lundi 7 octobre 2024

CRITIQUE, opéra. MILAN, Teatro alla Scala, le 12 avril 2023. VINCI : Le zite’ ngalera. Orchestre du Teatro all de la Scala et La Cetra Barockorchester / Andrea Marcon (direction).

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Jean-François Lattarico
Jean-François Lattarico
Professeur de littérature et civilisation italiennes à l’Université Lyon 3 Jean Moulin. Spécialiste de littérature, de rhétorique et de l’opéra des 17 e et 18 e siècles. Il a publié de Busenello l’édition de ses livrets, Delle ore ociose/Les fruits de l’oisiveté (Paris, Garnier, 2016), et plus récemment un ouvrage sur les animaux à l’opéra (Le chant des bêtes. Essai sur l’animalité à l’opéra, Paris, Garnier, 2019), ainsi qu’une épopée héroïco-comique, La Pangolinéide ou les métamorphoses de Covid (Paris, Van Dieren Editeur, 2020. Il prépare actuellement un ouvrage sur l’opéra vénitien.

 

Redécouvert par Antonio Florio, ce chef-d’œuvre de l’opéra-bouffe napolitain fait une entrée remarquée dans le temple de l’art lyrique. Ce n’est que mérité. Une production exemplaire servie par un casting de haut vol.

Dialecte enthousiasmant
La Scala ressuscite Li Zite nGalera de Vinci
en une magnifique résurrection scénique

 

 

 

Sans atteindre la renommée de son quasi homonyme, le compositeur calabrais Leonardo Vinci n’est plus totalement un inconnu après la redécouverte de ses opéras seria (Artaserse ou Alessandro nelle Indie). Il fut également un prolifique compositeur d’opéras-bouffe, dont la naissance coïncide avec celle de l’opéra seria et qui était généralement chanté en napolitain. Hélas, Li zite ngalera est la seule de ses 11 partitions comiques à nous être parvenue et c’est un joyau. La lecture de Leo Muscato est une merveille de tous les instants : une remarquable direction d’acteurs redonne vie à cette pépite, tout en lui conférant une grande poésie dont témoignent les splendides costumes de Silvya Aymonino, les lumières efficaces de Alessandro Verazzi – qui créent des jeux d’ombre enchanteurs dignes des plus beaux tableaux d’intérieur – et les splendides décors très XVIIIe de Federica Paolina, qui loin d’être une simple patine cosmétique, respectent l’esprit tout autant que la lettre de l’intrigue.
Une immense toile peinte représentant la cité parthénopéenne – dans le plus pur style des « vedute » du XVIIIe siècle – ouvre la scène dont le lever laisse apparaître tour à tour une galerie, une chambre, un salon, une cuisine avec ses accessoires, décors mobiles qui coulissent au gré des péripéties. Le rythme est constamment soutenu, endiablé (qui trouve son acmé dans la fabuleuse tarentelle des Turcs du IIIe acte, réunissant tous les personnages), sans temps mort, dans une intrigue où se mêlent travestissements et quiproquos, qu’on pourrait résumer par cet enchaînement des relations : Carlo aime Ciomma qui aime Peppariello qui aime Carlo. L’ajout de dialogues parlés renforce la dimension théâtrale de la comédie et rappelle que la « commedeja per musica » est d’abord et avant tout du théâtre (le livret de Bernardo Saddumene est un chef-d’œuvre digne du meilleur Goldoni) où tout n’est que pulsation, vitalité constante, assurées par le jeu survolté des comédiens-chanteurs, qui lorgnent tantôt du côté de la commedia dell’Arte, à travers une diction impeccable et une parfaite maîtrise de l’idiome napolitain, dont les subtilités ont sans doute échappé à une large partie du public (et de la critique).
La jubilation ininterrompue, la pétillante inventivité des interprètes parviennent néanmoins, comme jadis pour les lazzi des comici dell’Arte, à transcender l’obstacle potentiel du dialecte. Les récitatifs, dominants, laissent apparaître une flopée d’arias tour à tour pathétiques, comiques, mais aussi parodiques (comme dans le truculent duo du IIIe acte, « Core mio carillo »), la plupart du temps destinées à caractériser de manière réaliste et psychologique l’état d’esprit des personnages.

