SALUONS d’abord les producteurs d’avoir choisi la thématique des 20 ans du festival autour de Mozart. C’est même un « marathon » qui s’offre ainsi aux quelques… 13 000 spectateurs venus lors de ce cru 2024. Très identifié et largement plébiscité, le Lille Piano(s) Festival affiche une belle maturité qui l’inscrit désormais parmi les festivals de piano les plus complets et les plus intéressants de l’heure.
Il y en avait pour tous les goûts et pour toutes les envies. Diffusé dans toute la ville, en divers lieux, – occasion de battre le pavé lillois [et donc (re) découvrir l’espace urbain et la grande diversité des architectures de la métropole du grand Nord), le Festival 2024 a déployé une édition parmi ses plus convaincantes.
RÉCITAL DE RODOLPHE MENGUY (le 16 juin, 14h30)… Parmi les récitals solos celui de Rodolphe Menguy (à la Gare Saint-Sauveur) n’a pas manqué de satisfaire nos attentes, dans le choix des œuvres d’abord [pièces rarement jouées en concert], dans une approche engagée, crépitante et idéalement contrastée même, révélant un pur tempérament, impétueux voire mystique, en particulier dans la (redoutable) Sonate en si de Liszt. Lauréat (2ème Prix) du dernier Concours international Les Étoiles du piano à Roubaix (nov 2023), le jeune pianiste est un talent à suivre désormais.
Le luxe du Festival est la présence emblématique de l’Orchestre National de Lille [qui certes en est l’organisateur]. La forme concertante et les vertiges symphoniques sont des mets de choix qui en font tout l’attrait. De fait ce sont les concerts symphoniques, soit les Concertos qui auront été les plus enthousiasmants ; permettant de mesurer et de suivre l’écriture mozartienne ; avec d’autant plus d’intérêt que chaque programme bénéficiait de courts commentaires d’un conférencier sur scène, prodiguant de courtes et pertinentes analyses des œuvres et de leur contexte.
CONCERTOS MOZARTIENS… Tout l’enjeu des concertos mozartiens est l’acquisition d’un public [en particulier viennois… lequel se montrera définitivement imperméable], Wolfgang à Vienne dès 1782, se cherche spectateurs et protecteurs, s’ingéniant à renouveler totalement le genre, entre grâce, vérité, profondeur, éclat dramatique… Avec raison le conférencier soulignait la nature expérimentale de chaque concerto, les audaces et les traits de génie de chaque partition ; … où le compositeur ose, teste, innove, surprend toujours… Infatigable mais perfectionniste, le génie mozartien délivre dans ses Concertos des trésors sonores qui interrogent encore et touchent par leur sincérité souvent grave et profonde.
Le cycle en 3 jours permet d’évaluer de façon exceptionnelle et sur un temps resserré, le génie de Mozart dans une forme musicale dont l’architecture fascine autant que le chant ; symbole fort : pour se faire, les 3 chefs du National de Lille étaient impliqués, chacun proposant une trilogie de concertos, enchaînés sans pause : Alexandre Bloch (Concertos n°23, 10, 21), Jean-Claude Casadesus (n°25, 26, 27), Joshua Weilerstein, directeur musical nouvellement nommé (n°13, 20 et 24).
Les 3 chefs du National de Lille, réunis pour les 20 ans du Lille Piano(s) Festival 2024 / Ugo Ponte / Joshua Weilerstein, Jean-Claude Casadesus, Alexandre Bloch.
FRATERNITÉ MUSICALE… Plus qu’un jeu de confrontation et de dialogue, (creusant l’antagonisme ou la distance orchestre / soliste), c’est surtout l’esprit d’une fusion fraternelle qui s’avère prodigieuse et dans le cas des concerts écoutés, cette entente écrite et réalisée entre le clavier et les instruments de l’Orchestre qui a permis plusieurs miracles. Une fraternité en somme, à hauteur humaine, se réalise dans le jeu musical ; s’affirme selon les sensibilités et l’alchimie des associations, entre solistes et orchestres invités…
Car outre les instrumentistes du National de Lille, l’Orchestre Royal de chambre de Wallonie était activement sollicité, défendant intensément, avec une remarquable énergie, l’activité d’une formation collective et chambriste.
Le secret est là : chaque note, chaque phrase que compose Wolfgang, est une déclaration, une confession intensément vécue de l’intérieur. Les grands concertos convergent tous de la même manière vers une expression essentielle et juste, souvent tendre, redoutablement grave, qui écarte toute dilution.
CONCERT DE CLÔTURE… C’est assurément l’enseignement du concert de clôture (dim 16 juin, Nouveau Siècle, 20h), en particulier du dernier Concerto pour piano n°20 kv 466 dans lequel comme un funambule hypersensible Jonathan Fournel éclaire la texture grave et profonde, lumineuse pourtant et d’une tendresse infinie ; il est vrai, soutenu, et même porté par le nouveau directeur musical du National de Lille, Joshua Weilerstein, tout en précision, intériorité, saisissants contrastes. Dans les faits, le nouveau maestro marque les esprits ce soir (pour son premier concert publique au Nouveau Siècle, depuis sa nomination) car il recherche constamment cet équilibre global, des respirations amples et partagées, les couleurs et les nuances pour chaque prise de parole par les instruments (bois, flûte et cors) quand ces derniers enveloppent (et de quelle façon) le chant (faussement solitaire) du clavier… l’écoute, l’élégance et toujours cette urgence qui exprime la tension intérieure, font mouche; ils nourrissent cette fraternité musicale que nous avons évoquée précédemment. On comprend dès lors pourquoi Beethoven fut à ce point admiratif de l’opus (qu’il joua lui-même, comme … intermède lors d’une représentation de l’opéra de Mozart, La Clemenza di Tito).
