Visuellement et scénographiquement, la nouvelle production de Lohengrin de Richard Wagner telle que donnée actuellement à l’Opéra national du Rhin manque d’épaisseur et peine à convaincre, ce qui n’est heureusement pas le cas de l’excellent ténor étasunien Michael Spyres qui, dans le rôle titre, montre quel fin diseur il est. On avait pourtant quitté Florent Siaud avec une Tosca (à Compiègne en novembre dernier) orchestralement « allégée », mais dramatiquement plutôt convaincante.
Ce Lohengrin rhénan veut nous faire croire à la magie que vivent ardemment les enfants bercés par les histoires et légendes d’antan. Ainsi Elsa de Brabant et son frère Gottfried découvrent littéralement ici la belle histoire du Chevalier au cygne blanc, dans un monde où les ténèbres incarnés par Ortrud menacent l’ordre bienheureux constellés de croix partout. Or cet ordre général manque singulièrement de tension comme de relief. Dans des tableaux certes esthétiques (qui citent ce romantisme panthéiste et néo-gothique de Caspar David Friedrich), ou une Antiquité grecque réduite à l’état de ruines (avec statue de la Vénus de Milo), les protagonistes auxquels Wagner a pourtant réservé des situations épineuses, contrastées, parfois éruptives, sont plantées là, sans guère de direction d’acteurs. Tout semble réduit au minimum dramatique (en particulier au II, quand s’affrontent Ortrud et Elsa).
Sans ardeur ni véritable désir, l’Elsa de Johanni Van Oostrum peine vocalement à s’affirmer, en intensité vocale comme en autorité scénique ; même déception pour Martina Serafin (qui remplace Anaïk Morel, annoncée souffrante) dont la noirceur reste fantomatique, quand les aigus tendus et le vibrato envahissant, sont eux, bien (trop) présents. Du côté masculin, heureusement que le Roi Henri du finnois Timo Riihonen assure très noblement sa partie, ce qui compense le Telramund bien terne et fluet de Josef Wagner…
Heureusement tout n’est pas perdu… et bien qu’il soit affublé d’une robe de moine évangélisateur assez raide et peu seyante, Michael Spyres exauce tous les souhaits que l’on peut attendre de cet exceptionnel chanteur : son élégance rossinienne, son baryton léger, fin, stylé et sans maniérisme semble couler dans l’armure du chevalier élu, venu sauver une mortelle (Elsa) prise dans les filets de deux sorciers toxiques et manipulateurs. Le chanteur américain incarne un Lohengrin de première classe, d’une vaillance lumineuse qui sert surtout le texte et la lumière morale du caractère (son récit du Graal affirme une inspiration et une intelligence vocale superlatives). L’agilité éblouit dans les aigus qui ailleurs mettent à mal tous les wagnériens, d’emblée strictement héroïques. Spyres a tout pour séduire et ravir le cœur d’Elsa : le style, le timbre, le souffle et un legato qui se montre rêvé chez Wagner. En belcantiste affirmé, idéalement acclimaté, Michael Spyres démontre combien Wagner sort gagnant d’une approche fine, virtuose, solaire dont le mérite est aussi dans son épaisseur et son autorité dramatiques quand il doit combattre les noirs ennemis, ou prévenir la trop naïve Elsa (vis à vis de la pernicieuse Ortrud).
Seul sur scène à assurer la réussite de la production, Michael Spyres aurait quand même été insuffisant. Heureusement, le jeune chef ouzbek Aziz Shokhakimov – directeur de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg en fosse ce soir – déploie une direction inspirée, elle aussi taillée dans la transparence et l’expressivité, avec un travail remarquable sur les couleurs et les accents, qui réussit autant dans l’intériorité individuelle que le souffle des tableaux collectifs, à l’instar de la séquence des noces d’Elsa où brille aussi l’éclat raffiné et puissant des Chœurs (conjugués) de l’Opéra national du Rhin et d’Angers Nantes Opéra, qui se couvrent ici de gloire !
____________________________________________________
CRITIQUE, opéra. OPERA NATIONAL DU RHIN (du 10 mars au 10 avril 2024). WAGNER : Lohengrin. M. Spyres, J. van Oostrum, M. Serafin, J. Wagner… F. Siaud / A. Shokhakimov. Photos (c) Klara Beck.
VIDEO : Trailer de « Lohengrin » de Wagner selon Florent Siaud à l’Opéra national du Rhin