La pluie battante sur l’asphalte des belles avenues du 8ème arrondissement parisien semblait présager la tempête à venir sur les planches de la salle de marbre des frères Perret. Soirée promise aux turbulences des passions d’un des chefs d’œuvre du jeune Wagner en proie encore au mépris injuste de ses contemporains.
Vous entendrez parler de lui…
Comme bien de créatrices et créateurs du passé, Wagner a souffert de l’incompréhension des professionnels du spectacle alors qu’il débutait sa carrière de compositeur. Durant ses années parisiennes (1839 – 1842) la ville explosait culturellement avec la relative stabilité institutionnelle et économique de la monarchie bourgeoise de Louis-Philippe (1830-1848). Inspiré par une légende rapportée par Heinrich Heine et aussi par le déchaînement des éléments dans sa traversée baltique vers l’Angleterre, Wagner conçoit le canevas de l’œuvre qu’il proposera sans succès à l’Académie royale de musique : Le vaisseau fantôme.
D’emblée soumise à Léon Pillet, directeur de l’illustre aïeule de l’Opéra de Paris, l’idée de Wagner est acceptée mais pas sa musique. Comble de l’ignominie, Pillet a acheté l’idée pour quelques centaines de francs et confia la mise en musique de ce Vaisseau fantôme à Louis Dietsch. Malgré les qualités très convenues de la partition de ce dernier, la musique que Wagner destina à Paris reste incomparable.
N’en déplaise aux Wagnériens les plus férus, à l’écoute de cette œuvre on y entend une multitude de références au style français romantique. Le mélange de genres y est régulier notamment à l’Acte II avec Mary et aussi le magnifique air de Daland qui a des couleurs proches d’Auber dans les inflexions. Aussi dans tout le début de l’Acte II, on y perçoit un lavis digne des plus beaux moments d’Hérold. Wagner ne cite pas et ne copie pas, il a totalement intégré le style français et l’on maudirait presque Pillet et son étroitesse de vue à vocation purement mercantile et sans doute snob. A l’image des vers de Rostand à la Cathédrale de Reims, la sottise des Pillet et autres entrepreneurs de spectacle n’ont fait que rendre Der Fliegende Holländer plus passionnant encore!
En 2023, la gloire de Wagner est incontestable et le destin de son Hollandais volant n’a rien à craindre avec des interprétations régulières et des enregistrements de ses différentes versions. Cependant ce soir au Théâtre des Champs-Elysées, on a eu l’impression d’assister à la première parisienne, voire à une recréation mondiale, de cette merveilleuse partition.
François-Xavier Roth est le grand ordonnateur de cette soirée. À la tête des Siècles jouant sur des instruments d’époque, maestro Roth révèle non seulement la puissance et les contours d’un réalisme fulgurant mais aussi une explosion de couleurs dans les vastes aplats de l’écriture wagnérienne. Sa direction alerte a souligné les dynamiques sans jamais surenchérir. Admirables aussi, l’intelligence du geste, la précision de chaque phrasé et surtout l’équilibre entre l’orchestre, les solistes et le choeur avec une cohérence enthousiasmante. Les musiciens des Siècles sont extraordinaires, saluons notamment les bois et les cuivres. Espérons retrouver très bientôt François-Xavier Roth et ses Siècles fabuleux dans une restitution aussi fidèle et passionnante des partitions de jeunesse de Wagner.
La réussite de la production doit beaucoup aussi, à un plateau vocal somptueux. Le quatuor principal de l’opéra n’a pas d’égal dans la constellation des productions passées. Très convaincant, le timbre riche et précis de Karl-Heinz Lehner dans le rôle inénarrable de Daland, piquant par son côté truculent et un rien bouffe sans jamais faillir aux exigences de la partition. Le Hollandais de James Rutherford déploie un éventail de nuances sur toute la tessiture si étendue du rôle. Ingela Brimberg est une Senta de légende. Dramatiquement juste, vocalement indescriptible tellement elle semble avoir ce rôle chevillé au corps. Sa voix est un régal. Plus en retrait, l’Erik de Maximilian Schmitt manque d’engagement théâtral et pâtit parfois dans la projection. La Mary de Dalia Schaechter a un bel instrument tout comme le Pilote de Daland de Dimitri Ivanchey. Le Choeur de l’Opéra de Cologne est fastueux ; il nous apporte toutes les ambiances possibles sans faillir dans les harmonies redoutables notamment au deuxième acte.
Celui qui erre sur les flots dans l’attente de la reconnaissance d’un amour total ne finit pas sa course par pitié, mais, parce qu’il porte en lui la marque des héros. Wagner et son Holländer ont jeté l’ancre dans la baie des immortels grâce à l’amour total dont François-Xavier Roth a embrasé la salle de Gabriel Astruc. Pour paraphraser la chanson de Georges Moustaki, si nous avons entendu parler de Wagner, nous voulons entendre encore et toujours la légende du vaisseau qui vogue sans s’arrêter avec de tels talents!
VIDEO
Ingela BRIMBERG chante la Ballade de Senta – version 1841:
https://www.youtube.com/watch?v=ZTfzGbrmLVI