Nouveau cd. Cecilia Bartoli : St-Petersburg. Feuilleton 1/3. Quels sont les oeuvres ressuscitées ? Quels en sont les compositeurs et le goût des impératrices qui les ont favorisés ? CLASSIQUENEWS s’intéresse au nouvel album de Cecilia Bartoli intitulé « St-Petersburg « . Feuilleton en 3 volets… Volet 1 : présentation générale du programme St Petersburg. A partir des archives méconnues du Théâtre Marinsky, Cecilia Bartoli a sélectionné un corpus lyrique de 11 mélodies inédites révélant le statut privilégié des compositeurs italiens dans le goût musical de 3 impératrices russes et non des moindres. Les perles ainsi révélées témoignent de la forte attraction de l’art occidental dans la Saint-Pétersbourg impériale au XVIIIème siècle. La ville créée sur les marais par Pierre Ier démontre l’ambition d’un Russie forte et puissante qui veut s’imposer sur l’échiquier européen… A la suite de la politique proeuropéenne de Pierre Ier, les Tsarines Anna Ivanovna (1730–40), Élisabeth Petrovna (Élisabeth Ière, 1741–1762) et Catherine II (« la Grande », 1762–1796) se tournent elles aussi vers l’Europe afin d’enrichir la vie culturelle de leur vaste pays : elles y font entendre les musiques les plus applaudies et les plus modernes à leur époque, preuve d’un goût raffiné et sûr. Alors que L’Europe des Lumières goûte surtout les idées des philosophes français (Catherine II écrit en français à Voltaire à la fin du siècle), la musique favorite reste surtout italienne. Les femmes de pouvoir cultivent un goût audacieux dans la suite du Tsar Pierre Ier, lequel à sa mort en 1725, laisse un empire occidentalisé dont Saint-Petersbourg est l’emblème le plus prestigieux.
3 impératrices au goût européen et… italien
Sa nièce, Anna, impératrice à partir de 1730, développe les arts à grande échelle. Elle fait venir à la cour impériale des musiciens italiens et allemands, et avec eux l’opéra, l’opéra-bouffe, le ballet. En 1741, par un coup d’État pacifique, Élisabeth 1ère (fille d’un second mariage de Pierre le Grand) s’empare du pouvoir détenu par l’héritier désigné d’Anna, son petit-neveu Ivan, encore nourrisson. Elisabeth 1ère prend la cour de France comme modèle, et, grande admiratrice du théâtre français, s’engage également en faveur de la musique avec passion. Elle chante dans le chœur de sa propre chapelle, développe la musique profane, met sur pied le premier opéra chanté en russe (La forza dell’amore e dell’odio de Francesco Araia, créé au Palais d’hiver, en 1736). Le successeur immédiat d’Élisabeth est son neveu Pierre, esprit dérangé et malingre qui est bientôt écarté par sa femme, celle-ci accède au pouvoir sous le nom de Catherine II. Durant les trente-quatre années de son long règne (1762-1796), Catherine la Grande (photo ci-contre), interlocutrice de Louis XV et Louis XVI, poursuit le travail de ses prédécesseurs (en particulier l’œuvre de Pierre Ier) et fait de l’Empire russe une puissance mondiale de premier ordre. Au début, peu musicienne (dans son enfance elle aurait dit-on, utilisé un clavicorde pour fabriquer un toboggan… !!), Catherine invite à Saint-Pétersbourg les musiciens de renommée internationale ; écrit des livrets d’opéra… les premiers théâtres d’opéra russes voient le jour durant son règne.
Cherchant à restituer à travers trois portraits d’impératrice, selon leur goût musical propre, l’évolution de la faveur européenne, surtout italienne à la Cour de Saint-Petersbourg, la mezzo romaine Cecilia Bartoli choisit les œuvres les plus emblématiques de chaque compositeurs invités ou joués en Russie : Francesco Araia (1735–1759), Hermann Friedrich Raupach (1759–1761), Vincenzo Manfredini (1761–1763) et Domenico Cimarosa (1787–1791).
Le napolitain Francesco Araia est le premier compositeur dont on joua un opéra en Russie (La forza dell’amore e dell’odio, au Palais d’hiver, en 1736). Il compose surtout le premier opéra sur un livret russe (Tsefal i Prokris, – Céphale et Procris-, représenté pour la première fois en 1755). Cecilia Bartoli chante deux airs d’Araia, l’un d’eux étant emprunté à l’ouvrage pionnier La forza dell’amore e dell’odio. Araia eut pour successeur le claveciniste et compositeur allemand Hermann Friedrich Raupach… qui fut au service de l’impératrice pendant deux ans seulement : son style classique n’écarte pas un dramatise très intense. Malheureusement, la part de ses oeuvres parvenues est bien mince. Cecilia Bartoli a choisi deux airs de son opéra russe Altsesta, les premiers airs que Cecilia Bartoli chante en russe !
