mardi 19 mars 2024

Pietro Antonio Cesti (1623-1669) / Collection  » Opéra vénitien « 

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Pietro Antonio Cesti (1623-1669).  A l’heure où depuis Aix cet été, retentit (enfin) la gloire oubliée de Cavalli et ce théâtre enchanteur vénitien originaire du XVIIème, classiquenews s’intéresse à son contemporain Pietro Antonio Cesti, autre figure majeure de l’opéra italien du Seicento (XVIIème). L’heure est aux vénitiens (avant les napolitains au XVIIIè) : l’opéra est un divertissement populaire récent qui impose sur les planches le mélange des genres, propice à l’essor lyrique… Il y a 32 ans à présent René Jacobs révélait dans un enregistrement pionnier (L’Orontea) le geste sensuel, cynique et furieusement parodique de Cesti, compositeur au succès foudroyant qui croise le chemin de Christine de Suède, laquelle se passionne à Innsbruck pour son opéra L’Argia, composé lors de sa venue dans la ville tyrolienne. L’Orontea qui porte le nom de l’héroïne, -reine fière et autoritaire qui a renoncé à l’amour, apporte un éclairage précis sur le style et le monde esthétique de Cesti : comme nombre d’ouvrages de son contemporain et rival Cavalli (La Calisto, Elena…), L’Orontea met en scène les figures ordinaires de l’opéra vénitien du Seicento : dans un cadre particulièrement théâtral (beaucoup de récitatifs, peu d’airs développés et surtout des situations multiples qui enchaînent rebondissements, coups de théâtres, confrontations, oppositions, faux semblants, quiproquos…), Cesti emploie le travestissement qui concourt à la confusion des sexes et des sentiments : ainsi Jacinta qui espionne à la Cour d’Orontea, se travestit en homme, et devient Ismero, lequel suscite les avances de la vieille Aristea… – même canevas chez Cavalli dans Elena où Ménélas, l’amoureux d’Elena, s’étant habillée en femme, devient  l’objet des désirs ardents du roi Tyndare et de Pirithoüs, le compagnon de Thésée… (!). Le comique bouffon et les saillies oniriques voire satiriques vont aussi bon train chez Cesti, en cela fidèle au style vénitien qui aime mélanger les genres.

L’identité miroitante et changeante, le trouble né du désir est au coeur de l’intrigue car le jeune peintre Alidoro, que le philosophe Créonte tient pour un vagabond opportuniste dont s’est entichée la reine, ne sait pas qui il est ; au III, par un revirement théâtral qui singe la réalité (n’oublions pas que le réel peut parfois dépasser l’imaginaire), l’artiste porte un médaillon qui l’identifie clairement comme… le fils du roi de Phénicie, Floridano. Le peintre errant peut ainsi épouser Orontea en un happy end (Fine lieto) enfin pacifié. Hors des tensions et rivalités, intrigues et manipulations, l’amour vainc tout.

Rosa salvatore 1024px-Self-portrait_of_Salvator_Rosa_mg_0154Biographie. La vie de Cesti se confond avec les lieux qui ont porté avant lui l’éclosion du talent de Piero della Francesca. Né à Arezzo en 1623, Cesti (donc toscan) entre chez les Franciscains à 14 ans, puis devient organiste et maître de musique au séminaire de Volterra. Même éloigné des grands foyers artistiques toscans, – Sienne, Florence-, Cesti reste informés des avants-gardes : il rencontre le peintre fantasque et fascinant Salvatore Rosa (1615-1673) dont l’univers fantasmagorique, et la sensibilité panthéiste, en fait un conteur et paysagiste parmi les plus captivants de l’époque.

A Florence en 1650, Cesti presque trentenaire, se distingue au théâtre : il chante à Lucques, le Giasone de Cavalli. Menacé d’exclusion par les frères mineurs,  mais déjà remarqué par les Medicis, Cesti fait créer à Venise pour les Carnavals de 161 et 1652, ses deux premiers drames lyriques. En 1652, l’archiduc Ferdinand, duc de Toscane le nomme compositeur de la chambre : succès foudroyant pour celui qui est présenté après la mort de Monteverdi (1643) et malgré le rayonnement de Cavalli (l’autre élève de Monteverdi) comme le compositeur le plus doué de sa génération. Il compose des cantates, forme les castrats de la cour toscane, surtout pilote les divertissements organisés à Innsbruck sur le modèle des théâtres vénitiens. Ainsi se succèdent les grands opéras cestiens : Cesare amante (repris en 1654 sous le nom de Cleopatra : et qui reprend la figure du tyran efféminé / efeminato, c’est à dire décadent et corrompu dans la lignée du Nerone de Monteverdi et Busenello dans Le couronnement de Poppée antérieur, de 1642-1643)), puis avec le librettiste Apolloni (qui travaille aussi avec Cavalli pour Elena de 1659), ce sont trois opus majeurs : Argia en 1655 donné pour la Reine Christine de Suède récemment convertie au catholicisme ; Orontea en 1656 ; La Dori en 1657. Cesti est rappelé par les Franciscains en 1659 et doit rejoindre immédiatement Rome.

