité implacable. Les dynamiques, elles, restent dans un mezzo forte tout à fait étonnant. Mais, par une prouesse de prestidigitation, tout se passe dans ce cadre si strict : tant de nuances, de couleurs, ce rubato minéral si personnel.

Une Troisième Sonate tout aussi souveraine suit la Polonaise-Fantaisie. On retiendra la force dévastatrice du finale. Il n’est pas question ici de virtuosité ou de puissance, mais d’une sauvagerie sous-jacente, d’une tension continue qui envahit l’espace. La deuxième partie est constituée de Nocturnes, Valses et Mazurkas. Elisso Virsaladze est d’une éloquence incroyable, une sorte de sommet dans l’exploitation de son instrument. Elle joue du piano — pas un piano-orchestre, pas un piano belcanto, mais un piano artisanal, forgé dans le bronze. Virsaladze creuse un sillon dans lequel on la suit.

Retenons le premier bis, la Mazurka op. 68 n°2, qui résume en deux minutes le geste pianistique de Virsaladze. Une leçon expresse, deux minutes de musique d’une densité rare. Une mazurka fière, magique, hautaine, rude, habitée et physique.

 

 

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CRITIQUE, festival. ANGERS (Pianopolis), Grenier à Sel, le 30 mai 2025. Elisso Virsaladze (piano). Crédit photo (c) Droits réservés

 

 

VIDEO : Elisso Virsaladze dans un récital Chopin à Moscou

 

28ème FESTIVAL DURANCE LUBERON : 1er au 16 août 2025 : Rémi Abram, The Green Duck, Carmen, La Traviata, Les Travaux d’Hercule de Claude Terrasse…

Dans le VAUCLUSE, le Festival Durance Luberon fait rayonner l’esprit du partage, de la découverte, partout sur le territoire, soit 9 étapes qui sont autant de spectacles et événements de musique qu’un lieu différent, à chaque programme (en particulier 5 sites devenus emblématiques : La Tour d’Aigues, Peyrolles en Provence, Grambois, Lauris, Mirabeau,…). Tout favorise l’échange, la rencontre, le plaisir de vivre ensemble des moments d’exception : de quoi réaffirmer l’urgence à ressouder la cohésion sociale.

 

 

 

L’éventail est large et les styles promettent un vaste tour d’horizon : classique, jazz, lyrique, musiques du monde… L’éclectisme, la virtuosité, l’expérience autant sonore que visuelle, surtout la qualité des échanges humains (succès jamais démentis des soirées « apéroJazz » et « apérOpéra ») font la magie du Festival Durance Luberon désormais idéalement implanté dans son territoire ; en suscitant l’imaginaire et la découverte auprès du plus grand nombre, le Festival conçu et porté par Luc Avrial, présent au cœur de nos villages, participe à la préservation de notre art de vivre ensemble, un bien inestimable qui est l’un des fondamentaux de notre société française.

Parmi nos coups de cœur jazz : le saxophoniste Rémi Abram et son Quartet en ouverture (1er août) ; puis Jon & John Trio en clôture (16 août) ; au registre opéra et récitals lyriques : ne manquez pas, « Bizet avant Carmen » (le 3) ; « Paris-Vienne » (le 9) ; « violence et passion » (le 10) ; aux côtés, deux deux soirées d’opéra : « Les Travaux d’Hercule de Claude Terrasse (le 14) ; et La Traviata de Verdi (le 15) ; sans omettre l’énergie et la pulsion rythmique et facétieuse des musiques irlandaises (soirée « The Green Duck », le 8)….

 

 

28ème FESTIVAL DURANCE LUBERON
du 1er au 16 août 2025
9 soirées événements

 

 

 

Quelques temps forts, promesses d’une expérience musicale, sensorielle, humaine à ne pas manquer :

 

Ven. 1 août 2025, 20h
Château de La Tour d’Aigues, Cour d’honneur
apéroJazz / Jazz Astral – RÉMI ABRAM : digne héritier de John Coltrane et Sonny Rolins, le saxophoniste Rémi Abram, origine de la Martinique, explore toues les ressources des arpèges enivrants que l’on nomme « Jazz Hot »…
RÉSERVEZ : https://www.festival-durance-luberon.com/directory/saison/res/page01.html

 

Sam. 2 août 2025, 20h
Château de Peyrolles en Provence, Terrasse
apérOpéraJazz – TRIO BAROLO / Traversées

 

Dim. 3 août 2025, 20h
Grambois, place de l’Eglise
apérOpéra – BIZET AVANT CARMEN
Pour les 150 ans de la mort de Bizet, qui meurt quelques semaines avant la création de son opéra Carmen, immersion dans la partition de l’opéra le plus joué au monde (avec Tosca de Puccini et La Traviata de Verdi…) par la soprano Carole MEYER et les pianistes Vladik Polionov et Tristan Legris
RÉSERVEZ : https://www.festival-durance-luberon.com/directory/saison/res/page03.html

 

Ven. 8 août 2025, 21h
Château de La Tour d’Aigues, Cour d’honneur
THE GREEN DUCK / Musique irlandaise
Concert festif, généreux, surprenant, avec plein de sourires…
2h30 de musique irish-folk comprenant les plus grands airs traditionnels irlandais…
RÉSERVEZ : https://www.festival-durance-luberon.com/directory/saison/res/page04.html

 

Sam. 9 août 2025, 20h
Lauris, Place de l’Eglise
apérOpérapérette / PARIS-VIENNE
Carte blanche à la soprano Charlotte BONNET, interprète des grandes pages de l’opéra français, ses héroïnes tragiques, passionnées et sacrifiées (Thaïs, Marguerite, Mireille…) mais aussi des féminités séduisantes et percutantes propre à la légèreté et l’insouciance assumée de l’opérette viennoise (La Veuve Joyeuse, Princesse Csardas, La Chauve Souris…) – Avec Vladik Polionov, piano et présentation
RÉSERVEZ : https://www.festival-durance-luberon.com/directory/saison/res/page05.html

 

Dim. 10 août 2025, 19h30
Château de Mirabeau
apérOpéra – VIOLENCE ET PASSION
Immersion dans les scènes de passion et de violence à l’opéra (extraits d’Hamlet, Cavalleria Rusticana, Don Carlo,…) – Avec Julie Robard-Gendre, mezzo / Valentin Thill, ténor / Florent Leroux-Roche, baryton / Carole Meyer, soprano – Vladik Polionov, piano et présentation
RÉSERVEZ : https://www.festival-durance-luberon.com/directory/saison/res/page06.html

 

Jeu. 14 août 2025, 21h
Château de Peyrolles en Provence, Cour
Opérette
LES TRAVAUX D’HERCULE de Claude TERRASSE
Claude Terrasse revisite la figure mythologique flamboyante du héros demi dieu (fils de Zeus), Hercule. La partition Belle Époque de 1901 imagine un spectacle survolté riche en quiproquos et coups de théâtre ; fils à papa, Hercule n’a pas encore accompli ses travaux légendaires ; Omphale est une épouse irritable et Augias, le riche éleveur de chevaux… par les chanteurs et instrumentistes de Musicatreize (Hoviv Hayrabedian, direction)
RÉSERVEZ : https://www.festival-durance-luberon.com/directory/saison/res/page07.html

 

Ven. 15 août 2025, 21h
Château de La Tour d’Aigues
Cour d’honneur
Opéra de poche (version au piano)
VERDI : LA TRAVIATA
En version piano / voix, d’autant plus intimiste, plongez au cœur de la passion amoureuse et tragique de Violetta Valéry qui reçoit le grand amour, comme révélation ultime. Airs déchirants, psychologie subtile et intense, … entre Germont père et fils, la trajectoire de La Traviata est bouleversante. Avec Armelle Khordoïan (Violetta), Rémy Poulakis (Alfredo Germont), Norbert Dol (Germont père)… Vladik Polionov, mise en scène, piano et direction/
RÉSERVEZ : https://www.festival-durance-luberon.com/directory/saison/res/page08.html

 

 