Le jeune Vincenzo Manfredini dont figurent ici trois extraits de l’opéra Carlo Magno, notamment le chœur animé et victorieux qui termine le disque, occupe son poste en Russie… moins de deux ans. Nommé par Pierre, le prédécesseur éphémère de Catherine, ne lui rendit sans doute pas service sur le plan professionnel ! C’était pourtant un compositeur de grand talent dont Cecilia Bartoli dévoile le tempérament taillé lui aussi pour l’expression des passions et le théâtre. Autre révélation du programme conçu par Cecilia Bartoli : La Clémence de Titus de Johann Adolf Hasse … qui précède La Clémence de Mozart datée de 1791, de près de cinquante ans. Écrit pour le couronnement de la tsarine Élisabeth, en 1742, le prologue réunit l’écriture de deux compositeurs italiens actifs en Russie : Domenico Dall’Oglio (probablement un élève de Vivaldi et de Tartini) et le violoniste Luigi Madonis.
Enfin Domenico Cimarosa, – seul auteur encore connu de nos jours-, passe quatre ans à la cour de Saint-Pétersbourg avant de s’installer à Vienne où il entre au service de l’empereur du Saint-Empire romain germanique, Léopold II. Catherine II avait beau s’intéresser à la littérature et au théâtre français, Cimarosa qui travaille d’arrache-pied et donne naissance à un flot constant de musique de premier ordre, ne reste pas en Russie. L’air retenu dans le programme, issu de La vergine del sole, comporte un solo de clarinette particulièrement brillant. Catherine avait bel et bien perdu un compositeur de qualité… Le fonds des archives de la bibliothèque du Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg est particulièrement riche et comprend une collection mésestimée de perles lyriques depuis le XVIIème jusqu’au XIXème… la partition originale de La Force du destin de Verdi, représentée pour la première fois à Saint-Pétersbourg en 1862 y figure entre autres. Pour son projet « St Petersburg », Cecilia Bartoli retrouve Diego Fasolis et son ensemble I Barocchisti, complices précédents pour la redécouverte des opéras d’Agostino Steffani.
Cecilia Bartoli : St Petersburg. 1 cd Decca, sortie internationale le 13 octobre 2014.
Tracklisting : programme du cd St-Petersburg :
1. Francesco Domenico Araia (1709-1770): La forza del amore e dell’ odio – ‘Vado a morir’
2. Hermann Raupach (1728-1778): Altsesta – ‘Razverzi pyos gortani, laja’
3. Hermann Raupach: Altsesta – ‘Idu na smert’
4. Hermann Raupach: Siroe, re di Persia – ‘O placido il mare’
5. Domenico Dall’Oglio (1699-1764), Luigi Madonis (1690-1767): prologue to La clemenza di tito (Hasse) – ‘De’ miei figli’
6. Vincenzo Manfredini (1737-1799): Carlo Magno – ‘Fra’ lacci tu mi credi’
7. Francesco Domenico Araia: Seleuco – ‘Pastor che a notte ombrosa’
8. Hermann Raupach: Altsesta – ‘Marcia’
9. Vincenzo Manfredini: Carlo Magno – ‘Non turbar que’ vaghi rai’
10. Domenico Cimarosa (1749-1801): La vergine del sole – ‘Agitata in tante pene’
11. Vincenzo Manfredini: Carlo Magno – ‘A noi vivi, donna eccelsa’
Bartoli on stage : 13 dates d’une tournée incontournable, au programme : les 11 airs inédits de l’album St-Petersburg
I Barocchisti · Diego Fasolis
October 22, 2014 Berlin, Konzerthaus
26 octobre 2014 : Amsterdam, Het Concertgebouw
28 octobre 2014 Cologne, Philharmonie
1er & 7 novembre 2014 Paris, Théâtre des Champs-Élysées, 20h
10 novembre 2014 Mannheim, Rosengarten
13 novembre 2014 Brussels, Palais des Beaux-Arts
15 novembre 2014 Baden-Baden, Festspielhaus
17 novembre 2014 Essen, Philharmonie
19 novembre 2014 Hamburg, Laeiszhalle
22 novembre 2014 Regensburg, Audimax der Universität
24 novembre 2014 Prague, Rudolfinum
26 novembre 2014 Munich, Herkulessaal
28 novembre 2014 Vienna, Konzerthaus
Illustrations : Catherine II la Grande, Anna Ivanovna, Elisabeth Ière, Araia, Cimarosa … (DR)