Pianiste réfléchi et somptueux conteur, JEAN-NICOLAS DIATKINE explique son admiration pour Liszt et Wagner, mais aussi Beethoven dont il souligne la valeur des Bagatelles qui sont sa dernière partition éditée. Qu’apporte concrètement une prise live en concert plutôt qu’un enregistrement studio ? Comment comprendre la Ballade n°2 de Liszt ? Quels sont les projets et concerts à venir ?… Entretien exclusif avec Jean-Nicolas Diatkine
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Portraits de Jean-Nicolas Diatkine DR
CLASSIQUENEWS : Comment avez-vous construit le programme de votre dernier cd « LIVES 21 & 23 » à Gaveau ? Qu’exprime la filiation Liszt / Wagner ainsi mise en avant ?
JEAN-NICOLAS DIATKINE : Liszt éprouvait un immense respect pour Beethoven et le vénérait, tout comme Wagner, bien que celui-ci ne l’ait jamais rencontré en personne. Liszt enfant a étudié le piano avec Czerny, qui fut lui-même élève de Beethoven. L’admiration et la vénération qu’éprouvait le disciple pour le maître s’est donc transmise à lui très tôt. Elle a dû lui faire une très profonde impression avant même de lui être présenté.
Cependant, au-delà de l’histoire temporelle, l’idée de « progrès » que l’on pourrait naturellement se représenter dans l’écriture musicale au cours du 19e siècle, en faisant à tort un parallèle avec les progrès techniques, se heurte à l’évolution qui s’est produite dans la production musicale de Beethoven : celui-ci a atteint à la fin de sa vie une capacité de représentation émotionnelle, une puissance d’imagination et d’expressivité sans précédents, ni suivant. Ainsi, pour moi, avec les Bagatelles op.126 qui est sa dernière œuvre publiée pour piano, ce CD commence par la fin.
Environ un quart de siècle plus tard, Liszt découvrait Tannhäuser et s’est senti immédiatement, en tant que compositeur, dans une très grande proximité avec Wagner. Dans « La vie de Liszt est un roman », Zolt Harsanyi lui fait dire à cet instant : « Voici l’œuvre que j’aurais aimé composer ! » On sait à quel point il l’a ensuite soutenu, malgré la dégradation de leur relation à cause du divorce de sa fille avec son cher élève Hans von Bulow, dont Wagner était la cause. Inversement, même si, d’après le témoignage de Claudio Arrau, la famille Wagner tenait Liszt comme un compositeur de troisième plan, il est clair que Wagner lui doit beaucoup comme source d’inspiration : par exemple le thème de Léandre dans la 2ème Ballade pour piano se retrouve presque note par note dans le leitmotiv de Tristan. En privé, Wagner a reconnu cette filiation.
CLASSIQUENEWS : Pouvez-vous nous présenter en quelques mots votre approche et compréhension de la Ballade n°2 de Liszt, qui est l’une des révélations de ce disque ?
JEAN-NICOLAS DIATKINE : D’après ses élèves, Liszt s’est appuyé sur le mythe de Héro et Léandre, dont Schiller a fait un poème célèbre. Il a produit dans cette ballade une véritable scène d’opéra, sans la moindre concession aux effets un peu gratuits de sa formidable pyrotechnie pianistique que l’on trouve dans certaines de ses œuvres. https://fr.wikisource.org/wiki/Poésies_de_Schiller/Héro_et_Léandre
CLASSIQUENEWS : Comment s’inscrit ce nouveau disque à ce moment de votre trajectoire artistique ?
JEAN-NICOLAS DIATKINE : J’ai eu simplement envie de graver au disque des moments particuliers et uniques que sont les concerts, où la présence du public agit comme un révélateur irremplaçable.
CLASSIQUENEWS : Dans le choix des prises live, qu’avez-vous privilégié ? Qu’apporte le son et l’expérience du live pour une publication discographique ?