Sam. 16 août 2025, 20h
Lauris, cour d’honneur du Château
apéroJazz – JON & JOHN Trio
Énergie monstre, contagieuse ; punchlines irrésistibles, …
RÉSERVEZ : https://www.festival-durance-luberon.com/directory/saison/res/page09.html

 

 

 

 

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TOUTES LES INFOS, la BILLETTERIE (dont le fameux « pass-festival »), le détail des programmes, des oeuvres jouées, des artistes invités sur le site du 28ème FESTIVAL DURANCE LUBERON 2025 : https://www.festival-durance-luberon.com/

 

 

 

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CRITIQUE, opéra. AVIGNON, Opéra Grand Avignon, les 6 & 8 juin 2025. POULENC : Les Mamelles de Tirésias. Théophile Alexandre / Samuel Jean

Créé il y a près de 80 ans par Francis Poulenc sur un livret du poète Guillaume Apollinaire, Les Mamelles de Tirésias reste un ovni lyrique audacieux. L’histoire ? Thérèse, lasse des diktats natalistes d’une société patriarcale, s’arrache les seins, devient Tirésias et conquiert sa liberté, tandis que son mari enfante 40.000 enfants ! Un pied de nez surréaliste à la « procréation obligée » d’après-guerre, dont la pertinence résonne furieusement aujourd’hui, à l’heure du « réarmement démographique”. Théophile Alexandre, metteur en scène et défenseur des droits des femmes, souligne : « Cette œuvre déconstruit le patriarcat avec une folie lucide – elle questionne le genre, la sexualité et la liberté corporelle avec un siècle d’avance ».

 

 

Les Mamelles de Tirésias à l’Opéra Grand Avignon,
une explosion surréaliste et féministe !

 

En ouverture, le court-métrage Good Girl (2022) de Mathilde Hirsch et Camille d’Arcimoles plante le décor d’un siècle d’oppression. Montage d’archives INA (Dim Dam Dom, Aujourd’hui Madame), il déroule avec ironie les stéréotypes éducatifs imposés aux femmes. La voix d’Agnès Jaoui scande : « Sois sage, sois jolie, sois discrète… » – un écho glaçant aux combats de Thérèse. Projeté en partenariat avec la Maison des Femmes de Saint-Denis et le magazine Causette, ce film agit comme un électrochoc avant le chaos lyrique.

De son côté, Théophile Alexandre transforme la scène en un cabinet de curiosités surréaliste. Les décors et costumes de Camille Dugas et Nathalie Pallandre créent un univers baroque où les mamelles-ballons s’envolent, les corps se métamorphosent, et les couleurs explosent en symboles de liberté. Parmi les trouvailles mi-féeriques/mi subversives sorties de l’imagination du contre-ténor/metteur en scène, la transformation de Thérèse : ses seins, transformés en ballons rouges, s’échappent vers les cintres sous des projecteurs stroboscopiques (Judith Leray) – une image choc devenue poésie visuelle. Mais aussi l’accouchement du Mari, en robe de grossesse, pondant une nuée de poupons dans un ballet absurde, mêlant belcanto et grimaces à la Laurel et Hardy, ou encore la scène finale utopiste où le chœur entonne « Soyez gentilles, les filles ! », tandis que Thérèse, en uniforme de générale, dirige la foule vers un horizon fluide – une conclusion qui fusionne espoir et humour !

Dans le rôle-titre, la jeune soprano colorature Sheva Tehoval (Thérèse/Tirésias) incarne une révoltée à la voix étincelante, passant de l’aigu strident de la frustration au grave puissant de l’émancipation. Face à elle, Jean-Christophe Lanièce (le Mari) brille dans un numéro d’accouchement burlesque et touchant – un tour de force comique et vocal. Marc Scoffoni incarne deux personnages aux contrastes marqués : l’autorité grotesque du gendarme et l’élégance théâtrale du directeur. Son timbre riche et sa projection puissante servent autant la comédie physique que la satire sociale. Sa diction impeccable restitue l’absurdité des dialogues surréalistes (« Faites des enfants, Monsieur !« ). Blaise Rantoanina (Monsieur Lacouf/Le Fils) fait montre d’un ténor agile et expressif. Il brille dans le duo burlesque avec Presto (excellent Philippe Estèphe), où leur combat absurde est ponctué de vocalises enlevées et de répliques syncopées, évoquant l’esprit du music-hall. Ingrid Perruche (La Marchande de journaux) apporte une énergie communicative dans ses interventions, notamment dans l’air annonçant les naissances miraculeuses. Son timbre cristallin et sa vivacité scénique en font un pivot narratif. Son incarnation du Fils, rôle secondaire mais clé, apporte une touche de fraîcheur juvénile grâce à un phrasé dynamique et une présence espiègle. Matthieu Justine campe le personnage du  Journaliste parisien avec un jeu finement satirique : il incarne le cynisme d’une certaine presse avec un phrasé précis et des aigus percutants. Ses répliques en voix mixte (chanté-parlé) rappellent l’héritage d’Offenbach.

En fosse, Samuel Jean dirige l’Orchestre Avignon-Provence avec une énergie contagieuse. Les rythmes de cabaret, les valses déglinguées et les accents jazzy de Poulenc prennent vie sous sa baguette, tandis que le Chœur de l’Opéra Grand Avignon (préparé par Alan Woodbridge) scande le fameux : « Faites des enfants, Monsieur ! » avec une ironie mordante.

Entre la partition géniale de Poulenc, la mise en scène hallucinée d’Alexandre, et l’urgence des thèmes, cette production réinvente l’opéra-bouffe en arme de libération. Ne manquez surtout pas la dernière représentation du dimanche 8 juin à 14h30 !

 

 

 

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CRITIQUE, opéra. AVIGNON, Opéra Grand Avignon, le 6 juin 2025. POULENC : Les Mamelles de Tirésias. Théophile Alexandre / Samuel Jean. Crédit photographique (c) Steve Barek/

 

 

 

 

 

 

LIRE aussi la critique du même spectacle présenté à l’Opéra de Limoges, le 13 mai 2025 dernier : « Mamelles séditieuses et foutraques… L’élégance surréaliste de Théophile Alexandre.. ». :  https://www.classiquenews.com/critique-opera-limoges-opera-le-13-mai-2025-poulenc-les-mamelles-de-tiresias-nouvelle-production-sheva-tehoval-jean-christophe-laniece-theophile-alexandre-mise-en-scene-samue/

CRITIQUE, opéra. LIMOGES, Opéra, le 13 mai 2025. POULENC : Les mamelles de Tirésias (nouvelle production). Sheva Téhoval, Jean-Christophe Lanièce, … Théophile Alexandre (mise en scène) / Samuel Jean (direction)

 

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STREAMING opéra. La Vie secrète des Tableaux, dim 22 juin 2025, 17h – Monteverdi, Haendel, Vivaldi (Opéra Narodowa, Pologne, mai 2025) – Ewa Rucińska

Peintures de grands maîtres et … opéras baroques : qu’a donc appris la Femme lisant la lettre à sa fenêtre dans le tableau captivant et si mystérieux de Vermeer ? De quoi peuvent bien parler les personnages de la Ronde de nuit de Rembrandt ? Et qui s’apprête à attraper la pantoufle de la jeune fille sur La Balançoire de Fragonard [l’escarpolette] ?

 

 

De la peinture et quelques chef d’œuvres, au drame lyrique…. L’Opéra national de Pologne à Varsovie propose une mise en situation de peintures célèbres grâce au jeu des chanteurs d’opéra.
Pour ce faire, dans le sillon des pratiques des XVIIè et XVIIIè, l’Opéra polonais ressuscite le principe du pasticcio et en empruntant aux opéras baroques, quelques airs et séquences bien choisies, recompose ce que pourrait être l’enjeu dramatique de chaque tableau peint sélectionné. La Vie secrète des tableaux est ici décryptée grâce à une sélection d’airs d’opéras de Monteverdi, Vivaldi, surtout Haendel… Des fragments d’œuvres telles que Orlando, Ariodante, Alcina – des tableaux musicaux, en quelque sorte – servent de cadre à des histoires inspirées des toiles des maîtres anciens. Dans cette coproduction de l’Opéra national de Varsovie et de l’Opéra royal de Pologne, les solistes de l’Académie de l’Opéra de Varsovie sont accompagnés par Capella Regio Polona, l’ensemble d’instruments d’époque de l’Opéra royal, dirigé par Krzysztof Garstka.

