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Hasard des calendriers, c’est à une pluie de Tristan und Isolde que les mélomanes hexagonaux vont pouvoir assister en deux mois, avec cette nouvelle production de l’opus wagnérien à l’Opéra National de Lorraine signée par Tiago Rodrigues, alors que Paris remonte une énième fois la splendide régie du duo Sellars/Viola, et que le Capitole et l’Opera Ballet Vlaanderen (Gand / Anvers) s’apprêtent à leur tour à monter leur Tristan (en mars 2023).
Récemment nommé à la tête du Festival d’Avignon à la place d’Olivier Py (qui lui vient d’être nommé directeur général du Théâtre du Châtelet avec effet immédiat), l’homme de théâtre lisboète signe là sa première réalisation lyrique… qui ne nous a pas convaincus ! Connu pour simplifier et rendre accessible au plus grand nombre les « grands » textes, en soulignant leur humanité pour mieux la relier à la nôtre, il adapte son concept à l’ouvrage de Wagner, et remplace tout le texte de l’Echanson de Bayreuth par un nouveau de son propre cru, grâce à deux comédiens-danseurs (Sofia Dias et Vitor Roriz) qui manipuleront pas moins de 1000 pancartes se substituant aux surtitres. La scénographie est ainsi composée d’une immense bibliothèque disposée en hémicycle où des rayonnages contiennent des milliers de pancartes que, dans un ballet incessant et millimétré, les deux artistes tendront vers le public en le regardant droit dans les yeux, en n’ayant par ailleurs que peu d’interaction avec les protagonistes, si ce n’est au troisième acte où ils « accompagneront » la mort des deux héros.
Dans ce nouvel univers, les protagonistes perdent leur nom contre des entités génériques : « L’homme triste » (Tristan), « La femme triste » (Isolde), « L’amie de la femme triste » (Brangäne) , « L’homme puissant »(Le Roi Marke), « L’homme ambitieux » (Melot) et « L’ami de l’homme triste » (Kurwenal) ! Les textes de Rodrigues, qui se résument à des explications de texte par trop simplets, affadissent et dénaturent la sublime prose de Wagner (trop amphigourique à son goût), et la distance qu’il prend avec elle (« Beaucoup de mots / trop de mots tuent l’amour »), si elle fait parfois rire les spectateurs, ne rend guère justice à l’œuvre. L’on se surprend à bien vite ne plus regarder les pancartes pour se concentrer sur les chanteurs, mais la direction d’acteurs étant presque aux abonnés absents, avec des personnage la plupart du temps statiques, l’exercice devient vite compliqué et tout aussi lassant !
Sans emphase et fluides
Révélations wagnériennes à Nancy…
les somptueux Tristan de Samuel Sakker
et Mark de Jongmin Park
L’homme et la Femme tristes… Samuel Sakker et Dorothea Röschmann (DR)
Le ténor australien Samuel Sakker est une révélation dans le rôle de Tristan. Avec son timbre robuste et barytonant, il fait preuve d’une vaillance, tout au long de sa scène d’agonie, que les spectateurs n’expérimentent pas tous les jours au théâtre. Les registres, magnifiquement soudés, lui permettent de parcourir toute la gamme des émotions, sans esquisser aucune des difficultés de ce rôle meurtrier et sans montrer le moindre signe de surmenage. Las, la prestation de la belle chanteuse mozartienne puis straussienne qu’a été Dorothea Röschmann ne se situe pas sur les mêmes hauteurs, et l’écriture ardue de Wagner lui donne maille à partir : au-dessus du La, l’aigu se transforme en cri, et les contre-ut seront souvent esquivés dans le duo du II, au profit de son partenaire qui ne connaît pas ces mêmes difficultés. L’artiste n’en demeure pas moins touchante, sa diction souveraine et ses talents de diseuse finissant par faire passer la pilule de registre aigu problématique.
Autre découverte majeure de la soirée, le magnifique Roi Marke de la basse coréenne Jongmin Park, dont le registre grave, le contrôle absolu de la ligne, la profonde humanité font passer maint fois le frisson le long de l’échine. Le beau timbre sombre de la mezzo française Aude Extrémo est toujours un atout, dont sa généreuse Brangäne bénéficie, sans césure aucune dans un organe opulent et magnétique. Enfin, le Kurwenal de Scott Hendricks comme le Melot de Peter Brathwaite sont honnêtes, sans laisser de grands souvenirs, à l’inverse d’Alexander Robin Baker, dans le double emploi du Matelot et du Berger, qui donnent une épaisseur inhabituelles à ces deux emplois.
A la tête de l’Orchestre de l’Opéra National de Lorraine, Léo Hussein tissent une toile qui porte les voix sans jamais les étouffer. Les sonorités ont une fluidité rare dans ce répertoire, où l’emphase est généralement de rigueur ; la qualité superlative de de chaque pupitre (même si le compte n’y est pas du côté des cordes !) permet au chef anglais de faire entendre un Wagner dégraissé, presque allégé, qui donne tort à ceux qui voient en lui un fossoyeur du beau chant. On aurait cependant aimé plus de dramatisme dans les finale des deux premiers actes, qui n’exhalent pas ici l’ampleur ni le souffle que la partition réclame…
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CRITIQUE, opéra. NANCY, Opéra National de Lorraine, le 1er février 2023. WAGNER : Tristan und Isolde. Sakker, Röschmann, Extrémo, J. Park… L. Hussein / T. Rodrigues. Photos © Jean-Louis Fernandez
VIDÉO
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Teaser vidéo : Tristan und Isolde à l’Opéra National de Lorraine par Tiago Rodrigues
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