vendredi 13 juin 2025

CRITIQUE, opéra. MARSEILLE, opéra municipal (du 1er au 10 juin 2025). VERDI : Il Trovatore. T. Illincaï, A. Boudeville, A. Extremo, B. Vasile… Louis Désiré / Michele Spotti

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

Pour sa nouvelle mise en scène à l’Opéra de Marseille (en coproduction avec celui de Saint-Etienne), le metteur en scène marseillais Louis Désiré signe une production fort sombre et austère d’Il Trovatore de Giuseppe Verdi. Il a délibérément choisi de souligner les aspects oppressants de l’intrigue, en mettant en exergue la noirceur et la brutalité du Comte de Luna et de ses sbires (il est toujours accompagné ici de huit hommes de main particulièrement violents).

 

Le propos est sombre et menaçant, ne ménageant aucune porte de sortie, ce que vient accentuer la scénographie d’un noir oppressant (signés, comme les sombres costumes, par le fidèle Diego Mendez Casariego), constituée de hautes parois sales et rouillées, un peu incurvées à leurs extrémités. Parfois, la paroi centrale se soulève et laisse apparaître un amoncellement de bois mort, évocation du bucher qui est censé être l’épilogue de l’histoire (mais c’est finalement sous les coups des huis sbires que Manrico trouvera la mort…). La mise en scène très noire de Louis Désiré a pour grande vertu de permettre aux chanteurs, dirigés avec beaucoup de soin, de s’exprimer pleinement. L’homme de théâtre français renoue ici avec la sobriété et l’élégance qui sont les vertus cardinales de son travail scénique, et il a eu également la judicieuse idée de s’entourer à nouveau du talentueux Patrick Méeüs pour les lumières (irréelles) du spectacle. Seul élément coloré, le long voile rouge et transparent dont Azucena ne se sépare jamais, comme symbole du crime commis et élément de rappel de la vengeance à perpétrer. Azucena s’en servira, in fine, pour se recouvrir de pied en cap, portant un deuil (et une vengeance !) ensanglanté…

Le ténor roumain Teodor Illincaï incarne un trouvère aussi vaillant que vulnérable. Sa voix au timbre cuivré irradie l’auditorium, notamment dans « Ah sì, ben mio », où il déploie un piano d’une douceur envoûtante. Son « Di quella pira » est un feu d’artifice vocal, culminant sur un contre-ut éclatant qui soulève la salle. Son jeu scénique, empreint de noblesse et de fureur, culmine dans la scène du cachot (« Madre, non dormi ? »), où sa tendresse filiale touche au coeur. La soprano française Angélique Boudeville campe une Leonora d’une élégance tragique. Son « Tacea la notte placida », magnifié par des ornements délicats et des pianissimi de velours, captive par son lyrisme pudique. Dans « D’amor sull’ali rosee », elle distille une poésie aérienne, avant de bouleverser par son sacrifice final – une prestation où la voix épouse chaque frémissement de l’âme.

En vieille gitane dévorée par la vengeance, la mezzo-soprano Aude Extrémo livre une performance électrisante. Son « Stride la vampa ! » est un cri déchirant venu des abîmes, servi par un grave sombre et des médiums incandescents. Sa folie calculée rayonne dans les duos avec Manrico, où elle mêle tendresse maternelle et fureur destructrice – incarnation parfaite du drame verdien. De son côté, le baryton roumain Serban Vasile impose un Comte de Luna d’une autorité vocale impressionnante. « Il balen del suo sorriso » révèle la beauté veloutée de son timbre, tandis que sa fureur jalouse dans les duos avec Leonora possède une tension dramatique palpable. En capitaine loyal, Patrick Bolleire (Ferrando)sa basse profonde et charpentée ouvre l’opéra avec une présence spectrale. Entouré de créatures démoniaques, il incarne le récitant des ténèbres, alliant puissance narrative et agilité physique. Enfin, les comprimari font tous honneur à leurs rôles respectifs.

À la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Marseille, leur directeur musical Michele Spotti déploie une direction aussi précise que passionnée. Son approche dynamique souligne la noirceur et la fulgurance de la partition de Verdi, des cuivres guerriers du chœur des soldats aux cordes envoûtantes du Miserere. Sous sa baguette, la fameuse « scène des forgerons » explose en un tourbillon rythmique, transformant la scène en une ruche sonore où le chœur, véritable acteur, mêle chant précis et chorégraphies synchronisées. Ils sont portés en triomphe comme l’ensemble des artisans de cette superbe soirée verdienne !

 

 

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CRITIQUE, opéra. MARSEILLE, opéra municipal (du 1er au 10 juin 2025). VERDI : Il Trovatore. T. Illincaï, A. Boudeville, A. Extremo, B. Vasile… Louis Désiré / Michele Spotti. Crédit photo (c) Christian Dresse

 

 

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