 

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Depuis le Polish National Opera, Polish Royal Opera
VOIR La Vie secrète des tableaux sur OperaVision :
https://operavision.eu/fr/performance/la-vie-secrete-des-tableaux
Diffusé Dimanche 22 juin 2025 à 17h CET
Disponible jusqu’au 22 déc 2025 à 12h CET
Enregistré le 15 mai 2025
Chanté en italien
Sous-titres en italien, polonais, anglais

 

 

 

DISTRIBUTION

Sopranos :
Katarzyna Drelich
Izabella Fabrycka
Iryna Melnyk
Justyna Khil
Gabriela Stolińska

Mezzo-sopranos
Emilia Rabczak
Marta Wiktorzak
Nataliia Tepla

Contreténor : Enes Aksu
Barton : Nazar Mykulyak
Baryton-basse : Paweł Michalczuk

Ensemble d’instruments d’époque de l’Opéra royal polonais Capella Regia Polona
Direction musicale : Krzysztof Garstka

Écrit et mis en scène par Ewa Rucińska
Chorégraphié : Ilona Molka
Projections Vidéo : Piotr Majewski
Conception Lumières : Maciej Igielski
Costumes et stylisme : Elżbieta Tolak

 

 

programme
« Overture » de Rodelinda par George Frideric Handel
L’Aria de Neptune « Superbo è l’huom » de The Return of Ulysses to his Homeland – Claudio Monteverdi
Paweł Michalczuk, baryton-basse
L’air d’Armida « Furie terribili » de Rinaldo – George Frideric Handel
Katarzyna Drelich, soprano
L’air d’Ariodante « Dopo notte » de Ariodante – George Frideric Handel
Emilia Rabczak, mezzo-soprano
Duo de Ginevra et Ariodante « Bramo aver mille vite » de Ariodante – George Frideric Handel
Izabella Fabrycka, soprano
Marta Wiktorzak, mezzo-soprano
Récitatif et air « Cessate, omai cessate / Ah ch’infelice sempre » de cantate Cessate omai cessate – Antonio Vivaldi
Nataliia Tepla, mezzo-soprano
L’air d’Alcina « Si son quella » de Alcina – George Frideric Handel
Justyna Khil, soprano
L’air de Morgane « Tornami a vagheggiar » de Alcina – George Frideric Handel
Gabriela Stolińska, soprano
Duo d’Armida et d’Argante « Al trionfo del nostro furore » de Rinaldo – George Frideric Handel
Izabella Fabrycka, soprano
Nazar Mykulyak, baryton
L’air d’Agrippine « L’alma mia fra le tempeste » de Agrippina – George Frideric Handel
Iryna Melnyk, soprano
L’air d’Ariodante « Scherza infida » de Ariodante – George Frideric Handel
Emilia Rabczak, mezzo-soprano
L’air de Cléopâtre « Piangerò la sorte mia » de Giulio Cesare in Egitto – George Frideric Handel
Izabella Fabrycka, soprano
L’Arioso de Ginevra « Vezzi, lusinghe e brio » de Ariodante – George Frideric Handel
Gabriela Stolińska, soprano
Aria « Pena tiranna » de Amadigi di Gaula – George Frideric Handel
Enes Aksu, contre-ténor
L’air d’Apollon « Come rosa sul la spina » de Apollo and Daphne – George Frideric Handel
Nazar Mykulyak, baryton
« Sinfonia » de Olimpiada – Antonio Vivaldi
L’air de Vagau « Armatae face et anguibus » de Judith triumphant – Antonio Vivaldi
Marta Wiktorzak, mezzo-soprano

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CRITIQUE, festival. SIX-FOURS-LES-PLAGES (« La Vague classique), Maison du Cygne, le 3 juin 2025. BRAHMS / SCHUMANN / MOUSSORGSKI. Benjamin Grosvenor (piano)

En donnant la possibilité d’écouter en quelques semaines une brillante galerie de pianistes (Yulianna Avdeeva, Bertrand Chamayou, Lucas Debargue, Benjamin Grosvenor, et, en formation de musique de chambre, Guillaume Bellom, David Fray, David Kadouch, Célia Oneto-Bensaid), le florissant festival « La Vague classique » de Six-Fours (Var) semble peu à peu se rêver en petite Roque d’Anthéron sur mer. Le cadre principal de ces concerts (qui mélangent pour l’essentiel récitals de piano, concerts de musique de chambre et quelques récitals de chant) est celui de la Maison du Cygne, belle bâtisse du début du XXe siècle immergée dans le parc de la Coudoulière, au milieu des pins et des chênes méditerranéens, entourée d’un superbe jardin paysager. La scène est installée en plein air, entre la façade de la maison et un délicat bassin qui rappelle encore, toute proportion gardée, celui sur lequel est aménagée la scène du festival de La Roque d’Anthéron. Disposé en amphithéâtre (sans gradins) sous les pins, le public profite du concert dans un écrin très intime.

 

La première partie du récital du 3 juin, celui du pianiste britannique Benjamin Grosvenor, a lieu sous la douce lumière d’une journée de printemps finissante. Vêtu d’un impeccable smoking, le jeune homme qui n’a pas encore trente-trois ans ouvre son récital par la poésie douce-amère des Intermezzi opus 117 de Brahms, naguère enregistrés pour Decca. L’expérience d’écoute en plein air varie sensiblement : le pianiste est obligé de composer avec les bruits de la nature, le chant des oiseaux et une réverbération plus faible que dans le studio d’enregistrement. En ressort un Brahms décanté de vieil ermite élégant, à moitié misanthrope, à moitié amoureux. D’un toucher de haute lisse, avare de pédale, comme pour mieux écouter, Benjamin Grosvenor goûte une à une les harmonies racées du vieux compositeur, comme autant de fruits rares dont le nombre serait compté. Magnifique entrée en matière !

 

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NDLR : le dernier cd du pianiste BENJAMIN GROSVENOR a obtenu le CLIC de CLASSIQUENEWS printemps 2025 – mai 2025 / Récital CHOPIN : Sonates n°2 et n°3, Nocturnes opus 55 (1 cd DECCA classics) – LIRE ici notre critique complète : https://www.classiquenews.com/critique-cd-chopin-par-benjamin-grosvenor-sonates-n2-et-n3-nocturnes-opus-55-n15-et-16-1-cd-decca-classics-2024/

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Suit la grande Fantaisie de Schumann. Dans le premier mouvement, le pianiste évite toute précipitation, creusant les sonorités et les ruptures, comme si la douleur brisait tous les élans. L’énergie conquérante est réservée au redoutable second mouvement, virtuose et étincelant dans lequel Benjamin Grosvenor lève le voile sur les moyens impressionnants qui sont les siens, sans aucune ostentation toutefois. Le troisième mouvement déploie alors sa sublime cantilène, renouant avec l’idéal du début de récital : celui d’une musique pure, qui émanerait d’un philosophe revenu de tout.

Après l’entracte, alors que s’amorce la seconde partie du concert, la nuit est tombée, les oiseaux se sont tus et les chants des grenouilles ont pris le relais. L’atmosphère est propice à la fantasmagorie des Tableaux d’une exposition ainsi qu’au « pianisme » parfois déconcertant de Moussorgski, a fortiori lorsque la sérénade grimaçante des batraciens se superpose aux lugubres résonances des « Catacombes » ! Benjamin Grosvenor y est partout admirable, dans l’inquiétante étrangeté de « Gnomus » (qui semble de la même famille que Scarbo) ou de la « Cabane sur des pattes de poule », dans l’espièglerie de « Tuileries » parfaitement ciselées, dans la pesanteur désespérée de « Bydlo » ou la mélodie désenchantée du « Vecchio castello » qui se décompose peu à peu. Monumentale, la « Grande porte de Kiev » donne toute la mesure de la puissance du pianiste, qui sait ne jamais être brutal en trouvant un son d’orgues.

