Saint-Etienne, Opéra. Hahn : Le Marchande Venise, 27-31 mai 2015. Mini festival Reynaldo Hahn en France, à l’Opéra Comique en mai : reprise de Ciboulette ; c’est aussi le Marchand de Venise à Saint-Etienne (dans le cadre de son Cycle Massenet dont Reynaldo Hahn fut l’élève), ouvrage clé créé en mars 1935, dans lequel le compositeur ami de Proust et de Sarah Bernhardt s’essaie au grand genre … L’usurier assidu pratiquant des taux extravagants (la garantie est la propre chair de ses débiteurs) et qui surtout a la haine de ceux qui le méprise (Antonio justement aristocrate mélancolique et chrétien), tire un malin plaisir à éprouver ses « proies » par l’argent. Ainsi Shylock à Venise est-il le pilier de l’action du Marchand de Venise dans la pièce de Shakespeare. Donc Antonio emprunte 3000 ducats au Juif pour les prêter à son ami Bassanio lequel a besoin ainsi de liquidités pour séduire la belle Portia (rôle écrit pour Mary Garden, qui avait créé auparavant en 1902, l’écrasant rôle de Mélisande dans Pelléas et Mélisande de Debussy).
Entretemps d’autres prétendants attentent à l’intimité de Shylock en enlevant la propre fille du vieillard soupçonneux : Jessica (comme les intrigants de la Cour du Duc de Mantoue enlevant la fille de Rigoletto, Gilda dans l’ouvrage de Verdi)… conspiration, séduction, sadisme aussi par l’argent et évidemment haine souterraine (entre juifs et chrétiens). Tout cela enrichit l’action de l’opéra de Reynaldo Hahn dont la complexité raffinée et l’élégance mozartienne subjuguent toujours.
L’auteur de Ciboulette redéfinit ici la langue de l’opéra – au moment où Enesco livre son Oedipe, fresque nématique, austère et un peu raide. Ni wagnériste, ni debussyste ni fauréen, ni rien du tout, … seul et puissamment original, Reynaldo Hahn préfère renouer avec la comédie de Wolfgang, celle de Don Giovanni où les séquences de pur enchantement amoureux n’empêchent pas l’accomplissement du drame le plus noir (la pièce de Shakespeare est un procès contre la figure du juif avare, paranoïaque, certes implanté à Venise mais qui cultive sa détestation des vénitiens, et sait se faire détester d’eux). Alternant le léger et le cynisme parfois aigre et tragique (vertiges des couples amoureux, solitude amère de l’usurier : sous la baguette de Philippe Gaubert, c’est la basse légendaire André Pernet, acteur subtil, qui crée le rôle de Shylock), Hahn, dans sa langue spécifique, aquarellée, aérienne, subtile et colorée, d’un fini instrumental souvent irrésistible, retrouve le rythme même de l’opéra mozartien : dans les contrastes entre les épisodes, il exprime la nature contradictoire et troublante de la vie elle-même qui fusionne indistinctement défis, épreuves, souffrance et solitude, mais aussi extase, entente, espoir.
Les critiques de Hahn lui reprochent son inconsistance, sa superficialité : lui, l’amoureux de l’ordonnance versaillaise serait-il de facto incapable de profondeur ? C’est bien à cette question essentielle que nous conduit la recréation du Marchand de Venise en mai 2015 à l’Opéra de Saint-Etienne. Pièce anodine mais bien ficelée, ou drame mozartien, shakespearien et romantique… tout à la fois ? Réponse à l’Opéra de Saint-Etienne les 27, 29,31 mai 2015.
Le Marchand de Venise à l’Opéra de Saint-Etienne
Saint-Etienne, Opéra. Les 27, 29, 31 mai 2015
Durée : 3h45mn (entracte compris)
Avec : Gabrielle Philiponet (Portia), Isabelle Druet (Nerissa), Pierre Yves Pruvot (Shylock), Bassanio (Guillaume Andrieux)…
Orch. Symphonique Saint-Etienne Loire
Franck Villard, direction. Arnaud Bernard, mise en scène
La distribution solide, promet de belles caractérisations, surtout viriles : Pierre-Yves Pruvot est l’un des meilleurs barytons dramatiques actuels, il devrait incarner un superbe Shylock (haineux et humain), et le jeune Guillaume Andrieux, encouragé entre autres par Jean-Claude Malgoire vient de chanter Pelléas à Tourcoing en mars 2015, comme il avait recréé le rôle d’Aben Hamet avec le même JC Malgoire en mars 2014…
Illustrations : Reynaldo Hahn ; Dessin représentant Shylock et Jessica (DR)