CD.Lully : Amadis, 1684 (Rousset, 2013. 3 cd Aparté) Aux côtés d’Hercule, le chevalier Amadis et ses Paladins ont fait rêvé le Roi quand jeune, il se voyait conquérant du monde. En 1683, Louis XIV demande donc logiquement à Lully et Quinault d’adapter la lyre chevaleresque à l’opéra, ressuscitant le héros chéri de sa jeunesse : ainsi naîtra Amadis en 1684. Pour les créateurs c’est une occasion inespérée de renouveler la langue et le vocabulaire de la tragédie lyrique 10 ans après sa création (Cadmus et Hermione, 1673) : l’Antiquité et la mythologie cèdent ainsi la place à l’histoire nationale offrant de nouveaux effets sur la scène : hélas, malgré son fort potentiel dramatique et psychologique, le couple noir, haineux, jaloux (ici, le frère et la sœur Arcabonne et Arcalaüs) ne dépasse pas leurs rôles de simples contrepoints maléfiques au duo blanc lumineux et si tendre d’Amadis et d’Oriane… Ingrid Perruche fait une Arcabonne caricaturale et souvent outrée, à la frontière de la folie débridée et de l’hystérie surlignée : le jeu surligné est d’autant plus étonnant que l’on connaît bien la soprano capable de finesse comme de subtilité ; et son frère, Edwin Crossley-Mercer, un Arcalaüs… malheureusement prévisible, étal, plat, droit, sans trouble. D’où vient que l’on refuse ainsi toute profondeur et toute ambivalence aux rôles maléfiques? C’est cependant dans la trame clair-obscure d’Amadis, les deux rôles noirs et ténébreux qui alimentent le feu et le nerf d’un opéra tourné vers la fantastique et le démonisme. Arcabonne amoureuse impuissante d’Amadis ne cesse de manipuler, séduire, haïr… il y avait matière à caractériser et ciseler une superbe architecture dramatique. Cet aspect est totalement absent ici.
L’Oriane de Judith van Wanroij déploie un miel plus séduisant (malgré des ports de voix qui entachent la pureté de sa ligne vocale) ; heureusement Cyril Auvity se bonifie en cours d’action et ses derniers récits en duo avec sa belle enfin reconquise au V (chambre des élus d’Apollidion) offre de très beaux phrasés. Pour le reste le choix des voix secondaires affleure une semi caractérisation convaincante (Benoît Arnould en Florestan, surtout Hasnaa Bennani dans le rôle de sa fiancée Corisande…). La palme de meilleur chant revient ici à la fée Urgande de Béatrice Tauran, celle qui chantait hier, Sangaride sous la direction de Hugo Reyne en Vendée, saisit toujours par la grâce et la pureté de sa diction et l’élégance musicale de son expression : une déité parfaite, défendant avec fermeté mais féminité, l’amour méritant. Après Roland, Persée, Phaéton (2012) et Bellerophon (2009), l’Amadis de Christophe Rousset ne manque pas de charmes en particulier dans le chœur final, qui bénéficie de la mise en place et de l’articulation impeccable du Choeur de chambre de Namur, l’un des meilleurs actuellement. Mais la Chaconne qui précède (plus de 7 mn), sorte d’apothéose du couple amoureux et qui devrait concentrer le souffle épique, enchanteur de la fable qui vient de se produire, révèle les limites des Talens Lyriques : faiblesses non pas techniques, mais … esthétiques. Le geste manque singulièrement de hauteur, de respiration, restant linéaire, rien que narratif. C’est bien joué mais pas envoûtant.
L’Opéra de Versailles avait il y a 3 ans, accueilli une autre production d’Amadis, certes inspirée de Lully mais réécrite après lui en 1779 pour Marie-Antoinette par… le Bach de Londres, Jean-Chrétien, dans une réalisation beaucoup mieux caractérisée sur le plan des profils expressifs… Pour un Lully pur jus, sanguin et tendre, il faut hélas se souvenir des Arts Florissants et de William Christie pour envisager un tout autre Lully, moins tendu, sec, descriptif. Manquent ici la profondeur, la poésie, la langueur, la souveraine nostalgie… Voilà qui fait craindre à rebours d’une presque vague Lullyste, le sentiment d’une défaveur par manque de réelle affinité avec le sujet choisi. Cependant tout n’est pas à jeter dans cette réalisation qui manque pourtant d’approfondissement comme de souffle. Louons cette presque intégrale en cours des opéras de Lully : hier Reyne avait amorcé la flamme, Christophe Rousset reprend le flambeau, mais c’est bien Bill l’enchanteur qui reste le vrai détenteur du feu sacré.
Jean-Baptiste Lully : Amadis, 1684. Livret de Philippe Quinault, avec Cyril Auvity, Judith van Wanroij, Ingrid Perruche, Edwin Crossley-Mercer, Benoît Arnould, Bénédicte Tauran, Hasnaa Bennani, Pierrick Boisseau, Reinoud Van Mechelen, Caroline Weynants, Virginie Thomas. Chœur de chambre de Namur. Les Talens Lyriques. Ch. Rousset, direction. Enregistré le 4/6 juillet 2013 à l’Opéra royal du château de Versailles . 3 cd Aparté AP094 / Harmonia Mundi. Parution annoncée : le 23 septembre 2014.