Chaleureusement acclamé par le public, le pianiste offre sans se faire prier trois superbes bis, qui montrent les ressources dont il dispose encore à l’issue d’un long récital. Les Jeux d’eau de Ravel d’abord, irisés comme jamais et libres comme l’eau ; une phénoménale Toccata de Prokofiev ensuite, obstinée et implacable comme il se doit ; enfin, le célèbre Prélude en si mineur de Bach revu par Siloti, d’une douceur mélancolique et étreignante. Quel artiste !

 

 

 

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CRITIQUE, récital de piano. SIX-FOURS-LES-PLAGES, Maison du Cygne, le 3 juin 2025. BRAHMS, SCHUMANN, MOUSSORGSKI. Benjamin Grosvenor. Photos © Sixfoursvagueclassique2025

 

 

VIDÉO : Benjamin Grosvenor interprète le Finale de la 3ème Sonate de Chopin

 

 

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CRITIQUE, opéra. MARSEILLE, opéra municipal (du 1er au 10 juin 2025). VERDI : Il Trovatore. T. Illincaï, A. Boudeville, A. Extremo, B. Vasile… Louis Désiré / Michele Spotti

Pour sa nouvelle mise en scène à l’Opéra de Marseille (en coproduction avec celui de Saint-Etienne), le metteur en scène marseillais Louis Désiré signe une production fort sombre et austère d’Il Trovatore de Giuseppe Verdi. Il a délibérément choisi de souligner les aspects oppressants de l’intrigue, en mettant en exergue la noirceur et la brutalité du Comte de Luna et de ses sbires (il est toujours accompagné ici de huit hommes de main particulièrement violents).

 

Le propos est sombre et menaçant, ne ménageant aucune porte de sortie, ce que vient accentuer la scénographie d’un noir oppressant (signés, comme les sombres costumes, par le fidèle Diego Mendez Casariego), constituée de hautes parois sales et rouillées, un peu incurvées à leurs extrémités. Parfois, la paroi centrale se soulève et laisse apparaître un amoncellement de bois mort, évocation du bucher qui est censé être l’épilogue de l’histoire (mais c’est finalement sous les coups des huis sbires que Manrico trouvera la mort…). La mise en scène très noire de Louis Désiré a pour grande vertu de permettre aux chanteurs, dirigés avec beaucoup de soin, de s’exprimer pleinement. L’homme de théâtre français renoue ici avec la sobriété et l’élégance qui sont les vertus cardinales de son travail scénique, et il a eu également la judicieuse idée de s’entourer à nouveau du talentueux Patrick Méeüs pour les lumières (irréelles) du spectacle. Seul élément coloré, le long voile rouge et transparent dont Azucena ne se sépare jamais, comme symbole du crime commis et élément de rappel de la vengeance à perpétrer. Azucena s’en servira, in fine, pour se recouvrir de pied en cap, portant un deuil (et une vengeance !) ensanglanté…

Le ténor roumain Teodor Illincaï incarne un trouvère aussi vaillant que vulnérable. Sa voix au timbre cuivré irradie l’auditorium, notamment dans « Ah sì, ben mio », où il déploie un piano d’une douceur envoûtante. Son « Di quella pira » est un feu d’artifice vocal, culminant sur un contre-ut éclatant qui soulève la salle. Son jeu scénique, empreint de noblesse et de fureur, culmine dans la scène du cachot (« Madre, non dormi ? »), où sa tendresse filiale touche au coeur. La soprano française Angélique Boudeville campe une Leonora d’une élégance tragique. Son « Tacea la notte placida », magnifié par des ornements délicats et des pianissimi de velours, captive par son lyrisme pudique. Dans « D’amor sull’ali rosee », elle distille une poésie aérienne, avant de bouleverser par son sacrifice final – une prestation où la voix épouse chaque frémissement de l’âme.

En vieille gitane dévorée par la vengeance, la mezzo-soprano Aude Extrémo livre une performance électrisante. Son « Stride la vampa ! » est un cri déchirant venu des abîmes, servi par un grave sombre et des médiums incandescents. Sa folie calculée rayonne dans les duos avec Manrico, où elle mêle tendresse maternelle et fureur destructrice – incarnation parfaite du drame verdien. De son côté, le baryton roumain Serban Vasile impose un Comte de Luna d’une autorité vocale impressionnante. « Il balen del suo sorriso » révèle la beauté veloutée de son timbre, tandis que sa fureur jalouse dans les duos avec Leonora possède une tension dramatique palpable. En capitaine loyal, Patrick Bolleire (Ferrando)sa basse profonde et charpentée ouvre l’opéra avec une présence spectrale. Entouré de créatures démoniaques, il incarne le récitant des ténèbres, alliant puissance narrative et agilité physique. Enfin, les comprimari font tous honneur à leurs rôles respectifs.

À la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Marseille, leur directeur musical Michele Spotti déploie une direction aussi précise que passionnée. Son approche dynamique souligne la noirceur et la fulgurance de la partition de Verdi, des cuivres guerriers du chœur des soldats aux cordes envoûtantes du Miserere. Sous sa baguette, la fameuse « scène des forgerons » explose en un tourbillon rythmique, transformant la scène en une ruche sonore où le chœur, véritable acteur, mêle chant précis et chorégraphies synchronisées. Ils sont portés en triomphe comme l’ensemble des artisans de cette superbe soirée verdienne !

 

 

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CRITIQUE, opéra. MARSEILLE, opéra municipal (du 1er au 10 juin 2025). VERDI : Il Trovatore. T. Illincaï, A. Boudeville, A. Extremo, B. Vasile… Louis Désiré / Michele Spotti. Crédit photo (c) Christian Dresse

 

 

CRITIQUE, concert. ORCHESTRE NATIONAL de LILLE, le 4 juin 2025. R. STRAUSS, MOZART, MOUSSORGSKI… David Reiland (direction)

Le dernier grand programme symphonique de l’Orchestre National de Lille dans le cadre de sa saison 2024-2025 se déroule ce soir hors les murs, sur la scène du Théâtre Sébastopol. Sa résidence habituelle au Nouveau Siècle est en travaux jusqu’à septembre 2026. Une réouverture prochaine d’autant plus espérée que la phalange fêtera alors ses… 50 ans.

 

 

Pour l’heure, les lillois retrouvent leur orchestre en grand effectif d’abord pour la Suite de valses n°1 du Chevalier à la rose de Richard Strauss, … un résumé de l’opéra en moins de 15 mn dont le chef invité exprime la charge débridée, l’expressivité parodique, son côté plus baron Ochs que La Maréchale (et la suavité subtilement nostalgique propre à son personnage)… grâce à des cuivres et une harmonie au top. On regrette juste que les sublimes valses manquent de cet abandon ciselé entre élégance et mélancolie, …

 

Pour la seconde pièce (le Concerto pour flûte et harpe de Mozart, 1778) l’effectif s’allège offrant un Mozart vif et souple, où brillent en particulier les deux solistes provenant des pupitres mêmes de l’Orchestre. Le flûtiste Clément Dufour et la harpiste Anne Le Roy Petit dévoilent une somptueuse virtuosité individuelle qui sait aussi s’accorder et convaincre par sa complicité sobre et nuancée ; leur performance indique clairement le très haut niveau musical actuel des instrumentistes de l’Orchestre. Ils ressuscitent le duo des commanditaires, le duc de Guînes, et sa fille harpiste, tous deux excellents musiciens de l’aveu même de Wolfgang qui sait les mettre en avant, en ménageant de superbes parties solistes à deux voix, uniquement accompagnés par les cordes.
Mozart y excelle en accordant brio et délicatesse ; son écriture exige autant de technicité que de nuances, d’agilité que de phrasés… Du miel pour de grands interprètes ; ce que sont les deux solistes requis : ils maîtrisent d’autant plus cette suprême élégance française, et l’art de la conversation galante, que dans le bis [« entracte » de Jacques Ibert] flûte et harpe rivalisent dans une même complicité réjouissante, en subtilité comme en souplesse. Photo ci-dessus : Le flûtiste Clément Dufour et la harpiste Anne Le Roy Petit © Ugo Ponte.