Aux saluts, Joshua Weilerstein et les 3 pianistes, Pierre-Laurent Aimard, Adam Laloum, Jonathan Fournel (© Ugo Ponte)
Ce soir, la diversité des approches est un festival d’accomplissements. Avant ce n°20 bouleversant, c’était Adam Laloum, d’une exquise finesse et lui aussi tout intérieur, dans le Concerto n°24 kv 491. Dans ce rare opus en mineur, – qui fut aussi de façon exceptionnelle plutôt bien accueilli par les Viennois, pianiste et chef éclairent la maturité du ton, ce sentiment de solitude et de dépouillement viscéral (que l’on avait également remarqué dans la même pertinence, la veille, dans le Concerto n°27 sublimé par l’introspection saisissante du même Adam Laloum, en fusion totale avec le chef Jean-Claude Casadesus). Auparavant, c’était Pierre-Laurent Aimard qui offrait une lecture printanière et jaillissante du Concerto n°13 kv 415 (particulièrement court mais d’une intensité contrastée elle aussi spectaculaire) ; comme enjoué et d’une vivacité régénérée, le pianiste en totale complicité avec le chef développe un jeu riche en fraîcheur et tendresse dont les phrasés enchantent par leur justesse, leur intensité, leur fragilité. Jusqu’au toucher si particulier qui fait sonner le piano à queue comme un pianoforte : clair et claironnant, d’une lumineuse facétie, impressionnante par ses élans et ses rebonds. Une approche très incarnée d’autant plus juste dans ce Concerto brillantissime (avec timbales et trompettes), et dans lequel Mozart exploite avec une rare finesse (et connaissance) l’esthétique « Sturm und Drang ». Magistrale soirée.
La veille (samedi 15 juin, 20h, également au Nouveau Siècle), les festivaliers ont pu vivre une expérience semblable grâce à la complicité toute en nuances entre le chef, Jean-Claude Casadesus et le pianiste Abdel Rahman El Bacha. La soirée affirme une hauteur de vue sans égal, et un fourmillement d’idées qui chacune éclaire davantage la complicité souterraine entre le chant du piano et la parure orchestrale que Mozart lui réserve, affectueusement, amoureusement. Ainsi sont réalisés les Concertos pour pianos n°25 et n°26 pour lesquels le pianiste Abdel Rahman El Bacha déploie tout en fluidité et grâce un chant apaisé et profond, melliflu que la baguette de Jean-Claude Casadesus enveloppe d’une intériorité toute fraternelle : en formation chambriste, les instrumentistes du National de Lille veillent à l’équilibre, l’éloquence des timbres, d’infinies nuances qui font ce scintillement continu en transparence et clarté. Ce Mozart fluide et coloré touche au cœur, préparant au Concerto n°27 où Adam Laloum affirme dans une même gravité et tendresse, une inéluctable introspection qui foudroie.
Jean-Claude Casadesus et Abdel Rahman El Bacha
Forge musicale, intense et diverse, Le LILLE PIANO(S) FESTIVAL pour ses 20 ans, affirme une cohérence exemplaire ; il a désormais l’ambition de sa réputation; le spectre des propositions était large ; chaque programme complémentaire des autres, proposant la gamme de claviers la plus étendue et ce dans tous les genres (les Goldberg à l’accordéon par Fanny Vicens, l’intégrale des Sonates de Mozart dans l’esprit là encore d’un « marathon » au Conservatoire de Lille par Herbert Schuch, piano…, jusqu’aux sonorités et rythmes caribéens avec l’excellent Mario Canonge Trio)… De loin, parmi toutes ces expériences musicales enthousiasmantes, le ciné-concert du dimanche matin (16 juin à 10h30), réunissant les familles et les cinéphiles a réalisé ce que chacun était venu chercher : retrouver une partie de son âme d’enfant, se laisser porter, s’émerveiller et partager : l’improvisateur et compositeur Paul Lay, qui au préalable a expliqué en quoi consistait le jeu d’improvisation pendant la projection, a relevé parfaitement le défi, certainement inspiré par le film en question, « Charlot Boxeur », séquence elle aussi …mozartienne, pleine de charme et de tendresse. Rendez-vous est pris pour l’édition 2025.
Toutes les photos Lille Piano(s) Festival 14>16 juin2024 © Ugo PONTE
LIRE aussi notre présentation du LILLE PIANO(S) FESTIVAL 2024, 20 ans : https://www.classiquenews.com/lille-pianos-festivals-2024-les-14-15-et-16-juin-2024-orchestre-national-de-lille-marathon-mozart-15-concertos-integrale-des-sonates/