Compte-rendu critique, opéra. Nancy. Opéra National de Lorraine, le 7 mai 2017. Gioachino Rossini : Semiramide. Salome Jicia, Franco Fagioli, Nahuel Di Pierro, Matthews Grills. Domingo Hindoyan, direction musicale. Nicola Raab, mise en scène. Baroque, l’ultime œuvre écrite en 1822 par le cygne de Pesaro pour son épouse et muse Isabella Colbran? L’Opéra de Lorraine, pour sa nouvelle production de Semiramide, défend cette option, au demeurant parfaitement justifiable, tant l’écriture musicale y apparaît comme l’héritière directe de la vocalité en vogue au début du 18ème siècle.
Vous avez dit baroque ?
Ainsi, la metteuse en scène allemande Nicola Raab a imaginé un décor rappelant sans cesse la scène baroque et ses tréteaux, dans une mise en abyme aux multiples facettes. Une estrade côté cour pour les apparitions « publiques », des coulisses pour les échanges privés et tous les accessoires du théâtre : cordages, projecteurs, toiles peintes et portants. Et surtout cet immense miroir usé qui descend des cintres chaque fois qu’un personnage est confronté à lui-même, obligé de s’y mirer pour y croiser sa propre image et son propre regard. Reflet qu’Assur traversera littéralement pour aller affronter son destin. Une très belle idée de théâtre. Les costumes sont à l’avenant, inspirés du 18e siècle, de très belles factures, mais souvent contraignant et réduisant la force des personnages, notamment Assur, réduit à un simple courtisan malfaisant, et Idreno, vêtu comme le Roi-Soleil, accentuant encore la vacuité de son rôle. Ainsi, on admire cette scénographie à l’esthétisme séduisant, mais force est de constater qu’elle corsette et enferme malheureusement encore davantage des personnages déjà archétypaux, rendant ainsi difficile l’échange avec le public et empêchant souvent les émotions de se déployer pleinement.
Seul capable non seulement de tirer parti de cette esthétique codifiée mais s’y sentant visiblement parfaitement à l’aise, Franco Fagioli paraît véritablement avoir été le centre d’attraction de cette production. Au-delà des costumes dans lesquels il semble se glisser comme dans une seconde peau, c’est sa gestique d’inspiration baroque qui fascine, maîtrisée jusque dans le moindre pas avec une élégance folle, presque chorégraphiée. Une fois admises les inévitables et justes réserves soulevées par les caractéristiques de la voix de contre-ténor dans un personnage écrit pour un contralto féminin, force est de constater que le chanteur vénézuélien se tire avec les honneurs du défi que représente cette prise de rôle. Car si le bas médium manque de projection et le passage vers le grave apparaît ardu – cas fréquent dans cette partition –, les notes les plus basses sonnent superbement, l’aigu étonne encore par sa facilité et la virtuosité laisse toujours pantois, inexplicable autant qu’électrisante. Dans cette salle aux dimensions finalement réduites, l’artiste parvient à passer l’orchestre et à se faire entendre sans difficulté, et il demeure finalement le seul interprète de la soirée à nous faire toucher du doigt le vertige et la démesure que devrait représenter le chant rossinien.
Le reste de la distribution a-t-il été choisi en fonction de cet Arbace inhabituel, de façon à ne pas le mettre en danger ? La question demeure ouverte, tant ses partenaires font audiblement de leur mieux mais peinent souvent à transcender leurs propres limites.
Ainsi de la Semiramide de Salome Jicia, à notre sens catapultée un peu vite chanteuse rossinienne l’été dernier à Pesaro dans une Donna del Lago où elle tenait déjà le rôle-titre. A son crédit, la soprano géorgienne possède un très beau timbre corsé ainsi qu’un tempérament qu’on devine intéressant. Mais durant toute la première partie de la représentation, l’agilité sonne précautionneuse sinon appliquée, manquant cruellement de démesure, et l’aigu apparaît limité dans son extension, réduisant ainsi le rayonnement du personnage. Il faut attendre la seconde partie, la pyrotechnie laissant place au drame, pour que la musicienne et plus encore la comédienne prennent leur juste place et investissent pleinement le plateau, en grande artiste et tragédienne. Pour nous, la jeune soprano n’est peut-être simplement pas encore une véritable rossinienne, ou bien son avenir est-il à chercher du côté d’autres terres musicales, Mozart d’un côté – qu’elle pratique déjà –, Donizetti de l’autre – où son feu et sa couleur feront merveille dans quelques années –, qui sait ?
Ainsi de Nahuel Di Pierro, qui ne peut faire valoir ses qualités d’interprètes et son immense potentiel émotionnel que dans sa grande scène de l’acte 2, où les sentiments qui s’entrechoquent dans le sein d’Assur permettent une composition dramatique d’une grande finesse. Ailleurs, la jeune basse argentine semble freinée dans la composition de son terrible personnage par une projection manquant d’ampleur et une vocalisation encore difficile, malgré l’évidente bonne volonté qu’il met dans chacune de ses notes. Pour lui aussi : et si son avenir se situait dans d’autres répertoires ?
Déjà peu consistante à l’origine, la figure d’Idreno perd encore de son intérêt avec la suppression de son premier air, le ténor américain Matthew Grills ne conservant que le second pour se défendre et dont il vient vaillamment à bout, dardant son aigu et osant de longues cadences aussi périlleuses que brillantes.
En grande partie responsable de notre relative déception devant cette distribution de très bon niveau mais un peu en-deçà des exigences de la partition, l’Oroe spectaculaire de la basse Fabrizio Beggi qui ouvre le bal. Dès ses premières imprécations, c’est un choc tant la voix est puissante et percutante, remplissant toute la salle de son timbre à la fois noir et parfaitement placé. Enonçant également avec un aplomb terrible les paroles proférées par l’Ombre de Nino, le chanteur italien établit sans le vouloir un mètre-étalon à l’aune duquel on juge ensuite tout le reste du plateau. Excellents également, le Mitrane superbement sonore de Ju In Yoon et l’Azema délicate d’Inna Jeskova. Très belle prestation du chœur maison, renforcé par son confrère messin, pour des ensembles galvanisants.
A la tête d’un orchestre aux pupitres splendides et à l’implication totale, le chef Domingo Hindoyan démontre une belle compréhension de la pulsation rossinienne, notamment dans une ouverture absolument ébouriffante, mais semble parfois peiner à assouplir le phrasé pour ménager les chanteurs, comme trop préoccupé par la conduite du tempo. Et c’est un grand succès au rideau final qui salue la (re)découverte de ce joyau rossinien.
____________________
Nancy. Opéra National de Lorraine, 7 mai 2017. Gioachino Rossini : Semiramide. Livret de Gaetano Rossi d’après Voltaire. Avec Semiramide : Salome Jicia ; Arsace : Franco Fagioli ; Assur : Nahuel Di Pierro ; Idreno : Matthews Grills ; Oroe / L’Ombre de Nino : Fabrizio Beggi ; Azema : Inna Jeskova ; Mitrane : Ju In Yoon. Chœur de l’Opéra National de Lorraine ; Chef de chœur : Merion Powell. Chœur de l’Opéra-Théâtre de Metz-Métropole ; Chef de chœur : Nathalie Marmeuse. Orchestre Symphonique et Lyrique de Nancy. Direction musicale : Domingo Hindoyan. Mise en scène : Nicola Raab ; Décors : Madeleine Boyd ; Costumes : Julia Müer ; Lumières : Bernd Purkrabek / Illustrations : © opéra national de Lorraine 2017 – Production à revoir sur culturebox