Clément Dufour et Anne Le Roy Petit © ON LILLE

 

 

 

Après la pause, le chef que l’on a remarqué en fin mozartien décidément [il dirigeait alors « son » Orchestre National de Metz Grand Est dont il est le directeur musical] réussit haut la main, les Tableaux d’une exposition de Moussorgski… Le travail sur l’équilibre des timbres, la plasticité individualisée des instruments solistes, la pâte globale, la cohésion et la progression d’ensemble produisent de superbes instants, explorant avec beaucoup de finesse, l’orchestration à la fois puissante et suave qu’a parfait Ravel [en 1922 pour Koussevitzsky], à partir de la partition originelle de Moussorgski pour piano. Y éblouissent le choix génial des timbres, les associations instrumentales magiciennes à la fois saisissantes et enivrantes…Ne serait-ce que le solo sublime de mordant, à la fois sensuel et lugubre du formidable saxo alto au début d’ « Il Vecchio Castello »…

Le chef tout en exprimant la sensualité, le souffle épique, le vertige nostalgique, la charge grotesque des tableaux qu’imagine Moussorgski en hommage à son ami le peintre et architecte Viktor Hartman, sait construire la succession des 10 séquences comme un ample portique aux contrastes spectaculaires dont le dramatisme profite évidement de son travail comme compositeur d’opéras. On pense évidemment à Boris Godounov au final du tableau de la taverne et, précédemment à la scène [monstrueuse] du couronnement et ses cloches solennelles… Mais c’est ici l’éloquente maîtrise des musiciens lillois qui fait entrevoir l’équilibre souterrain, la cohésion structurelle de l’œuvre : son plan parfait comme en symétrie qui place en son centre le poétique et le parodique [le ballet des poussins dans leurs coques], le social et le rêve parfois cauchemardesque [en éléments medians : respectivement, « Tuileries », « Il Vecchio Castello »], enfin aux extrémités, la noblesse et la majesté des thèmes principaux [diverses promenades et l’arche finale majestueux, la grandiose porte de Kiev…].

Aux côtés des trouvailles mélodiques et de la puissante architecture que suscite l’agencement des séquences telles que laissées par Moussorgski en 1874, les instrumentistes ce soir régalent les auditeurs en ciselant la somptueuse parure que Ravel a su développer à partir du manuscrit source pour piano.
Superbe bain de couleurs et de nappes harmoniques, d’atmosphère vaporeuses et terrifiantes et d’un souffle onirique magistral… Il revient au chef et aux musiciens dans cette seconde partie, d’enivrer les auditeurs et de leur offrir ce festival sonore, généreux en sublimes alliances de timbres dont le chef invité souligne avec éclat et clarté, la nature opératique comme l’élan et la vitalité chorégraphique ; on s’étonne d’ailleurs que la version Ravel n’ait pas encore suscité davantage de ballets…

 

 

 

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Prochain événement de l’Orchestre National de Lille : Les Sept péchés capitaux de KURT WEILL, dans le cadre de ses « Nuits d’été », 2 soirées incontournables les 8 et 9 juillet prochains, au Casino Barrière à Lille : LIRE notre présentation de cette production événement estivale à LILLE : https://www.classiquenews.com/onl-orchestre-national-de-lille-nuits-dete-8-et-9-juil-2025-kurt-weill-les-7-peches-capitaux-joshua-weilerstein/

Plus d’infos sur le site de l’ORCHESTRE NATIONAL DE LILLE : https://onlille.com/choisir-un-concert/categories/les-nuits-dete-2

Rendez-vous est déjà pris aussi pour la saison prochaine 2025 2026 ; une saison prometteuse hors les murs (https://onlille.com/) donc sous la direction artistique du directeur musical de la phalange Lilloise, l’excellent et perfectionniste Joshua Weilerstein. A suivre

 

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Précédente critique de l’Orchestre National de Lille :
Compte-rendu ORCHESTRE NATIONAL DE LILLE – LILLE, Nouveau siècle, le 16 mars 2025. Un survivant de Varsovie : Schoënberg (Lambert Wilson, récitant), Chostakovitch (Symphonie n°13, « Babi Yar » – Dmitry Belosselskiy, basse), Joshua WEILERSTEIN, direction.
https://www.classiquenews.com/critique-concert-orchestre-national-de-lille-lille-nouveau-siecle-le-16-mars-2025-un-survivant-de-varsovie-schoenberg-lambert-wilson-recitant-chostakovitch-symphonie-n13-ba/
Précédente critique David Reiland :
https://www.classiquenews.com/compte-rendu-critique-concert-metz-arsenal-le-22-nov-2019-mozart-ravel-orchestre-national-de-lorraine-david-reiland/
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CRITIQUE, festival. VILLENEUVE-LES-MAGUELONE, 42ème Festival de Musique Ancienne, le 3 juin 2025. VIVALDI : Les 4 Saisons. Ensemble Gli Incogniti, Amandine Beyer (direction)

Ce mardi 3 juin 2025, la Cathédrale de Maguelone – joyau architectural posé entre étangs scintillants et pinède méditerranéenne – a vibré aux accents du baroque italien pour l’ouverture du 42ᵉ Festival de Musique Ancienne. Nichée dans son écrin naturel, cette basilique romane, réputée pour son acoustique exceptionnelle et son aura historique, accueillait l’ensemble Gli Incogniti, emmené par la violoniste virtuose Amandine Beyer. Le programme, entièrement dédié à Antonio Vivaldi à l’occasion du tricentenaire des Quatre Saisons (1725), a comblé un public venu en nombre, témoignant de la vitalité d’un festival qui, malgré les défis financiers, « amorce un cap nouveau » sous la direction artistique de Sylvain Sartre, co-fondateur et co-directeur musical de l’ensemble Les Ombres.

 

Dès les premières mesures de l’Ouverture de L’Olimpiade (RV 725), l’alchimie entre le lieu et la musique s’est imposée. Composé en 1734 sur le livret de Pietro Metastasio, cet opéra-seria déploie une intrigue amoureuse complexe mêlant jeux olympiques antiques, quiproquos et trahisons. Sous l’archet inspiré d’Amandine Beyer, l’ouverture a révélé toute sa théâtralité : les violons (Alba Roca, Yoko Kawakubo) ont tissé des dialogues vifs, soulignés par le continuo de Francesco Romano au théorbe et Christian Saude à l’alto, restituant l’effervescence des jeux olympiques. Gli Incogniti a ensuite donné à entendre le Concerto pour violoncelle RV 421, du même Vivaldi, interprété ici par Marco Ceccato. Ce moment d’intimité a révélé la profondeur méconnue de Vivaldi ; dans le Largo, le violoncelle de Ceccato a déployé un chant poignant, presque vocal, porté par un continuo discret (clavecin d’Anna Fontana, théorbe et alto). Les deux Allegro encadrants ont fait scintiller sa technique époustouflante, avec des arpèges en tempête et une précision rythmique galvanisante.

Mais le point d’orgue de la soirée était bien sûr l’exécution des Quatre Saisons, qui a tenu sa promesse de célébration de son tricentenaire. Amandine Beyer, en soliste et cheffe, a offert une relecture audacieuse et poétique de ce monument. Jouant sur un violon monté en boyaux, avec un archet baroque, elle a restitué la palette originelle des affects : le frisson de l’hiver (L’Inverno), la fièvre de l’été (L’Estate), et la tendresse printanière (La Primavera) ont retrouvé leur rugosité et leur grâce premières. Les « effetti speciali » vivaldiens – grêlons (pizzicati secs), orage (gammes en rafales), cri de l’oiseau (trilles aigus) – ont été soulignés avec une narration théâtrale, sans jamais tomber dans la caricature. Les musiciens, en cercle serré, ont joué « d’oreille », privilégiant l’écoute mutuelle aux gestes directives, pour un résultat d’une fluidité organique. Cette version, saluée comme « de référence » depuis sa recréation par Gli Incogniti il y a dix ans, a confirmé son statut de classique intemporel.