 

 

Génie de l’opéra vénitien du Seicento

Il devient chantre à la Chapelle Sixtine, continue de composer des cantates, certaines licencieuses, se produit sur les scènes privés (Rome n’a pas encore de théâtre public). Il supervise la reprise de l’Orontea chez les Colonna en 1661. Pour les Noces de Côme III et Marguerite Louise d’Orléans, il chante dans l’opéra de Melani, Ercole in Tebe. A Vienne, au service des Habsbourg et favorisé par ces derniers, Cesti compose son chef d’oeuvre, Il Pomo d’oro. Malgré son prétexte dynastique qui en fait une partition de circonstance, Cesti produit comme Cavalli à Paris pour les Noces de Louis XIV (Ercole amante), une oeuvre opulente et raffinée, touchante par sa profondeur, fascinante par son invention poétique. En 1666, il fait reprendre à Venise (Teatro San Giovanni e Paolo) l’Orontea, pourtant « vieille partition de 10 ans »… preuve de son succès auprès des publics. Sollicité à Vienne et à Venise, mais aussi à Florence, il meurt au faîte de sa gloire, en pleine activité en 1669 à 46 ans. Sa maison, cadeau de son protecteur pour service rendu, existe toujours à Innsbruck, occupant un angle face à la Cathédrale Saint-Jacob d’Innsbruck.



Salvator_Rosa_poetryAristocratique et populaire. Cesti familier des grands livre une musique raffinée et aristocratique
, tout en fournissant les opéras pour les théâtres vénitiens publiques dont la formule s’exporte alors partout en Europe. L’Orontea incarne l’engouement des audiences pour la formule de l’opéra vénitien, au point que l’ouvrage de Cesti occulta un premier drame musical sur le même sujet signé de Lucio. Le succès d’Orontea d’après le livret originel de Cicognini est un vrai drame théâtral, turbulent, grotesque, acide et sensuel à la fois, d’esprit carnavalesque et léger : une comédie grinçante dont les vénitiens ont toujours eu le génie. La résolution n’intervient qu’au terme du IIIè acte, après que les auteurs en aient compliqué et densifié le déploiement au fur et à mesure de son déroulement, quitte à (sur)charger les intrigues parallèles, et les rencontres des plus improbables; comme dans les opéras les mieux conçus de Cavalli, le théâtre de Cesti tisse un labyrinthe où les identités et les tempéraments se perdent, s’inversent, se confondent comme en un miroir déformant. Cesti impose dans l’Orontea, une véritable intelligence des situations, diversifiant ses choix formels afin de vivifier un drame musical proche de la rue. Sa facilité à ciseler les récitatifs en scènes courtes, vivantes mais capitales pour la compréhension et la continuité de l’action se distingue particulièrement dans l’Orontea. Cesti partage avec Cavalli, cette versatilité vertigineuses des sentiments et des climats émotionnels : tous deux incarnent l’âge d’or de l’opéra vénitien du XVIIème, une période féconde qui est aussi ce bel canto originel. Dans le sillon fixé par leur maître Monteverdi, Cesti et Cavalli portent à son sommet l’art du bel canto qui alors profite du mélange des genres : comiques, héroïques, tragiques, bouffons. C’est une scène d’une flamboyante richesse poétique que le XVIIIè s’ingéniera à assécher, jusqu’à Mozart qui dans ses drames giocosos (dont Don Giovanni) revient à la richesse originelle de l’opéra.

 

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Illustrations : Toutes les illustrations de notre portrait de Pietro Antonio Cesti sont de Salvatore Rosa, peintre, paysagiste, ami de Cesti. Deux autoportraits, allégorie de la poésie, bataille…

 

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