vendredi 29 mars 2024

Leonard Bernstein, Candide (1956)Arte, samedi 20 janvier 2007 à 22h30

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Leonard Bernstein
Candide


(Boston, 1956)

Arte, Musica
Samedi 20 janvier 22h30

Production enregistrée lors de la création parisienne de Candide, au théâtre du Châtelet, en décembre 2006.

Une philosophie du réalisme pour un monde cruel

« Notre société est la meilleure ». « Tout va pour le mieux »… A-t-on le droit de proclamer contre tout réalisme social ou géopolitique, l’idée que le progrès ne cesse d’accomplir des miracles?
Déjà Voltaire invitait à la réserve critique, et Bernstein, deux siècles après le philosophe, lui emboîtait le pas. Tant que la scène lyrique dénoncera la progression de l’intolérance et des despotismes, quels qu’ils soient contre la liberté de la pensée, l’opéra tiendra son rang. Cette assertion fut-elle la clé qui décida Leonard Bernstein à se passionner pour la nouvelle de Voltaire, Candide? Le musicien qui a toujours montré ses engagements revisite une oeuvre baroque qui a conservé son acuité terrifiante. Candide est un conte moral et philosophique qui appelle à la démocratie critique et intellectuelle dont l’actualité sembla résonner avec acuité dans l’Amérique des années 1950… « Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes » peut-il s’appliquer à la dérive de nos sociétés humaines?
Alors occupé à son futur grand chef-d’oeuvre, West side story, le chef et compositeur américain, âgé de 38 ans, avait été inquiété par les partisans de l’épuration morale et intellectuelle, ce vent de Maccarthysme organisant au pays de l’oncle Sam et des sacro-saintes libertés, une chasse aux sorcières à peine masquée. Si l’oeuvre musicale est créée le 29 octobre 1956 à Boston, son accueil reste trop sage, et après 73 représentations (quand même…), l’ouvrage est retiré de l’affiche… La partition subira de nombreuses modifications plus ou moins validées par le compositeur qui se décide quelques mois avant sa mort, en décembre 1989, à reprendre le drame musical et de l’enregistrer, fixant ainsi de façon définitive, « la » version de Candide.

La production du Châtelet

Le Châtelet accueillait en décembre 2006, la version révisée de Bernstein, pour la première fois à Paris, mais dans une version du livret réécrit par Robert Carsen et son dramaturge, Ian Burton.
Pour le metteur en scène, il s’agit de souligner le caractère « mordant, débridé, railleur et irrévérencieux » du sujet. Candide est d’abord, une satire. La carrière du jeune Candide, s’apparente à une traversée cruelle qui est la destinée de chacun de nous : à la candeur originelle, succède très vite, sous la pression des rencontres les plus terrifiantes, « un réalisme désillusionné ».
Dans la nouvelle de Voltaire, l’ingénu Candide fait l’expérience du monde des hommes : duplicité, hypocrisie, calcul, manipulation, trahison et mensonge. Entre l’optimisme de son maître Pangloss, le scepticisme aigre de son nouveau professeur Martin, le jeune homme apprend à se construire malgré tout, à façonner son identité propre, se préserver des pestes du genre humain, en « cultivant son jardin ». Leçon de réalisme désabusé, leçon de vie sans complaisance sur la nature humaine, Candide est un conte qui s’achève néanmoins avec l’espoir que les hommes peuvent s’améliorer, et sauveront le monde.
En 1956, Bernstein éclaire l’actualité de la pensée Voltairienne sur la société américaine. L’oeuvre s’élève là aussi comme une satire et un appel à la conscience des citoyens : contre « le snobisme puritain », le « faux sens moral », les « pressions inquisitrices »… les formes « modernes » de la barbarie humaine.