Ce concert inaugural, hommage éblouissant à Vivaldi, ouvre une édition 2025 placée sous le signe de l’Italie, « terre fertile du baroque ». Avec des rendez-vous à venir – conférence d’Olivier Fourès (« Les Quatre Saisons : une histoire sans fin », le 7 juin), récital du duo Salzenstein-Roussel, clôture par le Poème Harmonique (et la mezzo Isabelle Druet), le festival promet dix jours d’ivresse musicale !…

 

 

 

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CRITIQUE, festival. VILLENEUVE-LES-MAGUELONE, 42ème Festival de Musique Ancienne, le 3 juin 2025. VIVALDI : Les 4 Saisons. Ensemble Gli Incogniti, Amandine Beyer (direction). Crédit photo (c) Emmanuel Andrieu

 

 

VIDEO : Amandine Beyer interprète « Les 4 Saisons » de Vivaldi à la tête de son ensemble Gli Incogniti

STREAMING, opéra. RAVEL : L’heure ESPAGNOLE / PUCCINI : Gianni Schicchi. Ven 13 juin 2025. Moshe Leiser et Patrice Caurier /Michele Spotti [Les Arts Valencia, mai 2025]

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Deux opéras comiques dont la portée est aussi philosophique que poétique : chez Ravel, la femme d’un horloger profite de l’absence de son mari pour laisser entrer ses amants [et les cacher dans les horloges de la maison… configuration quasi surréaliste] ; chez Puccini, on dit adieu à la morale et au respect dû au défunt, lorsqu’une famille d’apparence pieuse découvre qu’elle a été déshéritée.

 

Si ces déboires conjugaux et cette famille déchirée pourraient tout à fait être matière à tragédie, c’est en leurs aspects comiques, savamment orchestrés par Ravel et Puccini, que réside leur qualité de joyaux lyriques du début du 20ème siècle. Courts mais intenses, justes voire fulgurant, ils renseignent mieux que tout conference ou colloque sur la réalité de la psychologie humaine.

La nouvelle production de ce double programme au Palau de les Arts de Valancia est mise en scène par le duo belgo-français Moshe Leiser et Patrice Caurier, sollicités dans le monde entier depuis leurs débuts à Covent Garden en 2001. Leur approche contemporaine parvient à rapprocher les œuvres du public d’aujourd’hui sans jamais dénaturer les éléments dramatiques originaux. Souvent actualisant et sujet d’une recherche approfondie de vraisemblance théâtrale, leur travail intensifie réalisme et poésie.

La distribution dirigée par Michele Spotti, réunit notamment le baryton italien Ambrogio Maestri, la soprano valencienne Marina Monzó, le ténor péruvien Iván Ayón-Rivas et la mezzo-soprano franco-suisse Eve-Maud Hubeaux,… Tous se produisent aux côtés de jeunes talents issus du Centre de Perfeccionament, le studio d’opéra du Palau de les Arts de Valencia.

 

 

 

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Maurice Ravel : L’heure espagnole
Puccini : Giovanni Schicchi
Diffusé vendredi 13 juin 2025 à 19h cet
EN REPLAY JUSQU’AU 13 déc 2025 à 12h CET
Enregistré Le 2 mai 2025
VOIR le streaming opera : https://operavision.eu/fr/performance/lheure-espagnole-gianni-schicchi

Chantés en italien, français
Sous-titres en italien, anglais, espagnol, français

 

 

DISTRIBUTION
Orquestra de la Comunitat Valenciana

Mise en scène : Moshe Leiser & Patrice Caurier
Direction musicale : Michele Spotti

Décors : Alain Lagarde
Costumes : Agostino Cavalca
Concepteur lumière : Christophe Forey

 

 

RAVEL
L’Heure espagnole

Concepción : Eve-Maud Hubeaux
Gonzalve : Iván Ayón Rivas
Torquemada : Mikeldi Atxalandabaso
Ramiro : Armando Noguera
Don Íñigo de Gómez : Manuel Fuentes

Musique : Maurice Ravel
Texte : Franc-Nohain


 

 

PUCCINI
Gianni Schicchi

Gianni SCHICCHI : Ambrogio Maestri
Lauretta : Marina Monzó
Zita : Elena Zilio
Rinuccio : Iván Ayón Rivas
Gerardo : Mikeldi Atxalandabaso
Nella : Holly Brown
Gherardino : Damián Augusto Fernández
Betto di Signa : Manuel Fuentes
Simone : Giacomo Prestia
Marco : Bryan Sala
La Ciesca : Laura Fleur
Maestro Spinelloccio : Tomeu Bibiloni
Ser Amantio di Nicola : Daniel Gallegos
Pinellino : Irakli Pkhaladze
Gucci : Javier Agudo

Musique v Giacomo Puccini
Texte : Giovacchino Forzano

 

CRITIQUE, opéra. NICE, Théâtre de l’Opéra, le 1er juin 2025. BIZET : Carmen. R. Zaharia, J.F. Borras, P. Madoeuf, J. F. Setti… Daniel Benoin / Lionel Bringuier

L’Opéra Nice Côte d’Azur clôt sa saison en apothéose avec une production de Carmen de Georges Bizet qui transcende le folklore andalou pour plonger dans les fracas de la guerre civile espagnole de 1936. Sous la direction visionnaire de Daniel Benoin et la baguette électrisante du Niçois Lionel Bringuier, cette reprise célèbre les 150 ans de l’œuvre avec une audace à la fois politique et sensuelle …

 

Le metteur en scène Daniel Benoin ancre l’intrigue dans l’été 1936, où Séville bascule sous le joug franquiste. Ce choix scénique transforme la quête de liberté de Carmen en un symbole de résistance collective. Des décors symboliques – des sacs de sable, un portrait de Franco et des uniformes militaires (costumes de Nathalie Bérard-Benoin) – créent un climat d’oppression. Au II, la taverne de Lillas Pastia devient un repaire de contrebandiers républicains, où pendent jambons et tonneaux comme des armes de survie. Pendant les Interludes, des vidéos signées par Paulo Correia projettent des archives historiques et des symboles (pétales de fleurs, lune blafarde) qui dialoguent avec l’orchestre. À l’acte IV, la statue de la Vierge surplombe l’arène, transformant le meurtre de Carmen en sacrifice ritualisé. Cette production ne se contente pas de divertir : elle interroge et électrise. En ancrant Carmen dans la guerre civile, Benoin révèle la modernité brûlante du message de liberté – « La liberté ! La liberté ! » clame le choeur (à fin du II) comme un manifeste !

Dans le rôle-titre, la mezzo roumaine Ramona Zaharia – habituée de scènes comme le Metropolitan Opera de New-York et le Covent Garden de Londres – incarne une Carmen sauvage et stratège. Son timbre aux graves abyssaux se pare d’un vibrato charnu, tandis que ses aigus fusent comme des javelots. En Carmen “pistolera” (acte I), elle mêle sensualité et dangerosité. Sa scène des cartes (« En vain pour éviter« ) est un moment de vulnérabilité déchirante, où le portando souligne chaque syllabe comme une prémonition funèbre.

Face à elle, Jean-François Borras campe un Don José lyrique et dévasté. Sa voix ronde et puissante explose dans le fameux air « La fleur que tu m’avais jetée« , culminant en un superbe diminuendo. Son incarnation physique de la chute – du soldat rigide à l’homme brisé – rend la tragédie palpable, et sa diction de notre idiome, d’une minutie chirurgicale, magnifie le livret. Perrine Madoeuf offre une Micaëla lumineuse et courageuse. Son « Je dis que rien ne m’épouvante » est couronné par des aigus lumineux et une présence scénique qui dépasse le cliché de l’ingénue. Jean-Fernand Setti, en Escamillo, incarne l’arrogance virile du torero. Son « Votre toast » est porté par des graves de rocaille et une projection qui domine l’orchestre sans effort. Charlotte Bonnet (Frasquita) et Lamia Beuque (Mercédès) captent la lumière lors de la « scène des cartes”, mêlant comédie et pressentiments tragiques. Guilhem Worms (Zuniga) impose une autorité martiale glaçante, obsédé par la “bagatelle” (qu’il n’envisage que de manière violente…). Enfin, Jean-Gabriel Saint-Martin (Dancaïre), Nestor Galvan (Remendado) et Richard Alexandre Rittlelmann (Morales) brillent chacun dans leur partie respective. 

