jeudi 28 mars 2024

Lully: Bellérophon, 1679. Les Talens Lyriques, Christophe Rousset (2 cd Aparté)

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De tous les opéras de Lully, seul Bellérophon, triomphalement applaudi à la Cour, à la ville en 1679, était resté dans l’oubli, loin de la scène actuelle, loin des micros du studio. C’était compter sans Christophe Rousset et ses « Talens Lyriques » dont le nom justifie cette nouvelle incursion lullyste, après Persée et Roland. Voici donc le dernier volet d’une trilogie héroïque et « virile », où Rousset se fait l’ambassadeur inspiré de trois portraits de héros vainqueurs, trois faces d’un même monarque: Louis le Grand.
L’opéra succède à Isis dont le propos du librettiste, trop audacieux, suscite les foudres de la favorite officielle, Françoise de Rochechouart, marquise de Montespan: la Belle Athénaïs ne souffrit pas d’être ainsi épinglée en Junon belliqueuse, jalouse de Io, l’aimée de Jupiter (Louis XIV), souvent grotesque voire ridicule. Conséquence: exit Quinault pour la tragédie suivante et c’est Thomas, le frère de Pierre, qui inscrit aux côtés du grand Lully, un autre nom prestigieux: Corneille. Si le vers de Thomas n’a pas le génie poético-dramatique du grand Philippe (Quinault), Bellérophon n’en va pas moins bon train pour autant: et le héros, vainqueur de la Chimère fabuleuse pourra épouser l’élue de son coeur Philonoë.La partition est l’une des plus courtes de Lully: le portrait du héros est assez lisse. Les auteurs voulaient-ils ne prendre aucun risque vis à vis du roi, en souhaitant surtout éviter une nouvelle disgrâce?
La déclamation servie par une musique raffinée et expressive (du très grand Lully), oblige les interprètes chanteurs à une vertu majeure: l’articulation et la justesse de l’intonation. Grétry, Gluck, Cherubini, mais aussi Rameau sauront se nourrir à la source de Lully. Or bien peu de chanteurs ici savent respecter ce chant spécifique du français baroque: voix belles certes et fluides mais totalement … inintelligibles pour la plupart. Cette défaillance ne pardonne pas et peu d’élus hélas sauvent l’enregistrement de l’excellence. Non pas que le chef soit insatisfaisant, bien au contraire, mais sans la chair embrasée et tout au moins ciselée du chant, Bellérophon ressuscité est un sous opéra qui a presque manqué le rendez-vous. Certes l’orchestre est nerveux, musclé, héroïque (il s’agit bien de célébrer à l’époque de la Paix de Nimègue, la valeur exemplaire du héros royal, Bellérophon lui-même), mais ni Céline Scheen (Philonoë) qui fait du français versaillais une bouillie informe (et souvent indigeste) ni Evgueny Alexiev (Jobate, Pan) – l’un des personnages les plus intéressants: trouble, équivoque, père distant et désimpliqué, froidement politique (vis à vis de Philonoë) ne sont à la hauteur de la déclamation du grand siècle que Lully a conçu en écoutant et recyclant avec génie le vers théâtral et sa divine musicalité, du grand Racine.Il faut des diseurs non pas simplement des chanteurs. Cet aspect pointe le seul éceuil de l’enregistrement qui aurait gagné à une sélection plus minutieuse des voix. Voir ici ce que l’Atys de Hugo Reyne apporte en saveur linguistique, étonnamment proche de la version de référence signée William Christie (décidément indépassable par sa vision poétique, tragique, poétique d’un Lully trouble et moins schématique qui s’affirme ici et là par manque de profondeur). Soulignons donc l’exaltante Sténobée, l’instance haineuse amoureuse de Bellérophon, de loin le personnage le plus intéressant de l’oeuvre, d’Ingrid Perruche (quelle classe articulée), Amisodar/Apollon de Jean Teitgen. Si le texte manque parfois de profondeur psychologique (pour autant que nous puissions parler de psychologie pour une tragédie en musique du XVIIè), le rôle-titre, grâce à l’engagement total de Cyril Auvity, éblouit par sa vaillance et sa justesse humaine et tendre (« heureuse mort », IV): soudain, sous le masque de la propagande exemplaire et morale, surgit le trouble humain qui vacille comme un flamme: le ténor a du chien, un tempérament toujours articulé, un style qui force l’attention: superbe acteur-chanteur et de loin, le meilleur interprète de l’enregistrement.
Saluons donc le combat musical au II du Bellérophon vainqueur de la bête: Rousset décuple les forces guerrières d’un orchestre idéalement investi, chantant, diseur lui aussi. Les récitatifs accompagnés comme les rares et trop fugaces divertissements confirment l’inspiration supérieure d’un Lully qui n’est plus un amuseur courtisan mais un dramaturge de premier plan. Christophe Rousset (réserves ici exprimées et évacuées côté chanteurs) s’affirme bel et bien comme un Lullyste de premier plan.

Lully: Bellérophon, 1679. Cyril Auvity (Bellérophon), Ingrid Perruche (Sténobée), Jean Teitgen (Amisodar, Apollon), Céline Scheen (Philonoé), Evgueny ALexiev (Jobate, Pan)… Choeur de chambre de Namur. Les Talens Lyriques. Christophe Rousset, direction. Enregistrement réalisé en décembre 2009 à Paris. 2h13mn. 2 cd Aparté: AP015 7 94881 99322 2

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