Bernstein et Voltaire : le réalisme à l’épreuve

Le projet du compositeur, aidé de Lillian Hellman, est d’adapter la satire cruelle et désenchantée de Voltaire au genre de la comédie américaine sans sombrer dans le « clinquant ». Eviter l’écueil artificiel du « Broadway show ». Ainsi les auteurs ont-ils sur-titré leur Candide, « opérette ». Il s’agit en particulier pour Voltaire de démontrer les limites de la philosophie optimiste de Pangloss qui incarne les idées de Leibniz. Comprendre le monde, c’est le voir tel qu’il est, certes bon, humain et fraternel, mais aussi (surtout), cruel, barbare et inhumain.
Le monde est injuste. La vision a d’autant plus saisi le réaliste Voltaire lorsque l’Europe assiste impuissante et démunie au tremblement de terre de Lisbonne en 1735, qui suscite des milliers de morts. « Comment penser que tout est bon et juste, quand le mal est partout », précise Bernstein.
A l’époque du compositeur et de la dramaturge Lillian Hellman qui lui propose l’adaptation de la nouvelle de Voltaire, ce mal qui ronge l’esprit des Lumières, sévit sous couvert du Maccarthysme. Une nouvelle peste dont les méthodes sont « si apparentées à l’Inquisition espagnole ». Le puritanisme bien-pensant du sénateur du Wisconsin, Joseph McCarthy et de ses acolytes inquisiteurs, entendait redresser le pays moralement, en mettant en pratique une série d’épurations culturelles et intellectuelles : liste noire à Hollywood, censure à la télévision, etc… Sous la forme d’une croisade contre les communistes, tout suspect contre le nouvel ordre politique était suspecté, exilé, suspendu de son emploi, humilié directement ou indirectement…
Bernstein acide et critique retrouve dans le roman de Voltaire, l’arme qu’il a toujours ciselée : l’ironie doublée d’un cynisme affûté.
En souhaitant respecter le propos satirique et pénétrant du texte Voltairien, Bernstein a conçu avec son équipe, Hellmann mais aussi les paroliers des chansons à caractère qui composent la trame de l’action, un ouvrage très dense, dont l’apparente légèreté s’avère piquante par les idées féroces du livret. « Il était donc assez naturel que Lillian et moi, soyons fascinés par l’esprit mordant et la sagesse de Voltaire », poursuit Bernstein dans les commentaires qui accompagnent la révision définitive de l’oeuvre en 1989.

Candide de Bernstein : joyau musical

Bernstein a le génie de renouveler le genre de la comédie musicale américaine, en traitant sur un mode futile ou léger, des idées très violentes. Candide est une oeuvre dont le propre est de mêler les styles et les genres : comique et sérieux ; « opérette », comédie musicale et opéra, tout à la fois. Mais quelle que soit sa forme, ou ses formes, la tenue du livret, transmetteur des idées de Voltaire : réalisme, ironie et sarcasmes, espoir … est intacte.
Séduction formel, sérieux des idées. Bernstein combine opéra, music-hall, variété, opérette, comédie musicale. L’intention est de coller au plus près de la vie familière contemporaine. Quand le compositeur imagine Candide, il suit la voie tracée par Mozart qui emprunte au genre du Singspiel, la forme visionnaire de son opéra « La flûte enchantée », qui cependant est l’écrin des idées franc-maçoniques et de l’esprit des Lumières.
Lors de sa création en 1956, Bernstein trop en avance sur son temps, ou plus précisément sur les habitudes du public familier des comédies musicales, désarçonna les auditeurs. Pas de répétitions des mélodies faciles, surtout sujet philosophique empruntant à Voltaire l’un de ses textes les plus fins et incisifs : l’oeuvre resta inaccessible pour beaucoup. D’où les nombreuses modifications postérieures, jusqu’à la révision officielle de 1989 par Bernstein lui-même dont l’invention sur la scène du personnage de Voltaire, ne fut pas la moindre création. Pour ceux qui ne connaissaient ni le philosophe ni ses idées, le nouveau personnage fut un médiateur des plus efficace, qui éclaircit comme par magie le propos de l’opéra, son fonctionnement parodique et grinçant. Au final, un opéra plus lisible, en deux actes, d’une heure et quarante cinq minutes, sans entractes, portée par le dynamisme et l’énergie dansante de la musique de Bernstein.

Approfondir
Pour une approche complète de l’oeuvre, reportez vous au livret-programme accompagnant les représentations de Candide au théâtre du Châtelet. En vente aux comptoirs commerciaux du théâtre du Châtelet à Paris. 104 pages. Synthèse et présentation de l’oeuvre : genèse, historique, analyse du sujet, texte intégral en français, équipes de la production présentée du 11 au 31 décembre 2006.

Crédits photographiques
(1) Leonard Bernstein (DR)
(2) La production du Châtelet qui dans la version en partie réactualisée par Robert Carsen, met en scène les présidents des républiques européennes, en maillot de bain sur un océan de pétrole. © Châtelet 2006
(3) Portrait de Voltaire (DR)
(4) Couverture du livret programme de la production de Candide, édité par le Châtelet (DR)

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