Directeur musical de l’Opéra Nice Côte d’Azur, le niçois Lionel Bringuier dirige l’Orchestre Philharmonique de Nice avec une énergie cinétique qui épouse toutes les nuances de la partition de Bizet. On est captivés par les nombreux soli envoûtants – la flûte d’Isabelle Demourioux et le cor anglais de Diane Favreau (introduction de « La fleur« ) – qui tissent des lignes poignantes. Le chœur “maison” (préparé par Giulio Magnanini) explose dans les scènes de foule (acte II), tandis que le Chœur d’enfants de l’Opéra de Nice (préparé par Philippe Négrel) ajoute une innocence troublante.

Bref, une fin de saison niçoise en apothéose !

 

 

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CRITIQUE, opéra. NICE, Théâtre de l’Opéra, le 1er juin 2025. BIZET : Carmen. R. Zaharia, J.F. Borras, P. Madoeuf, J. F. Setti… Daniel Benoin / Lionel Bringuier. Crédit photographique © Dominique Jaussein

 

 

VIDÉO : Teaser de Carmen selon Daniel Benoin à l’Opéra Nice Côte d’azur

 

 

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CRITIQUE CD événement. INSIEME: Schubert 4 hands piano music / Schubert : musique pour piano à 4 mains. Monica Leone, Michele Campanella, pianos (1 cd Odradek, 2008)

Belle révélation que cette partie encore méconnue du catalogue Schubertien : ses oeuvres pour 4 mains. Les deux interprètes Monica Leone, Michele Campanella (époux à la ville, complices à la scène) dévoilent la finesse, l‘élégance, la facétie (rossinienne) comme la gravité (mozartienne) étonnante de pièces qui égalent par leur intelligence expressive les autres formes (magistralement servies par Franz : de sa musique de chambre à ses Sonates et autres pièces pour piano seul). Ils abordent le corpus dans sa diversité, depuis le début et la fin des années 1810 (1811 : Fantaisie D9 puis de 1818 : Polonaises, danse et Ländler, sans omettre les 6 Grandes Marches) jusqu’aux ultimes années de composition (1828 : évidemment la sublime et très ambitieuse Fantaisie D 940, le Rondo D951, et la Fugue D952…). L’ambitus stylistique (et chronologique) qui distancie les deux Fantaisies (D9 de 1811 et D950 de 1828), révèle la saisissante maturité musicale de Schubert en 17 ans.
A l’école de la profondeur et de la connivence, les deux pianistes excellent, ajoutant une once d’humour ou de détachement nuancé selon le caractère requis.

 

 

CD1
Pièce majeure du cycle et sur le plan chronologique, accomplissement captivant, la Fantaisie D 940 saisit par sa maturité éloquente, sa simplicité expressive, sa profondeur bouleversante ; les 2 interprètes agissent en parfaite communion, comme deux coeurs d’une même âme, traversant une série de paysages intérieurs – la sobriété n’empêche pas l’expression d’une profonde blessure ni la volonté intime de s’immerger dans la psyché au plus profond du ressentiment comme un questionnement radical ; libre mais d’une justesse essentielle, le jeu exprime et la gravité désillusionnée du début, et l’allégresse comme printanière du 2è Allegro (noté « vivace ») ; surtout, la réexposition du Tempo I (dernier mouvement) pénètre dans le mystère et la vérité la plus personnelle (6 dernières minutes) avec une retenue complice qui cible la grâce et la volonté de résilience, dans le fugato final. Le parcours est éprouvant, de haute lutte dans un jeu engagé, contrasté, sobre et droit.

Les 4 Polonaises jouent très habilement des contrastes, le caractère nerveux, et la fluidité dansante de chaque séquence, ainsi énoncée comme une chanson populaire ; l’esprit de romance doucement nostalgique de la 2ème met en lumière la sobriété du jeu ; les Polonaises sonnent comme des épures au charme vivifié par le naturel et le dépouillement du jeu. Leur entrain rappelant l’élégance et la simplicité mozartienne, une bonhommie non exempte de sincérité.
Même approche à la fois naturelle, ciselée et presque dépouillée de la Danse allemande dont les 2 pianistes soulignent l’expressivité et l’acuité rythmique jusqu’au final réalisé dans un crescendo fougueux.
Suivent enfin, deux pièces de choix ; ambitieuses par leur développement qui dépasse les 10 mn ; d’abord le Rondo D951 (1828) d’une tendresse tranquille, douceur , conçu comme une berceuse ; et les 8 Variations D813 (de 1824) confirme la sensibilité et la profondeur d’un Schubert qui absorbe le dernier Beethoven (ses Diabelli). L’élégance dansante, l’équilibre romantique de l’écriture, experte, audacieuse (contrepoint affûté dans les notes aiguës) et cette conscience qui affleure sans jamais épaissir le flux musical sont parfaitement compris des deux pianistes.

 

 

CD2
Les Grandes marches D819, affichent malgré leur construction et leur rythme un rien militaire, un franc et lumineux sourire; cet escalier pianistique, ample et fermement énoncé, cultive en réalité la richesse de dialogues, expositions, réponses, reprises et variations : les deux pianistes, excellents dans l’alternance brillante et grave, déterminée / conquérante, puis soudainement triste et d’une insondable et langoureuse nostalgie, en expriment aussi la vitalité dansante ; maîtres des contrastes, ils savent diversifier et ciseler pour chaque séquence, jeu et caractère ; d’une clarté vif argent (3) – tout en facétie pré rossinienne (4) – à travers les multiples reprises, se réalise tout un cycle aux jeux croisés qui favorise l’entente et l’écoute fraternelle.
En nuances plus ténues, et dans le ton de la confession, la 5 (la plus développée) se fait plus sombre, d’une couleur introspective voire mélancolique. Et dans son flux énoncé avec retenue et mesure, une ampleur grave parfois glaçante s’affirme que tempère dans sa partie médiane, une échappée, chantante, libérée de toute entrave et pensée noire… mais la reprise finale réaffirme la puissance du sentiment tragique, désormais enveloppée dans une acceptation ciselée. Tout Schubert est là : dans ce détachement apparent, cette pudeur égale qui cachent en réalité des gouffres vertigineux, pensés, acceptés, résolus.

Malgré sa précocité dans la chronologie, la première Fantaisie du programme et la plus ancienne (D9) affirme véhémence, gravité, passages et revirements harmoniques qui produisant un caractère d’étrangeté, voire de climat panique ; dès 1818, Schubert est capable d’édifier des cathédrales vertigineuses… En jouant sur la résonance et la matérialité du son (accords initiaux, puis leur reprise) jusqu’à l’ultime accord, d’une noblesse noire, profonde…, le duo de pianistes touchent à l’essentiel chez Schubert : sa sobre fulgurance, sa franchise intime.

Le Rondo D608 (1818), est quant à lui, d’une insouciance mozartienne, d’une tendresse facétieuse qui gomme toute tension, – énoncé comme une cavatine …, avec sa partie harmoniquement plus sombre, et cet effet de vertige et d’ivresse intérieure propre au grand Schubert – La lecture qu’en réalisent Monica Leone et Michele Campanella en est d’autant plus naturelle et juste qu’ils l’abordent telle une divagation libre, comme improvisée.

D’autres réalisations sont probablement à venir car ne figurent pas dans ce déjà cycle décisif et très convaincant, plusieurs pièces de choix telles la « Grande Sonate » D617 (1818), ou le grand Duo de 1824… A suivre.