JEAN-NICOLAS DIATKINE : En studio, on utilise parfois jusqu’à six micros dont certains sont très près du piano. Personne au monde n’entendra un tel son en concert. Lors des concerts enregistrés dans ce CD, il n’y en avait que deux sur la scène. Mais grâce au savoir-faire d’Etienne Collard et d’Arpeggio Film pour la prise de son, cela ne se remarque pas. Enfin pour recréer l’atmosphère de la salle de concert, Sebastian Riederer a fait un travail remarquable dans le remastering de l’ensemble du CD.
CLASSIQUENEWS : Votre prochain concert à Gaveau ce 16 décembre, élargit le spectre musical à Bach, Beethoven, Schubert et Schubert-Liszt ? Quels en sont les défis interprétatifs comparé à votre programme Liszt / Wagner ?
JEAN-NICOLAS DIATKINE : Ce sont quatre univers à part entière et ils exigent des techniques pianistiques, un engagement émotionnel et physique très différents, voir opposés, particulièrement entre Bach et Schubert.
CLASSIQUENEWS : Sur quel compositeur allez-vous travailler prochainement ? Pourquoi ?
JEAN-NICOLAS DIATKINE : Mon prochain concert avec la violoncelliste suisse Estelle Revaz le 2 février 2025 au musée Jacquemart-André sera consacré à Schumann et à Brahms.
CLASSIQUENEWS : Quel est votre regard sur la place de la musique dans la société actuelle ? Y a t il une évolution marquante depuis ces 5 / 10 dernières années ?
JEAN-NICOLAS DIATKINE : Je ressens fortement dans mes échanges avec les auditeurs après mes concerts, une très grande curiosité pour la musique ainsi qu’un désir de s’élever par elle au-dessus des tourments qu’apporte la société en ce moment ; enfin, en paraphrasant Baudelaire dans Le Voyage, une aspiration à « aller au fond de l’inconnu pour trouver du merveilleux ».
https://www.facebook.com/jeannicolasdiatkinepianiste/
Propos recueillis en décembre 2024
Concerts à la SALLE GAVEAU : lun 16 déc 2024, 20h30. Récital de Jean-Nicolas Diatkine, piano. Bach, Schubert, Beethoven… : https://www.classiquenews.com/paris-salle-gaveau-jean-nicolas-diatkine-piano-recital-chopin-lundi-4-decembre-2023/
…puis le 2 février 2025 – concert avec Estelle Revaz, violoncelliste – Paris, Musée Jacquemard André / Sonates de Robert Schumann et Johannes Brahms
CD
LIRE notre critique du dernier album de Jean-Nicolas Diatkine : « LIVE 2021 & 2023 » : Beethoven, Liszt, Wagner / CLIC de classiquenews hiver 2024 : https://www.classiquenews.com/critique-cd-evenement-jean-nicolas-diatkine-piano-beethoven-liszt-wagner-live-2021-2023-recitals-a-gaveau-1-cd-solo-musica/
… »Les Bagatelles de Beethoven tout d’abord, composent une entrée fabuleuse : respirations, articulation naturelle, suggestions des contrechamps, évocations des mondes parallèles et toujours cet allant qui coule comme une onde magicienne (2è séquence : « Allegro ») ; le pianiste nous gratifie de son art suprême, apparemment bénin mais si essentiel dans la construction et la conception : « bagatelles », elles n’en ont que le nom – bien davantage que des esquisses fugitives ou des « petits riens » insignifiants ; au contraire car leur énoncé si vital s’inscrit nécessaire dans la réalisation des 6 épisodes – Jean-Nicolas Diatkine en exprime aussi la méditation existentielle où la puissance de l’architecture (conçus simultanément à la 9è symphonie) courtise l’élégance, nous rappelant les valeurs si justes qui présentait Beethoven dans la filiation des grands génies qui l’ont précédé et dont il réalise la synthèse : équilibre facétieux de Haydn (son maître à Vienne), grâce divine de Mozart. … »