La distribution réunie pour cette résurrection est remarquable. Dans le rôle travesti du fugitif Carlo, sorte de Don Juan napolitain, Francesca Aspromonte se révèle magistrale d’assurance et de crédibilité, voix remarquablement projetée, et une présence scénique jubilatoire. Dans celui de Ciomma, courtisée par le vieux barbier Col’Agnolo, Francesca Pia Vitale déploie son beau timbre de bronze et une palette d’affects, dont témoigne la magnifique aria « Va, dille ch’è ’no sgrato », dont la syntaxe hachée, haletante, illustre son trouble et son embarras. Dans l’autre rôle travesti (volontaire celui-ci) de Belluccia, amante délaissée de Carlo, qui revient déguisé en homme sous le nom de Peppariello pour tenter de reconquérir son amant, Chiara Amarù convainc par sa voix et son abattage scénique, malgré son manque de fantaisie dans le jeu. Le profil funambulesque de Raffaele Pe qui campe un excellent Ciccariello, version théâtrale et lyrique du scugnizzo napolitain, est un pur bonheur : une aisance spectaculaire aussi bien dans la voix que dans le jeu élastique qui rappelle celui de maints personnages de la Commedia dell’Arte ; la frivolité du personnage le balance à son pathétisme, comme le révèle son superbe et célèbre air d’entrée, « Vorria areventare sorecillo », une chanson lancinante au rythme ternaire typique du style napolitain.

 

 

Héritière des nutrice vénitiennes,
la Meneca d’Alberto Allegrezza se distingue

 

Mais l’attention du spectacle est portée principalement sur l’incroyable performance d’Alberto Allegrezza, extraordinaire Meneca, héritière des vieilles nourrices travesties vénitiennes. Sa présence écrase presque celle des autres, par son timbre coloré, virtuose et clair, son génie comique, sa gestuelle toujours au service des situations scéniques. Il se révèle également excellent flûtiste au point d’interpréter un concertato avec l’orchestre ; sa prestation exemplaire en fait le digne héritier de Pino de Vittorio, inoubliable interprète de ce répertoire et de cette typologie de personnages. L’autre contre-ténor de la distribution, Filippo Mineccia, investit le rôle délicat et pathétique de Titta, également amoureux éconduit de Ciomma, dite Ciommetella. Ses nombreux airs langoureux (superbe « Che v’aggio fatto » du second acte), chantés avec une rare morbidezza, récompenseront à la fin sa ténacité, et il pourra jouir des faveurs de sa dulcinée. Le père de Belluccia, Filippo Mariano, capitaine d’une galère sicilienne (le seul rôle chanté en italien), a les traits et le beau timbre barytonant de Filippo Morace, menaçant comme il se doit dans son désir de venger l’affront fait à sa fille ; il débarque avec sa « galère » accompagné de son esclave turc Assan (impeccable Matías Moncada) et d’une petite esclave (interprétée avec espièglerie par Fan Zhou), ces derniers issus de l’Accademia della Scala. Enfin les deux rôles secondaires du barbier Col’Agnolo et du cuisinier de Meneca Rapisto, rôles néanmoins truculents, Antonino Siragusa et Marco Filippo Romano rivalisent de drôlerie, de gouaillerie et de génie comique, et le premier nous émeut dans sa superbe aria du deuxième acte « Nenna mia ».
Dans la fosse, les instruments anciens de l’Orchestre de la Scala couplés avec ceux experts de la Cetra Barockorchester, sont magistralement dirigés par Andrea Marcon. La fougue, la précision entomologique, le sens inné du théâtre, créent l’écrin idéal pour cette rareté qui méritait amplement d’être projetée sous les feux de la rampe. Ce soir, telle la lave du Vésuve présent en fond de scène, ce spectacle magistral a embrasé la froide cité lombarde.

 

 

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CRITIQUE, opéra. MILAN, Scala, le 12 avril 2023. VINCI : Li zite ngalera. Orchestre du Théâtre de la Scala et La Cetra Barockorchester, Andrea Marcon (direction). Francesca Aspromonte (Carlo Celmino), Chiara Amarù (Belluccia Mariano), Francesca Pia Vitale (Ciomma Palummo), Filippo Morace (Federico Mariano), Alberto Allegrezza (Meneca Vernillo), Filippo Mineccia (Titta Castagna), Antonino Siragusa (Col’Agnolo), Raffaele Pe (Ciccariello), Marco Filippo Romano (Rapisto), Matías Moncada (Assan), Fan Zhou (Na schiavotella), Leo Muscato (mise en scène), Federica Paolina (décors), Silvya Aymonino (costumes), Alessandro Verazzi (lumières). Photos : DR / Scala de Milan

 

 

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