 

 

 

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CRITIQUE, CD événement. INSIEME: Schubert 4 hands piano music. Monica Leone, Michele Campanella, pianos (1 cd Odradek, 2008) – ODRCD469 -UPC : 810042704695 – parution fin avril 2025 – CLIC de CLASSIQUENEWS printemps 2025;
PLUS D’INFOS sur le site de l’éditeur italien Odradek records : https://odradek-records.com/release/michele-campanella-monica-leone-insieme-schubert-4-hands-piano-music/
LIRE aussi notre annonce du cd INSIEME / SCHUBERT par Monica Leone, Michele Campanella (Odradek, 2008) : https://www.classiquenews.com/cd-evenement-annonce-insieme-schubert-4-hands-piano-music-monica-leone-michele-campanella-pianos-1-cd-odradek-2008/

 

 

CD événement annonce. INSIEME: Schubert 4 hands piano music. Monica Leone, Michele Campanella, pianos (1 cd Odradek, 2008)

 

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CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle-aux-Grains, le 28 mai 2025. CHOSTAKOVITCH / BRUCKNER. Sol Gabetta (violoncelle), Orchestre de la Staatskapelle de Dresde, Tugan Sokhiev (direction)

L’orchestre invité par Les Grands Interprètes à la Halle-aux-Grains de Toulouse n’est pas comme les autres car la Staatskapelle Dresden… est le plus ancien du monde (1548) ! Sa sonorité reste unique et garde une excellence quasi indescriptible. La soliste Sol Gabetta (avec son violoncelle Goffriller) trouve des sonorités uniques. Sa musicalité est si personnelle qu’elle enivre l’auditeur le plus exigeant dans son immense répertoire. Le chef ossète Tugan Sokhiev est l’un des plus aimés tant des critiques que du public, ainsi que des orchestres en raison d’un engagement envers les musiciens hors du commun. Le programme de ce concert est par ailleurs d’une grande richesse : le Premier Concerto pour violoncelle de Dmitri Chostakovitch et la Septième Symphonie d’Anton Bruckner. 

 

Dernier concert d’une tournée internationale, l’émotion était à son comble d’autant que Tugan Sokhiev retrouvait son public toulousain tant aimé. Dès les premières notes du Concerto de Chostakovitch, il est certain que l’interprétation sera inoubliable. Avec une musicalité suprême, Sol Gabetta s’empare de cette partition exigeante pour la faire chanter, vibrer, tonner, rugir ou languir. Elle renouvelle cette œuvre si spectaculaire écrite pour Rostropovitch en 1959. La beauté de ses sonorités comme de ses phrasés nous ensorcelle. Les nuances sont d’une subtilité extrême. La noirceur de certains passages n’en est que plus inquiétante. Tugan Sokhiev met les splendeurs de l’orchestration de Chostakovitch au service de cette version si personnelle du Concerto, lui aussi nuançant admirablement et en obtenant de l’orchestre des sonorités sublimes ou effrayantes. Le succès est retentissant et Sol Gabetta, avec le célesta, très à l’honneur dans cette partition, va donner un bis très original adapté d’un chant populaire de De Falla.  

La deuxième partie du concert nous entraîne dans le monde simple et grandiose de Bruckner. Cette vaste symphonie va devenir une ode hédoniste à la nature et sa sublime grandeur. La Staatskapelle de Dresde va éblouir encore davantage par des sonorités incroyablement riches. Les cordes ont une solidité et une chaleur sublimes. Les bois plus frais que ronds offrent un complément de couleurs passionnant.  Mais ce sont les cuivres qui ont une présence terriblement efficace dans cette partition qui les met à l’honneur. Le cor solo offre des moments de pure merveille, et les tutti de cuivres sont majestueux et magnifiques. La direction de Tugan Sokhiev, à main nue, sculpte le son avec une élégance infinie. Les gestes sont de plus en plus évidents, et la musique semble sortir de ses mains. Tugan Sokhiev, qui connaît parfaitement les qualités et les défauts acoustiques de la Halle-aux-Grains, construit des nuances d’une extraordinaire subtilité arrivant à des forte terrifiants sans jamais saturer. 

Le public conscient de la splendeur de cette interprétation fait un triomphe aux interprètes. Rarement Les Grands Interprètes n’auront si bien mérité leur nom, et l’excellence qu’il contient. L’an prochain, Les Grands Interprètes fêteront leurs 40 ans avec faste. De très nombreux concerts porteront les marques de cette excellence !

 

 

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CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle-aux-grains, le 28 mai 2025. CHOSTAKOVITCH / BRUCKNER. Sol Gabetta (violoncelle), Orchestre de la Staatskapelle de Dresde, Tugan Sokhiev (direction). Crédit photo (c) Hubert Stoecklin

 

 

CRITIQUE, concert. MONTPELLIER, Opéra Comédie, le 30 mai 2025. BACH / BEETHOVEN / WEBER. ONMO, Liubov Nosova (direction)

La superbe salle de l’Opéra Comédie de Montpellier a vibré, ce vendredi 30 mai, d’une émotion rare et d’une maîtrise musicale exceptionnelle. Placée sous la baguette inspirée et précise de la jeune cheffe russe Liubov Nosova, deuxième Prix du prestigieux concours La Maestra 2024, l’Orchestre national Montpellier Occitanie a offert au public un voyage sonore d’une cohérence et d’une beauté saisissantes.

 

Dès les premières mesures de l’Ouverture du Freischütz de Carl Maria von Weber, le ton était donné. Liubov Nosova, d’une présence à la fois ferme et gracieuse, a su extraire de l’orchestre toute la tension dramatique et l’évocation mystérieuse de ce chef-d’œuvre romantique. Les contrastes étaient parfaitement maîtrisés : les cuivres éclatants annonçant le destin, les cordes tourbillonnantes évoquant la forêt inquiétante, et les moments de douceur lyrique apportés par les bois avec une poésie remarquable. La construction de l’œuvre était implacable, menant à une coda électrisante qui a suscité un frisson immédiat dans l’auditoire.

Le voyage s’est poursuivi avec une immersion dans la nature apaisante grâce à un extrait de la Symphonie n°6 « dite Pastorale »de Ludwig van Beethoven. Sous la direction attentive de Nosova, l’orchestre a déployé un bain sonore d’une clarté et d’une sérénité lumineuses. La cheffe a merveilleusement capturé l’esprit bucolique de l’œuvre, privilégiant des phrasés fluides et une palette de couleurs délicates. Les dialogues entre les pupitres (le chant des bois, le murmure des cordes) étaient d’une fluidité et d’une complicité évidentes, témoignant d’un travail d’orfèvre en amont. On retiendra particulièrement la pureté des lignes mélodiques et l’équilibre parfait entre puissance et douceur, restituant toute la gratitude de Beethoven envers la nature.

L’apothéose est venue dans la pureté intemporelle avec l’Air de la Suite n°3 en ré majeur BWV 1068 de Johann Sebastian Bach. Ce moment de grâce absolue, confié principalement aux cordes, a été traité par Nosova avec une sensibilité et une retenue magnifiques. Le tempo, idéalement choisi, laissait respirer chaque note, chaque silence. Les archets ont tissé un tapis sonore d’une douceur et d’une profondeur émouvantes, mettant en valeur la simplicité sublime de la mélodie. La direction de Nosova, minimale et pourtant si présente, a guidé l’orchestre vers une interprétation d’une sérénité et d’une élévation spirituelle qui a littéralement suspendu le temps. Un moment de pur ravissement où la salle semblait retenir son souffle.

Liubov Nosova a démontré tout au long de ce programme éclectique une maîtrise technique incontestable et une intelligence musicale profonde. Sa direction, à la fois minutieuse dans les détails et ample dans la vision d’ensemble, a révélé une véritable alchimie avec l’Orchestre national Montpellier Occitanie. Les musiciens, visiblement réceptifs et engagés, ont répondu avec une précision, une souplesse et une chaleur sonore remarquables, soulignant la qualité de ce partenariat naissant. Son prix à La Maestra n’était pas seulement confirmé, il était transcendé par une maturité artistique impressionnante. L’émotion palpable qui régnait dans la salle comble à la fin du concert, suivie d’acclamations chaleureuses et prolongées, était la plus belle des récompenses !

 

 

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CRITIQUE, concert. MONTPELLIER, Opéra Comédie, le 30 mai 2025. BACH / BEETHOVEN / WEBER. ONMO, Liubov Nosova (direction). Crédit photo (c) OONM