DECES. Le chef d’orchestre autrichien Nikolaus Harnoncourt, au moment de ses 86 ans, avait mis fin à sa carrière en décembre dernier. Le maestro défricheur, pilier de la révolution baroqueuse apportant un regard neuf sur les œuvres et la façon de les interpréter nous a quitté samedi 5 mars 2016. Dans un prochain article, CLASSIQUENEWS retracera l’itinéraire et surtout l’apport d’une direction affûtée, critique, et pourtant gourmande et d’une exceptionnelle activité : chez Monteverdi, surtout Mozart et récemment Beethoven… Voici notre communiqué au moment de l’annonce de sa retraite en décembre 2015. Le chef inoubliable se sera éteint trois mois plus tard.
Dans un communiqué diffusé par le bureau du festival Styriate qu’il a créé à Graz (Autriche), le pionnier de la révolution baroque et l’interprète le plus inspiré et le plus audacieux des répertoires des XVIIè et XVIIIè (avec William Christie), Nikolaus Harnoncourt (né Comte à Berlin en décembre 1929), confirme sa décision de se retirer des salles de concerts et des studios d’enregistrement. Affûté, sans a priori, en quête de nouveaux mondes musicaux, révélant la puissante magie des timbres sur instruments d’époque, Nikolaus Harnoncourt a révolutionné l’interprétation des répertoires (pilotant entre autres, son ensemble spécialisé Concentus Musicus de Vienne) avec une acuité expérimentale et défricheuse qui va du XVIè aux romantiques et aux modernes du XXème siècle.
Ses récents enregistrements parus chez Sony classical dont un inoubliable geste intérieur, spirituel dédié aux 3 dernières Symphonies de Mozart (triptyque conçu comme un « oratorio instrumental »), confirment une vision unique et personnelle dont les qualités sont toujours restées sobriété, vérité, analyse, profondeur. Son Mozart, éclairé aussi à Salzbourg – Les Noces, Don Giovanni, Cosi, éblouissants par leur noirceur et leur sincérité humaine-, est son offrande la plus bouleversante. Bonne retraite maestro.
Les derniers cd Mozart de Nikolaus Harnoncourt
CD. Mozart : 3 dernières Symphonies n°39,40, 41. Nikolaus Harnoncourt, Concentus Musicus Wien, décembre 2012, 2 cd Sony classical. Parues le 25 août 2014, les 3 dernières Symphonies de Mozart (n°39,40, 41) synthétisent ici, pour Nikolaus Harnoncourt et dans cet enregistrement réalisé avec ses chers instrumentistes du Concentus Musicus Wien, l’expérience de toute une vie (60 années) passée au service du grand Wolfgang : sa connaissance intime et profonde des opéras, les plus importants dirigés à Salzbourg entre autres (la trilogie Da Ponte, La Clémence de Titus, La Flûte enchantée…), suffit à enrichir et nourrir une vision personnelle et originale sur l’écriture mozartienne ; s’appuyant sur le mordant expressif si finement coloré et intensément caractérisé des instruments anciens, le chef autrichien réalise un accomplissement dont l’absolue réussite était déjà préfigurée dans son cd antérieur dédié au Mozart Symphoniste (Symphonie n°35 Haffner, édité en janvier 2014, « CLIC » de classiquenews) ou encore aux Concertos pour piano n°25 et 23. Dans cette réalisation particulièrement attendue, Harnoncourt envisage les 3 Symphonies non plus comme une trilogie orchestrale – ce qui est aujourd’hui défendu par de nombreux musicologues et chefs- mais comme un « oratorio instrumental en 12 mouvements », subtilement enchaînés, en un tout inéluctablement organique. Par oratorio, Harnoncourt voudrait-il jusqu’à évoquer une partition touchée par la grâce divine, dont la ferveur sincère nous touche évidemment par sa justesse poétique et les moyens mis en œuvre pour en exprimer le sens ?
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CD. Nikolaus Harnoncourt. Johann Strauss II (7 cd Warner classics)
CD. Nikolaus Harnoncourt. Johann Strauss II (7 cd Warner classics). Harnoncourt s’est expliqué longuement sur le sujet : né allemand mais viennois jusqu’au bout de la baguette, le chef berlinois, 85 ans en 2015, porte en lui cette élégance autrichienne, fine combinaison entre élégance et danses populaires, raffinement et … rusticité. Inspiré par les mélodies de la rue comme les danses traditionnelles, Johann II Strauss (1825-1899), roi de la valse, s’inscrit dans la tradition d’un Schubert, et avant lui de Haydn et de Mozart. Le maestro si convaincant chez Monteverdi et nombre de compositeurs baroques dont il aura renouvelé l’approche avec ses musiciens du Concentus Musicus,- mais aussi Mozart ou Beethoven : Harnoncourt depuis toujours défend un Strauss concrètement… rustique et élégantissime.
Livres. Nikolaus Harnoncourt : La Parole musicale (Actes Sud)
Livres. Nikolaus Harnoncourt : La Parole musicale (Actes Sud). Coquille sur la couverture : contrairement à ce qui est indiqué, les propos recueillis ici ne concernent pas uniquement les compositeurs romantiques… A moins que Mozart (et ses ultimes Symphonies dont la centrale K550 en sol mineur) soit lui aussi romantique… ce qui nous comblerait de joie (!), car sa modernité et sa sensibilité visionnaire ne peuvent selon nous être rangées dans aucune case… trêve d’observations de détail : car c’est bien de plusieurs textes décisifs et lumineux dont il est question dans ce nouvel opus à propos de Beethoven, Schubert, Schumann, Brahms, Bruckner et même Bizet et Verdi (mais pas de Strauss ni de Mahler : Harnoncourt n’a jamais caché qu’il les jugeait l’un et l’autre « trop bavards »). Comme directeur musical de son festival Styriarte en Autriche, Nikolaus Harnoncourt a pu aborder nombre de compositeurs, lyriques et symphoniques auxquels il a consacré des discours et présentations très détaillés, surtout très militants. Le texte liminaire le plus pertinents demeure celui sur Mozart et le sens profond de sa Symphonie axiale / centrale au sein de la trilogie des trois dernières : 39, 40 et 41 « Jupiter ». La K 550 en sol mineur résonne comme une déflagration, par sa sonorité inédite et inclassable qui fait imploser la forme elle-même et le tissu mélodique comme harmonique. Sa signification profonde s’entend avec les deux autres qui l’encadrent. Jamais Harnoncourt, exceptionnel mozartien (il a dirigé les opéras majeurs à Salzbourg) n’a été ici plus argumenté, mieux inspiré, dans un texte rédigé pour les 250 ans de Mozart au Mozarteum de Salzbourg (2006). Pour passer des intentions à la pratique le lecteur se reportera à l’excellent double cd édité simultanément chez Sony classical, dédié justement au 3 dernières Symphonies conçu comme « un oratorio instrumental », CLIC de classiquenews du mois de septembre 2014.